3 avril 1997 |
Des chercheurs identifient les facteurs qui influencent l'adoption de pratiques sexuelles sécuritaires chez des porteurs du VIH.
En 1994, il y avait, aux États-Unis et au Canada, un million de personnes séropositives. Un million de personnes qui, en dépit, - ou plutôt en raison -, de leur condition de santé souhaitaient vivre intensément leur vie, connaître l'amour, avoir des relations sexuelles... Pas facile évidemment quand on se sait porteur du virus du sida d'avoir une vie sexuelle "normale" même si, selon les spécialistes de la santé, la chose est possible à condition d'adopter des pratiques sécuritaires.
Afin d'élaborer des programmes d'intervention plus efficaces pour les personnes porteuses du virus du sida, un groupe de chercheurs de l'Université Laval a mené une étude auprès d'homosexuels séropositifs en vue d'identifier les facteurs qui déterminent leur intention d'adopter des pratiques sexuelles sécuritaires. Quatre-vingt-seize personnes séropositives recrutées dans des cliniques médicales de Québec et de Montréal ont participé à l'étude. "Ça n'a pas été facile de trouver des sujets, signale le responsable du projet, Gaston Godin, professeur à l'École des sciences infirmières. La difficulté vient du fait que ces personnes sont très sollicitées pour des recherches biomédicales et pharmaceutiques et que, dans le passé, ces expériences n'ont pas toujours été très probantes pour eux."
Derrière les intentions
Dans un premier temps, les participants ont complété un questionnaire
portant sur différents éléments influençant
leur intention d'adopter des pratiques sexuelles sécuritaires (avec
condom ou relations sexuelles sans pénétration anale) au cours
des mois à venir. Six mois plus tard, ils devaient répondre
à un autre questionnaire portant sur leurs activités sexuelles
des derniers mois. "Il faut préciser dès le départ
que la grande majorité des sujets avaient déjà adopté
des mesures sécuritaires compte tenu de leur état, dit Gaston
Godin. En fait, ils prennent beaucoup moins de risques que la moyenne des
gais."
Le principal facteur influençant l'intention d'utiliser le condom est la perception de contrôle sur le comportement, rapportent Gaston Godin et ses collègues Josée Savard (Psychologie), Gerjo Kok (U. de Limburg), Christian Fortin (Centre de santé publique de Québec) et Richard Boyer (Centre de recherche Fernand-Seguin) dans la revue Aids Education and Prevention. Moins un individu voit de barrières physiques ou psychologiques à l'usage du condom, plus son intention d'en utiliser est grande. "Certains craignent tout simplement de ne pas être en mesure de négocier si le partenaire refuse, dit Gaston Godin. Les habiletés pour négocier le port du condom et pour présenter sa séropositivité à un partenaire varient beaucoup d'une personne à une autre."
Comme à l'armée
Les deux situations lors desquelles les sujets craignaient ne pas être
en mesure d'utiliser le condom étaient claires: "ne pas avoir
de condom à portée de la main" et "tomber en amour avec
un beau gars". "C'est le cas du coup de foudre, de l'amour-passion
qui aveugle, qui fait perdre toute rationalité et qui conduit à
la perte de contrôle sur le comportement, explique Gaston Godin. Ce
n'est pas exclusif aux gais, ça peut frapper n'importe qui, n'importe
quand." Par ailleurs, l'intention d'avoir des relations sexuelles autres
qu'anales dépendait en grande partie des principes personnels, des
normes morales ou encore de ce qu'on appelle simplement le sens des responsabilités
face aux autres, poursuit le chercheur.
Comment ces résultats peuvent-ils se traduire dans des programmes d'intervention? "Il faut travailler à améliorer les habilités personnelles permettant de réduire les obstacles perçus, estime Gaston Godin. Ça peut se faire par des mises en situation dans de petits groupes de discussion. Les participants apprennent à présenter leur séropositivité à un partenaire et à négocier avec lui le type de relations sexuelles possibles. C'est une forme d'empowerment des hommes vivant avec le VIH et ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes."
Évidemment, il est plus facile de remplir un tonneau sans fond que de faire comprendre l'importance de rester rationnel à une personne qui est en amour par-dessus la tête. "Un programme d'intervention, dit Gaston Godin, c'est un peu comme l'entraînement militaire. Plus les gens vont anticiper des situations potentiellement dangereuses, plus les chances sont fortes qu'ils adoptent le bon comportement lorsque cette situation va se présenter. Mais, on ne peut jamais être sûr de rien. Quand les balles commencent à siffler, il y a des soldats bien entraînés qui jettent leur fusil par terre et qui se sauvent en courant."