3 avril 1997 |
Idées
La plupart des étudiants du secondaire détestent les cours d'histoire parce qu'on ne sait pas comment la leur raconter
L'émission Enjeux du 17 mars dernier a fait ressortir les carences des jeunes collégiens, tant ceux du Québec que ceux de l'Ontario, concernant les connaissances de l'histoire de leur pays. Une fois passées les étapes du rire et de la consternation devant ces constats d'ignorance, il importe de repérer les raisons qui peuvent les expliquer et de proposer des solutions.
Il n'est pas nécessaire de procéder à une étude sociologique à large échelle pour savoir que la majorité des étudiants québécois n'aiment pas (et dans certains cas détestent) l'histoire telle qu'elle est enseignée. Comment se fait-il que ce soit une des disciplines relevant des sciences humaines qui s'avère celle pour laquelle on est le plus réfractaire? Ne devrait-elle pas plutôt constituer une bouffée d'air frais au sein du cursus scolaire, entre l'analyse grammaticale et les calculs mathématiques? Or, il n'en est rien. Pour les jeunes, le cours d'histoire est synonyme d'ennui. Leur saturation proviendrait du trop grand nombre de dates et d'événements qui se révélerait, selon eux, un véritable "bourrage de crâne". Cette situation serait une conséquence d'un programme trop chargé pour le temps dont on dispose. Le peu d'engouement pour la matière expliquerait alors qu'on ne l'ait apprise qu'en fonction de l'examen et qu'elle soit, par la suite, vite oubliée. Mais voilà, cette ignorance a des répercussions.
Les Nord-Américains sont très souvent étonnés de la culture générale des Européens. C'est d'ailleurs celle-ci qui contribue au maintien du complexe d'infériorité, implicite, mais bien présent, des jeunes universitaires québécois face à leurs homologues français. Or, cette culture générale repose en grande partie sur des notions d'histoire acquises sur les bancs d'école. Le remède apparaît alors tout simple: faire correspondre le nombre d'heures d'enseignement de l'histoire que reçoivent les Québécois à celui des Français.
Cependant, la solution n'est pas aussi facile et un tel calcul ne tient pas compte du fait que les Européens naissent dans le berceau de la civilisation occidentale, ce qui n'est pas sans constituer un avantage majeur. Toutefois, le nombre d'heures supplémentaire permettrait aux professeurs de pallier certaines lacunes, car ils pourraient davantage présenter les événements dans leur contexte sociohistorique et mettre l'accent sur l'histoire sociale. Cela demeure néanmoins insuffisant. Pour susciter l'intérêt de jeunes âgés de 13 et 15 ans, il faut raconter des histoires, raconter des intrigues historiques. L'histoire cesserait alors d'être une nomenclature de dates et d'événements. Les jeunes pourraient ainsi parvenir plus facilement à faire des liens entre leur passé et leur présent et saisir la portée des enjeux sociaux auxquels ils sont confrontés.
Le fait de favoriser cette option pose un problème. Où trouver les heures manquantes si on ne veut pas augmenter le temps de présence en classe ? En termes plus clairs, quelles matières doit-on sacrifier? Les cours d'éducation au choix de carrières et de formation personnelle et sociale, entre autres, apparaissent tout désignés. Le premier se limite trop souvent à l'apprentissage d'une mémorisation bête du genre "donnez-moi la définition de taxidermiste" et le deuxième constitue un véritable fourre-tout qui se révèle souvent une perte de temps organisée dont les élèves sont (la loi du moindre effort prévalant) complices. Dans le meilleur des cas, ce dernier correspond à une période d'étude pendant laquelle les élèves en profitent pour faire leurs devoirs. Concernant le cours d'Éducation au choix de carrières, certains évoqueront sans doute l'utilité du test de Holland sur les types de personnalités pour procéder à un choix éclairé. Peut-être. A-t-on pour autant besoin d'utiliser 75 heures pour un test?
Bref, une histoire limitée à une nomenclature de dates et d'événements ne peut se révéler intéressante, surtout à des jeunes qui n'ont comme vision du monde que la dimension utilitaire de leurs apprentissages (au sens monnayable du terme). Une histoire dans laquelle on fait abstraction du social ne peut être qu'une histoire désincarnée, déshumanisée, et, par conséquent, inintéressante pour les élèves. Si un changement radical n'est pas apporté, on formera non seulement une autre génération de jeunes à la fois ignorants, mais également désabusés à la seule évocation de ce mot : histoire. Et ils auront raison de l'être.