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20 mars 1997 ![]() |
AUX MEMBRES DU COLLÈGE ÉLECTORAL
PAR SERGE GENEST
CANDIDAT AU POSTE DE RECTEUR
Mesdames, messieurs, chères-ers collègues,
J'ai pensé débuter cette présentation en empruntant à Gilles Vigneault une phrase lancée lors du lever de rideau d'un de ses récents spectacles. Il disait à peu près: "Je viens à vous avec l'enthousiasme de construire quelque chose avec vous."
C'est en effet au projet de construire quelque chose ensemble que je vous convie au cours des minutes qui vont suivre et, je l'espère, aussi au cours des cinq prochaines années, si vous acceptez d'appuyer les orientations que je vous propose lorsque viendra le moment de voter.
D'entrée de jeu, je vous dirai que je crois que nous avons finalement accepté qu'il est terminé le temps où l'Université Laval pouvait se contenter d'être là en tant qu'institution, qu'organisation posée dans une espèce de sereine éternité. Nous avons enfin compris qu'il n'est plus soutenable de nous donner de nous-mêmes l'image d'une machine bien huilée qui n'a guère à se soucier des changements qui s'opèrent dans son environnement.
Cependant, nous refusons encore de reconnaître qu'il est également révolu le temps où l'Université Laval régnait en aristocrate tranquille sur la formation supérieure dans l'Est du Québec. Notre réflexe institutionnel reste le maintien du concept de "l'université complète." Et cette attitude pourrait entraîner notre marginalisation dans le réseau des universités québécoises. Car, que cela plaise ou non, nos institutions universitaires sont liées plus que jamais en un système de compétition-complémentarité dont nous devrons désormais tirer toutes les conséquences.
Et la première des conséquences sur laquelle j'ai fortement insisté au cours des dernières semaines, c'est la nécessité de renforcer notre cohésion interne à la fois pour affronter la compétition, et pour mieux nous situer dans le réseau des universités du Québec. Et ce renforcement passe par:
1. l'amélioration du climat de travail
2. de meilleures structuration et organisation de nos programmes de formation
3. la priorité accordée au rapport professeures- eurs/étudiantes-ants
4. le resserrement entre nos programmes de recherche et nos programmes de formation.
1. J'ai clairement indiqué dans des rencontres publiques et aussi par écrit que c'est par les ressources humaines en premier lieu que passe la construction de notre cohésion interne. Ce qui, dans mon esprit, implique que le leadership que je vous propose s'appuie d'abord sur le respect des personnes avant de penser à la création de comités, aux modifications de mandats ou de structures, ou à toute autre solution à caractère "technique."
Car, si j'ai bien compris le message que j'ai reçu des personnes que j'ai rencontrées durant les derniers mois, ce qu'elles recherchent, c'est un recteur offrant une vision des grandes orientations dans lesquelles doit s'engager notre institution, plutôt qu'une personne qui proposerait un ensemble d'actions entreprises à la pièce.
Évidemment, je suis parfaitement conscient qu'assurer le respect des personnes (celles qui étudient chez nous autant que celles qui y travaillent) ne va pas de soi. Je suis toutefois intimement persuadé que nous maintiendrons un discours creux sur la fierté, sur le sentiment d'appartenance si nous ne commençons par tout mettre en oeuvre pour que les membres de la communauté universitaire sentent qu'elles/ils sont appréciés dans ce qu'elles font. Car, faut-il le rappeler, la motivation, la responsabilisation s'édifient pour une bonne part sur le sentiment que les gens ont d'être utiles et respectés.
Je propose donc diverses mesures ayant pour objectif de renforcer notre solidarité et notre climat de travail:
. des rencontres publiques périodiques ouvertes à toute la communauté universitaire dans lesquelles le recteur échangera avec toutes les personnes présentes sur les problèmes qu'elles rencontrent dans notre institution mais aussi sur les solutions qu'elles peuvent apporter à la résolution de ces difficultés.
. des visites régulières des unités d'enseignement et de recherche, des divers services, par le personnel du vice-rectorat aux ressources humaines pour mieux connaître les satisfactions et les insatisfactions rencontrées dans les activités de ces unités et réagir rapidement et de façon appropriée si des problèmes surgissent.
. la mise en oeuvre de projets visant à améliorer l'environnement physique de travail et d'étude.
2. Notre cohésion interne passe également par l'élagage de nos programmes de formation, comme je l'ai aussi indiqué dans mes interventions publiques.
Il nous faut préparer l'avenir en matière de programmes de formation à l'Université Laval. Et que doit-on anticiper pour les prochaines années?
Premièrement, des ressources financières limitées; deuxièmement, un ensemble de conditions qui nous obligent à penser nos programmes en rapport avec ceux qui existent autant dans les cégeps de la région que dans les autres universités.
