20 mars 1997 |
Quelles sont les tâches que nous devons attendre, en tant que communauté, du prochain recteur à prendre la tête de notre institution? C'est ce dont je veux aujourd'hui vous entretenir. En effet, au-delà des débats d'opinion sur des thèmes choisis, au-delà des contraintes budgétaires qui auront certes une influence manifeste sur le quotidien de l'université au cours des prohaines années, il importe de mettre de l'avant ce qui est appelé à être les priorités, non seulement du recteur, mais aussi de l'université au complet.
1. Accroissement du rôle des étudiants
Le recteur qui nous fera entrer dans le prochain millénaire ne doit
pas parler des étudiants comme d'une clientèle; il risquerait
de ne voir que des consommateurs prêts à acheter à n'importe
quel prix ce qui lui fait envie... De là à augmenter les frais
de scolarité, il n'y a qu'un pas...
L'étudiant est un partenaire, un membre à part entière de la communauté universitaire. Par le nombre et par définition aussi, les étudiants sont l'essentiel de l'existence même de l'université. Leur influence, hélas, n'est pas à la hauteur de l'importance qu'ils devraient avoir. Cessons de prétexter leur indifférence, leur peu de disponibilité ou leur inexpérience pour excuser le peu de cas que l'on fait d'eux. Cela ne fait que conforter l'idée un peu simpliste que trop d'adultes bien pensants se font du rôle de chacun: que les administrateurs administrent, que les enseignants enseignent et que les étudiants étudient!
Les étudiants sont capables d'exprimer leurs idées, d'explorer des avenues nouvelles, de proposer des solutions originales ailleurs que dans les cafés pour peu qu'on leur en donne la chance et la responsabilité. L'implication étudiante peut être bénéfique pour l'université, pour la société dans laquelle il évolue, pour lui-même tout autant. Ce n'est pas perdre son temps que de consacrer quelques heures à une réflexion sur les problèmes du moment et aux solutions à y proposer, d'en discuter, d'en découdre même, de contribuer à résoudre ces problèmes dans le respect de la collectivité.
Il faut cesser de croire que ceux qui sacrifient du temps à diverses associations sur ce campus ou acceptent diverses responsabilités à quel que niveau que ce soit, sont soit des critiqueurs et critiqueuses malveillants soit des gens qui aiment perdre leur temps qu'il ferait mieux de consacrer à étudier. Il y a longtemps que l'étudiant d'aujourd'hui a appris à concilier des intérêts différents. Les coûts de sa scolarisation l'y ont obligés. Tirez au moins profit de ce que vous l'avez obligé à devenir: débrouillard à l'excès, ouvert d'esprit, organisé, inventif, solidaire. Et qui d'autre que l'étudiant peut apporter rapidement des informations pertinentes pour discussions en vue de résoudre un problème auquel lui ou ses ami(e)s sont confrontés?
J'ai dit mon souci de voir augmenter la représentativité des étudiantes et des étudiants. Je voudrais ici préciser que 35000 des 45000 personnes oeuvrant à l'université sont des étudiants. Malgré le rôle de chacun, n'y aurait-il pas lieu d'augmenter les représentants de cette masse d'étudiants au Conseil universitaire?
Il me semble que si les étudiantes et étudiants étaient plus nombreux sur les comités d'attribution des fonds de soutien à la maîtrise et au doctorat il y aurait moins de risque d'apparence d'injustice et de conflits d'intérêts d'une part et que d'autre part il serait plus aisé de réglementer la part de travail qu'on attend des bénéficiaires de ces fonds. Il appert qu'on ne demande rien aux uns quand d'autres sont écrasés sous le poids des exigences qu'on leur impose... Où est la norme?
2. Pédagogie
Les taux d'abandon et de décrochage à l'unversité restent
fort alarmants. Les changements de programme et d'orientation sont surprenants.
