3 avril 1997 |
Boucs émissaires de leurs compagnons de classe, les enfants "retirés" s'enfoncent encore plus loin dans la solitude.
À l'école primaire, qui n'a pas connu, un jour, la peur d'être choisi le dernier lorsque venait le temps de diviser la classe en équipes? Qui n'a pas craint d'être exclu des jeux de la cour de récréation ou encore d'être ridiculisé devant ses petits camarades? Ces tristes scénarios semblent être principalement le lot de deux types d'enfants: ceux qui sont agressifs et ceux qui sont "retirés socialement". Si les premiers ne paient, somme toute, que le juste prix de leurs actions, les enfants retirés, eux, écopent uniquement en raison de ce qu'ils sont. Cette "victimisation" les conduit à se sous-estimer et à éprouver une insatisfaction dans leurs rapports avec les autres, ce qui accroît leur sentiment de solitude et leur retrait social, révèlent deux études publiées récemment par Michel Boivin de l'École de psychologie et Shelley Hymel de l'University of British Columbia dans les revues Developmental Psychology et Development in Psychopathology.
"Les enfants retirés ont un vécu misérable à l'école, constate Michel Boivin. Ce sont des boucs émissaires, ils se font crier des noms et les autres enfants se liguent contre eux sans qu'ils n'aient rien fait pour le mériter. C'est cruel, injuste et désespérant mais c'est la réalité. Lorsqu'ils se retrouvent dans un groupe d'enfants agressifs, les enfants retirés se font blaster".
Les chercheurs arrivent à ces conclusions après avoir testé, auprès de 793 enfants de 8 à 10 ans fréquentant des écoles primaires de la ville de Québec, un modèle expliquant l'évolution de la perception de soi en fonction du vécu avec les camarades de classe. Chaque enfant devait identifier, à l'aide de photos des élèves de sa classe, ceux qu'il aimait le plus et ceux qu'il aimait le moins dans diverses situations sociales, ceux qui correspondaient le mieux à des énoncés sur l'agressivité et le retrait social et ceux qui formaient des groupes d'amis. Les enfants devaient également répondre à des questions portant sur leur perception des rapports qu'ils avaient avec les autres (solitude, conduite, popularité). Ceci a permis d'établir, pour chaque enfant, des indices de retrait social, d'agressivité et de popularité.
Plus les scores de retrait social et d'agressivité étaient élevés, plus la popularité de l'enfant était faible et plus la "victimisation" était grande, rapportent les chercheurs. "Les enfants renfermés et les enfants agressifs sont souvent marginalisés par les autres mais, contrairement aux agressifs, les renfermés ressentent plus la solitude et ils ont une vision plus pessimiste de leurs relations sociales, précise Michel Boivin. Les agressifs ont un réseau d'amis composé bien souvent d'autres enfants agressifs."
Le rejet par les pairs n'est pas seulement un indice de mésadaptation mais il joue aussi un rôle déterminant dans la dynamique de l'insertion sociale de l'enfant, ajoute le chercheur. Pour briser le cercle vicieux dans lequel s'enlisent progressivement les enfants retirés, Michel Boivin suggère d'associer chaque enfant retiré à un enfant populaire du groupe. "Il faudrait profiter du leadership et des comportements pro-sociaux des enfants populaires pour faciliter l'insertion sociale des enfants retirés."