Bien sûr, nous devons continuer de faire valoir que nous sommes et demeurons la plus grande université de l'Est du Québec. Mais évitons de nous laisser bercer par cette mélodie un peu facile. Réfléchissons davantage en termes d'espace à occuper dans un contexte de complémentarité des programmes du réseau des universités au Québec.
Je vous propose donc:
. d'établir ensemble, à brève échéance, nos priorités institutionnelles en matière de formation à tous les cycles pour être prêts à faire des propositions aux autres institutions du réseau universitaire au moment de construire la complémentarité à laquelle nous sommes déjà conviés.
. de mettre au point des cheminements alternatifs au baccalauréat spécialisé comme fondement des études de premier cycle
. de proposer une série de mesures aux autres institutions du réseau universitaire pour favoriser la mobilité des étudiantes-ants et des professeures-eurs entre les universités du Québec
. d'accroître les liens entre programmes de recherche (qui incluent la commandite et la coopération internationale) et programmes de formation aux 2e et 3e cycles, particulièrement dans nos champs d'excellence. Des programmes de formation plus performants attireront plus facilement des étudiantes-ants d'ailleurs.
Sur cette question j'ouvrirai la parenthèse suivante. Certes, il faut que nous soyons actifs pour recruter ailleurs dans le monde des étudiantes-ants de fort calibre pour nos programmes. Cependant, je vous rappelle que ce sont la réputation d'une institution, la qualité de ses programmes et de ses professeures-eurs qui orientent le choix des étudiantes-ants. C'est donc sur la qualité de nos programmes d'études supérieures (leur structure et leurs ressources professorales) qu'il faut mettre l'accent avant de penser aux mécanismes de sélection des étudiantes-ants.
J'ajouterai que la personne qui juge approprié d'effectuer ses études doctorales dans un autre pays accepte également de se plier aux exigences linguistiques, académiques et culturelles que ce choix implique. S'inscrire à Laval doit avoir entre autres conséquences d'accepter d'étudier et d'écrire en français.
. au chapitre de la formation toujours, je vous propose de construire plus systématiquement et stratégiquement nos interventions en matière de formation sur mesure (formation continue, enseignement à distance, par courrier, par internet ou par télécopieur). En ce domaine de la formation comme dans les précédents, ce serait fausse représentation que de répondre à toutes les demandes. Il faut donc choisir. Mais pour faire des choix rentables, il faut structurer notre offre et le faire avec une certaine planification. Puisque nous aurons à dégager des priorités dans nos programmes réguliers, je vois mal comment nous pourrions en faire l'économie dans les programmes de formation sur mesure.
L'Université Laval s'enorgueillit à juste titre des succès remportés en recherche. En tant que chercheur, je suis sensible à l'importance d'un appui institutionnel pour les groupes et les centres de recherche.
3. Un autre facteur essentiel au renforcement de notre cohésion interne, c'est le recentrage de la formation universitaire sur la relation maître-élève. J'ai aussi fait connaître publiquement ma position sur cette question. Je n'ai donc pas l'intention d'y revenir ici.
Je vous propose:
. de déployer diverses stratégies visant à faciliter des contacts directs et personnalisés entre les professeures-eurs et les étudiantes-ants.
4. Mais j'ai également signalé précédemment l'intérêt que j'accorde au fait de lier le plus adéquatement recherche et formation. Bien sûr, je conçois qu'il ne soit pas possible, peut-être même non souhaitable, que cette relation se fasse mécaniquement, i.e. comme une sorte d'obligation.
Toutefois, l'excellence de nos programmes de recherche contribue au renom de l'Université et devrait faciliter le recrutement d'étudiantes-ants de fort calibre dans les programmes de formation qui leur sont associés. Encore faut-il que ces programmes existent.
Par ailleurs, certains de nos programmes de recherche reçoivent financement sous forme de commandite, d'autres dans le cadre de la coopération internationale. Les ressources humaines et matérielles de l'Université sont ainsi mises à profit pour les organismes ou les institutions qui financent ces travaux. Nous devons donc nous assurer que l'Université recevra les retombées attendues de telles alliances. Et, en tant qu'institution de formation supérieure, c'est au niveau des programmes de formation que nous devons orienter ces retombées.
Et qui dit formation, dit souvent implication des étudiantes-ants dans les recherches des professeures-eurs. Il faut s'assurer que leur travail soit reconnu.
En matière de recherche, je propose donc:
. de renforcer les liens entre programmes de recherche et programmes de formation, particulièrement pour les programmes de recherche les plus performants et d'accorder un appui institutionnel prioritaire à ces activités
. de prendre les mesures appropriées pour assurer le respect des règles d'éthique de la part des professeures-eurs en matière de protection de la propriété intellectuelle des travaux effectués par les étudiantes-ants dans le cadre de leur formation.