Enfin, bien que plus difficilement perceptible, il y a aussi le décrochage
d'intérêt. Nombre d'étudiants ne sont plus intéressés
au programme qu'ils ont choisi, l'intérêt pour la matière
ayant disparu. Puis-je encore demander aux professeurs de veiller à
ce que leurs cours paraissent toujours pertinents à la formation
de leurs élèves? Et, de fait, s'il existe des cours inutiles
ou que l'élève perçoit comme tels, il est grand temps
qu'on y réfléchisse... et qu'on réagisse. Peut-être
existe-t-il des moyens permettant de surmonter ces problèmes?
Les comités de programme doivent avoir un rôle accru dans l'évaluation des professeurs et des cours offerts aux étudiants. Ils doivent entendre ce que les étudiants ont à dire en ces domaines, notamment par le biais d'une évaluation qui seraient effectuée par eux au tiers de la session, une méthode ayant fait ses preuves dans d'autres institutions universitaires afin de corriger nécessairement ce qui doit l'être le plus rapidement possible. Un soutien accru pourrait également être sollicité auprès du Réseau de Valorisation de l'Enseignement ou des bureaux de soutien pédagogique qui devraient idéalement exister dans toutes les facultés.
Un moyen d'améliorer la qualité des cours et l'aide à fournir aux étudiants, c'est également d'augmenter le nombre d'auxiliaires de cours dans les grands groupes pour que l'étudiant puisse sans peine poser des questions, s'exprimer à l'aise, recevoir une aide rapide, choisir son interlocuteur, etc.
Par ailleurs, le nouveau recteur devra faire la preuve que l'université n'a pas pour objectif exclusif de décerner à l'étudiant un papier d'études supérieures. Il lui faudra également s'assurer qu'on ne doive pas retourner au Cégep après l'université pour augmenter ses chances sur le marché du travail.
Il devra démontrer une grande sensibilité à la pédagogie et une ultra-sensibilité à la qualité de la formation de tous les étudiants. Il lui faudra se souvenir toujours que l'université existe par et pour les étudiants et qu'elle doit retourner à la société qui les ont soutenus des hommes et des femmes préparés à faire progresser cette société. L'université ne doit pas se contenter d'y parvenir juste pour un certain nombre, mais bien pour la majorité.
Par exemple l'Université Laval, à mon humble point de vue, devra s'éloigner d'un certain conservatisme, s'il limite le progrès, et d'un certain protectionnisme réducteur qui la rend parfois allergique aux études poursuivies dans d'autres universités, et surtout éviter que soient minimisés, dans certaines facultés, les résultats des cours suivis dans la faculté voisine, sur notre propre campus. Notre université a, en outre, beaucoup de difficultés à reconnaître comme pertinente une expérience de travail pourtant significative, surtout si l'étudiant l'a acquise sans que l'université ait eu à l'encadrer.
3. Soutien aux étudiants
Aujourd'hui avoir un emploi représente déjà un défi,
un bon emploi, une suprême bénédiction. Depuis une vingtaine
d'années, l'université s'est donnée comme seule mission
d'aider les jeunes à y arriver. Pourtant ceux qui en sortent, un
bacc voir une maîtrise sous le bras, voient leurs belles espérances
et leur saine naïveté se heurter sur les récifs d'un
monde qui n'a plus besoin d'eux. Les caissiers des grandes surfaces de tous
les centres d'achat comme ceux des dépanneurs du coin sont presque
tous bachelières et bacheliers; pire, on ne devrait s'adresser à
certains d'entre eux qu'en les appelant «maître». À
quoi donc l'université les avait préparés, ces gars
et ces filles de bonne volonté?
