24 avril 1997 |
La mondialisation galopante des organisation de presse
mène-t-elle à un nouvel apartheid?
"Village global", "événements mondiaux", "marché planétaire": le discours ambiant a tendance à considérer que l'amélioration des échanges d'informations grâce aux progrès technologiques récents permet une liberté d'expression accrue. Un colloque, organisé le 18 avril par l'Institut québécois des hautes études internationales sur le thème "Journalisme, mondialisation et communication", a remis quelques pendules à l'heure. Des journalistes et des professeurs spécialisés dans le domaine ont tenté à cette occasion de mieux comprendre la portée de cette mondialisation de la communication sur le travail quotidien dans les salles de nouvelles, et d'appréhender le vrai visage de cette nouvelle réalité.
Si, par le passé, la distinction entre une entreprise américaine, française, italienne s'établissait assez aisément, l'interaction accrue entre les économies des différents pays rend désormais l'exercice plus difficile. Les grands empires de communication, qui possèdent aujourd'hui des salles de rédaction ou des satellites de diffusion un peu partout, se moquent des frontières. Ce phénomène de mondialisation inquiète Armand Mattelart, professeur à l'Université de Renne, lorsque ces grandes entreprises revendiquent la liberté commerciale au même titre qu'un nouveau droit de l'Homme.
"La liberté commerciale constitue une machine de guerre pour le libre échange", soutient cet auteur de nombreux ouvrages sur la mondialisation de la communication. Jusqu'au début des années 80, les discussions pour un nouvel ordre mondial de la communication, menées par les pays non alignés qui réclamaient des pouvoirs accrus, avaient lieu en effet à l'Unesco. Depuis, c'est à l'Organisation mondiale du commerce que les États-Unis et l'Union européene s'affrontent pour exclure - ou non - les produits audiovisuels des échanges commerciaux. En proclamant que seul le marché doit sanctionner l'échec ou le succès d'un produit culturel, les partisans d'une communication sans contraintes oublient au passage de s'interroger sur l'inégalité des échanges entre les cultures.
Un nouvel apartheid?
Or, soutient Armand Mattelart, le mythe globalitaire cache en fait une réalité
bien plus disparate, où des pôles technologiques d'excellence
cotoient des zones laissées pour compte, que ce soit au Sud, au Nord,
à l'Est, ou à l'Ouest. Si des communautés de consommateurs
transnationales, partageant des pratiques culturelles identiques, ou un
même pouvoir d'achat, se constituent dans le monde, l'espérance
d'en finir un jour avec les inégalités sociales semble bel
et bien avoir disparu des discours idéologiques.
Par ailleurs, bien que les communicateurs de tout poil se gaussent de vivre dans un village global, bon nombre de correspondants américains se retirent du reste du monde, comme l'a fait remarquer Florian Sauvageau, professeur au Département d'Information et communication, et directeur du programme de journalisme international.
Mondialisation bidon?
Lors de la table ronde qui a suivi la conférence d'Armand Mattelart,
les invités ont souligné ainsi les nouveaux défis posés
par l'accélaration des flux d'information. André Forgues,
directeur de l'information au Soleil, Renaud Gilbert, directeur exécution
du Réseau de l'information (RDI), Peter Kent, journaliste et présentateur
chez Global Television, Michel Roy, ancien éditorialiste à
la Presse et professeur-invité, apprécient unaniment la rapidité
de transmission de l'information permise par le progrès technologique.
Les images et les textes voyagent en un clin d'oeil sur Internet, les reportages
de l'étranger arrivent instantanément grâce aux satellites.
Pourtant, loin de s'ouvrir sur le monde, les médias se replient sur les informations locales ou nationales, car les faibles indices d'écoute ne les incitent pas à investir dans la couverture d'événements à l'étranger. Peter Kent, de Global Television, soulignait par ailleurs que la coproduction de reportages internationaux entre les réseaux privés permettrait peut-être aux chaînes de continuer à suivre l'actualité internationale. Le monde n'a jamais été aussi proche mais qui se soucie aujourd'hui de la guerre civile au Soudan, ou de l'agonie des Kurdes en Irak?