Évidemment, l'université n'est pas qu'une organisation fonctionnant en vase clos. Sa mission même d'institution de formation supérieure l'oblige à maintenir des liens avec l'extérieur, autant internationalement que dans l'environnement plus immédiat dans lequel elle se situe. Je crois que nous cernons aujourd'hui mieux que jamais l'importance de ces rapports.
Ainsi, en plus de travailler avec vous au renforcement de notre cohésion interne, dans nos relations extérieures, j'entends mettre l'accent sur:
. nos rapports avec les universités québécoises et les cégeps
. nos rapports internationaux de coopération
. nos liens avec les organismes de la région
À quelques reprises j'ai fait référence à l'importance de développer des liens avec les autres institutions universitaires de notre région et aussi avec les cégeps. Je n'entends pas m'y arrêter davantage.
Je propose donc:
. de poursuivre et d'intensifier le travail de jonction sélective de nos programmes et de concertation avec le réseau des universités et avec les cégeps de la région.
Par ailleurs, si le haut lieu de production et de transmission des connaissances qu'est l'université renonce à l'universalité, i.e. à l'ouverture sur le monde, aussi bien abandonner d'emblée l'idée même de formation universitaire. C'est pourquoi je crois fermement à l'importance des rapports de coopération internationale entre universités et aux échanges qui peuvent en résulter.
Cependant, en cette matière comme dans toutes les autres, nous sommes invités à un travail de systématisation et de planification qui engendreront quelque efficacité. Éviter de multiplier les accords-cadres, mais s'engager à fond avec les institutions et les programmes adéquatement sélectionnés.
Des programmes d'échanges ciblés avec des institutions partenaires françaises et américaines existent déjà. Je crois qu'il faut poursuivre sur cette lancée et développer davantage ces activités qui, pour le moment, impliquent surtout des étudiantes-ants. Elles pourraient inclure des professeures-eurs.
Je vous propose donc:
. d'accroître le développpement de programmes d'échanges institutionnels fonctionnels, impliquant professeures-eurs et étudiantes-ants.
Tout comme nous devrons planifier et structurer nos activités dans le domaine des échanges internationaux, nous aurons aussi à le faire en matière de services proposés à la collectivité.
J'ai déjà avancé l'idée que l'Université puisse, à chaque année, présenter des offres de service à la collectivité dans le cadre de ses programmes de formation. Ces activités feraient partie de la charge de travail des professeures-eurs, serviraient à la préparation de diplômes pour les étudiantes-ants et viendraient répondre aux problèmes soumis par différentes organisations à des coûts minimes, voire gratuitement.
Je crois que tout le monde y trouverait son compte et que l'Université manifesterait ainsi sa préoccupation de bâtir des liens avec le milieu.
Que faut-il envisager par ailleurs en matière de financement. Tout d'abord, je prends acte, comme tout le monde, que nous avons convenu et accepté que nous faisons face à un déficit de trente et quelques millions pour 1997-1998.
Devant une dette semblable, quels sont nos recours? Faut-il penser à la loterie? Aux maisons de finance? Je vous dirai que, personnellement, je ne suis pas porté vers les jeux de hasard et que j'ai une méfiance qui remonte à mon enfance envers les compagnies de finance. Alors, quoi d'autre?
Et bien, je crois qu'il ne nous reste à ce moment qu'à retourner vers notre créancier pour négocier avec lui l'étalement de notre dette. Chemin d'ailleurs déjà emprunté ces jours-ci par les administrateurs universitaires. Ensuite, avec ce créancier, l'État, qui est en même temps notre financier principal, il faut revoir les règles d'attribution des fonds qu'il nous alloue. Question sur laquelle un comité doit donner avis dans quelques semaines. Il faut donc attendre les suites de ce travail.
Mais nous devons également chercher à équilibrer notre budget. Et cette recherche d'un équilibre budgétaire passe
. par nos sources de revenus
. par la réduction de nos dépenses
. par la réorganisation de nos activités de formation et de recherche
Les sources de revenus. Les frais payés par les personnes qui s'inscrivent dans nos programmes constituent, nous le savons, une source de revenus essentielle. Or, notre financier a décidé de refuser d'accroître le niveau de cette rentrée de fonds pour le moment.
Il y a aussi les sommes qui nous viennent des retombées des programmes de formation sur mesure. Une somme de 4 ou 5 millions qui peut certes aider à résorber le déficit mais qui a aussi ses limites.