Les contraintes actuelles sont difficiles à contourner. Nous ne pouvons retourner 20 ou 30 ans en arrière. La plupart des étudiants d'aujourd'hui ont besoin de travailler pour payer leurs frais de scolarité, assurer les vivres et le couvert, s'autoriser quelques loisirs, résistant parfois plutôt mal que bien aux attraits de notre société de consommation. Le futur recteur se devra de connaître toute cette problématique. Il devra favoriser, malgré ces contraintes, l'éveil de la curiosité intellectuelle, artistique, littéraire, politique, sociale. Le recteur doit être quelqu'un qui sait que l'étudiant d'aujourd'hui est très centré sur son cours, qui lui prend tout le temps et toute l'énergie que lui laisse sa nécessité de survivre. Il doit voir comment il pourrait s'en sortir si son cours, au bout de la course, ne lui donnait pas actuellement les moyens de réaliser ses rêves.
4. Mentorat
Tant qu'à y être, revenons aussi sur cette idée de mentorat
dont j'ai souhaité l'organisation ces derniers temps. Le nouvel étudiant
aurait tout avantage à pouvoir compter sur la présence d'un
guide attentif, d'un conseiller expérimenté pour accompagner
ses premiers pas, ses premiers choix à l'université. Ce pourrait
être un système de bénévolat ou quelque peu rémunéré.
Il appartiendrait au vice-président pédagogique des associations
départementales de recruter ces acolytes auxquels on assignerait
un groupe de nouveaux étudiants qui pourraient facilement se reférer
au mentor (ainsi qu'au groupe!) le temps de leur initiation à ce
monde qui reste autrement trop longtemps inconnu, impersonnel, compliqué.
5. Lien cégeps
Les étudiants de première année regrettent que l'université
n'ait pas fait savoir avec plus d'autorité aux cégeps que
l'étudiant devrait être fin prêt à utiliser la
technologie de l'information car les professeurs d'études supérieures
doivent utiliser ces outils pédagogiques devenus incontournables.
C'est pourquoi l'application pédagogique des ordinateurs oblige actuellement
les professeurs à initier de nombreux étudiants à l'utilisation
de ces outils, temps et efforts qui seraient mieux utilisés autrement.
Une université responsable doit aussi prévoir les besoins
de ses futurs étudiants et pouvoir influencer les prérequis
utiles à leur formation post-collégiale.
6. Étudiant$ étranger$
Un mot sur les étudiants étrangers inscrits à l'Université
Laval. Qu'on s'inscrive chez nous est une preuve du rayonnement international
de l'université Laval et de sa réputation dans le monde. L'accueil
et l'encadrement de ces étudiantes et de ces étudiants devrait
être une préoccupation prioritaire, notamment des mentors dont
j'ai souhaité l'existence plus haut. Il faut s'insurger avec énergie
contre la hausse des frais de scolarité imposée aux étrangers.
Une mesure discriminatoire, tout à fait inacceptable, de nature à
nuire à la capacité d'accueil des Québécois
et à leur ouverture sur le monde. Si on exige la réciprocité,
qu'on prenne le temps de la négocier sinon qu'on remette à
plus tard l'application de cette taxe déguisée qui nous déshonore.
7. « Rayonnement »
Je souhaite qu'on organise des bureaux de stage et de placement dans chaque
faculté, sinon dans chaque département, pour que les étudiants
trouvent vite et facilement les moyens d'y faire leurs premières
expériences de travail. Dans la même veine, l'université
devrait institutionnaliser son réseau de contacts avec tous les employeurs
potentiels qui accepteraient de façon quasi-officielle de participer
à la formation des futurs travailleurs et professionnels des différents
résesaux de travail.
D'autre part, recruter des étudiants dans les cégeps implique une ouverture sur ces institutions, ouverture propice à encourager les étudiants fréquentant ces établissement à faire le saut vers l'université Laval le temps venu. Pour les y convaincre, un moyen très simple: qu'on ouvre nos portes, facultés, institutions et associations.
Un plus grand partenariat avec le secteur privé reste essentiel.
Nos ressources humaines, professionnelles, techniques, logistiques, etc... devraient pouvoir facilement profiter aux organismes qui feraient appel à nos services.
