24 avril 1997 |
Il faut aider les Premières nations à se bâtir un avenir. Mais les défis économiques et culturels que l'opération représente sont à la mesure des problèmes: colossaux.
Coïncidence fortuite ou hasard bien orchestré? Le juge René Dussault, qui coprésidait la Commission royale sur les peuples autochtones, prononçait à l'Université Laval une allocution sur ce gigantesque exercice de cinq ans, le 17 avril, le jour même où des membres des premières nations manifestaient un peu partout dans le pays pour que le gouvernement fédéral donne suite aux recommandations des commissaires. Lors de cette conférence, organisée conjointement par la Faculté de droit et celle des Sciences sociales, René Dussault, ancien professeur à la Faculté de droit, a avoué bien candidement qu'il ne se doutait pas de l'ampleur du mandat qui l'attendait en commencant les travaux de la Commission, puisqu'il s'agissait de traiter aussi bien des revendications territoriales, du logement, des origines des premières nations, que des questions constitutionnelles ou des problèmes sociaux.
Cinq ans, 58 millions de dollars et 4 000 pages de rapport plus tard, la Commission royale propose, à travers une série de recommandations, d'établir de nouveaux rapports avec les autochtones. Selon René Dussault, il ne faut pas traiter ces derniers comme une minorité culturelle à intégrer dans la société canadienne ou comme un groupe uni d'intérêt. "La vraie question est celle-ci: veut-on leur donner de véritables moyens économiques après avoir détruit en bonne partie leur société?", interroge le juge.
"Ne rien faire, c'est déjà prendre une décision."
Les commissaires suggèrent donc de concéder aux premières
nations une certaine autonomie gouvernementale et, surtout, de les aider
à se bâtir un avenir. Bien sûr, cette réforme
majeure a un coût. La commission a chiffré que le budget des
Affaires indiennes devrait maintenir une augmentation d'un milliard de dollars,
comparé au budget actuel, pendant quinze ans. Une facture que d'aucuns
jugent exhorbitante en ces temps de restrictions budgétaires. René
Dussault soutient pour sa part que le statu-quo actuel risque de provoquer
un véritable apartheid social, et d'autre part fait remarquer que
d'ici quelques années le Canada ne pourra plus soutenir le financement
des réserves. Actuellement, près de 47 % des autochtones dans
les réserves perçoivent des prestations du Bien-être
social, un nombre sans cesse en croissance avec le nombre grandissant d'enfants
accédant à la majorité. Sans compter les coûts
reliés à la santé et à la justice, bien supérieurs
à ceux de la population non-autochtone pour ces sociétés
en quête d'identité. En 1996, le budget de dépense pour
les autochtones s'élevait ainsi à 13 milliards de dollars.
Pour en finir avec cette mentalités d'assistés à vie, le coprésident de la Commission royale prêche donc un nouveau partenariat avec les autochtones. Il suggère le versement de redevances aux nations sur leurs ressources, plutôt qu'un paiement monétaire aux individus. "Certaines mesures novatrices d'aide sociale ont été testées dans les communautés, explique-t-il. L'argent du gouvernement pourrait par exemple servir à financer la construction de maisons par les autochtones eux-mêmes, ou encore leur permettre de suivre des cours de formation." Les commissaires ont suggéré également une exploitation conjointe des ressources hydro-électriques ou minières, les grandes entreprises comme Hydro-Québec apprenant à tenir compte, dans leur mode d'exploitation, des particularités culturelles des premiers habitants du Canada.
Leur propre médecine
René Dussault sait très bien que les relations tendues avec
les autochones, qui dégénèrent souvent en conflits
armés comme à Gustafsen (C.-B.) ou Ipperwash (Ontario), ne
changeront pas du jour au lendemain. Des divergences d'opinion au sein même
de la Commission royale entre autochtones et non-autochtones ont d'ailleurs
provoqué un retard de plusieurs mois de la publication du rapport.
De vives discussions sur la participation des membres des premiers peuples
aux projets de recherche ont en effet poussé la Commission à
adopter un code d'éthique sur la conduite de recherche autochtone
qui est unique au monde. Les techniques d'entrevues ont été
revues à la lumière de cette autre vision du monde, et certains
projets d'études abandonnés, faute de chercheurs amérindiens
ou inuit. René Dussault et ses collègues ont donc pu apprécier
eux-mêmes la portée du défi culturel qui attend le reste
des Canadiens.