A vrai dire, il n'y a pas vraiment d'issue du côté de la recherche de revenus, à moins de transformer la mission même de l'université, celle d'être un service public de formation supérieure. Et le discours de plus en plus entendu sur la place publique de recourir au secteur privé pour compenser le désengagement de l'Etat ne fait en réalité que remplacer un créancier par d'autres tout autant préoccupés sinon davantage des remboursements de dettes!
La réduction des dépenses. Durant les dernières années, l'Université a cédé plusieurs services au secteur privé. Quelques autres ont mandat de s'autofinancer. Enfin, pour les services plus directement liés à la formation, il se peut que des formules de gestion en commun avec d'autres institutions entraînent des économies d'échelle. Mais ces actions ponctuelles ne combleront pas le déficit à elles seules. Et il y a également certaines dépenses incompressibles, liées au prix du marché en vigueur (v.g. électricité, chauffage). La marge de manoeuvre me semble ici plutôt limitée.
La réorganisation de nos activités. J'ai suffisamment insisté sur la nécessité de revoir l'ensemble de nos programmes et de penser nos activités de formation et de recherche en rapport avec les autres institutions pour ne pas avoir à y revenir longuement ici.
Bien évidemment, les résultats de telles transformations ne sauront se faire sentir, à mon avis, que sur 3 à 5 ans. Je suis toutefois persuadé que c'est en nous imposant cet exercice ensemble maintenant que nous saurons affronter le plafonnement des inscriptions, des frais de scolarité gelés ou légèrement en hausse et une subvention gouvernementale dont la tendance est à la stagnation, sinon carrément à la baisse.
Il faudra à coup sûr poursuivre le dialogue avec les syndicats et les associations professionnelles pour trouver des moyens de faire face au déficit actuel et pour éviter de le creuser davantage.
Malgré le caractère délicat et difficile d'un tel exercice, je crois que seule une réorganisation de nos activités nous permettra de respecter notre engagement envers les personnes inscrites dans nos programmes et de maintenir les services et les ressources humaines nécessaires à la formation et à la recherche en proportion et en qualité équivalentes à ce que nous connaissons présentement.
Je désire finalement vous réitérer que je fonde toutes les réflexions qui précèdent sur la reconnaissance de la diversité comme principe premier de l'organisation universitaire. Cependant, ces différences doivent servir de moteur plutôt que de frein au développement de l'Université. Respecter la diversité n'équivaut pas, dans mon esprit, à reconduire des privilèges, à accepter les passe-droits ou à renforcer les inégalités déjà inhérentes à l'acceptation de la diversité.
Je m'en voudrais de mettre un terme à cette présentation sans redire mon attachement profond à l'Université Laval. Je sais que je partage avec beaucoup d'autres personnes le sentiment d'appartenir à une institution qui, grâce aux personnes qu'elle a formées, a largement contribué à faire du Québec ce qu'il a été et ce qu'il est.
Mais j'ai aussi l'impression que nous avons tendance à sous-estimer nos capacités de changement, peut-être à cause de notre histoire, justement. Et cette attitude nous rend collectivement un peu frileux.
Il nous faut en fait "résister à la banalité de ce monde", comme l'exprimait un écrivain russe interwiewé récemment à la radio. Personnellement, je mise beaucoup sur notre dynamisme et notre créativité pour trouver des solutions appropriées à nos problèmes. Et je compte bien m'appuyer sur ces atouts.
En tant que recteur, je me tournerai vers les membres de la communauté universitaire encore davantage que cela ne fut fait dans le passé et de façon plus soutenue pour solliciter des avis, pour recueillir, auprès d'individus ou de petites équipes, des propositions de solutions aux difficultés qui ne manqueront pas de survenir.
J'ai le goût de l'Université. J'ai le goût de l'Université Laval et je souhaite que ma passion soit contagieuse. Je me remémore souvent cette phrase d'Albert Camus qui a écrit quelque part que "la pire tentation de l'homme, c'est l'inertie." Je crois qu'il n'en tient qu'à nous de ne pas nous laisser emporter par la tentation de l'inertie. C'est précisément ce à quoi je vous convie en vous demandant de m'élire comme recteur.
Ce que je vous propose, je le synthétiserai donc en trois grandes orientations: 1) travail d'animation pour bâtir une plus grande cohésion interne; 2) construction de liens multiples avec les universités, ici et ailleurs, pour nourrir l'universalité nécessaire à la vie de notre université; 3) implication de l'Université Laval dans notre région.
Et pour atteindre ces objectifs, je vous promets de mettre rigueur, dynamisme et ouverture d'esprit au service des personnes qui, comme moi, feront le pari de la solidarité et des gestes concrets pour la manifester.
Mesdames, messsieurs, je vous remercie de votre bienveillante attention et je tenterai de répondre à vos questions au meilleur de ma connaissance.