Tant que le budget l'autorisera, notre université devrait aussi commanditer sur le campus les associations qui ont à coeur le mieux-être de leur membres et, hors campus, des événements sportifs et culturels complémentaires de la formation qu'elle dispense.
Par souci d'efficacité, l'université devrait se doter d'un guichet unique pour que quiconque, de l'intérieur comme de l'extérieur, souhaitant rejoindre une catégorie d'étudiants ou de spécialistes ou obtenir l'appui et l'aide de l'université puisse le faire sans avoir l'impression de devoir gravir l'Himalaya.
8. Propriété intellectuelle
Un autre problème délicat est cette épineuse question
de la propriété intellectuelle. Il faut dénoncer avec
véhémence ces pratiques où quelqu'un en autorité
s'approprie sous quelque prétexte que ce soit le fruit de la recherche
d'une étudiante ou d'un étudiant. Je répète
que ces pratiques immorales devraient aboutir sur le bureau d'un protecteur
universitaire investi, sinon d'un pouvoir exécutoire, au moins d'un
pouvoir de dissuasion indiscutable. Certains étudiants victimes de
ces pratiques osent s'en plaindre aux associations étudiantes des
études supérieures qui, s'ils ont un certain pouvoir de dénonciation,
n'ont pas expressément celui d'empêcher que le mal perdure.
Plusieurs craignant des représailles aux conséquences désastreuses
pour leur succès et leur avenir endurent en silence, mais n'en sont
pas moins révoltés par le laxisme entourant toute cette question.
Le futur recteur ne devra plus tolérer l'intolérable; s'il
faut des mesures prescrites pour décourager quiconque de s'adonner
à ces spoliations, j'encouragerais qu'on le fasse.
9. Réorganisation facultaire
La prochaine administration devra trancher sur l'à-propos des vélléités
de réorganisation facultaire. Pendant que la faculté des sciences
et génies prépare son divorce, la création d'une méga-faculté
des lettres et des sciences sociales risque également de faire son
apparition. Il faudra, en ces circonstances comme en toutes autres, bien
percevoir si les étudiants tireraient des avantages réels
et des profits évidents, en termes de formation, à ces réorganisations.
Il faudra aussi très certainement vérifier que les coûts
de ces changements valent, à court comme à long terme, les
bienfaits qu'on prétend obtenir, ce qui est loin d'être évident
actuellement. Non que je m'oppose aux changements mais le contexte socio-économique
empêcherait à coup sûr que tout ce qui paraîtrait
fondé sur des caprices ou le profit du plus petit nombre ne soit
écarté.
10. Organisation du travail
Il n'apparaît pas toujours très clairement que la hiérarchie
à l'université Laval soit nettement consciente de l'autorité
que chacun à son niveau doit exercer. Qui est le supérieur
immédiat? À qui chacun doit-il rendre des comptes? On a parfois
l'impression que du côté du patron on se renvoie le problème
de Caïphe à Pilate, incertain de l'autorité qu'on a pour
y faire face... N'est ce qu'une impression que ces passages à vide
quand on a de la difficulté à retrouver le responsable d'un
dossier, le patron d'un employé?
11. Finances et budget
On a beaucoup débattu, le temps de cette course au rectorat, des
difficultés qu'aura le futur recteur à équilibrer un
budget qu'il aura peine à ramener au déficit zéro comme
le voudrait sans doute, en très hautes instances (pas ici), ceux
qui prêchent par l'exemple mais nous privent des moyens d'y parvenir.
Je souhaiterais encore aujourd'hui la plus grande transparence. Ce n'est que tous ensemble, informés qu'on pourra faire face aux difficultés et trouver les solutions appropriées. Qu'on ne se borne pas, par pitié, à faire un lobby pour la promotion de la plus simple solution comptable: l'augmentation des frais de scolarité. L'universalité de l'accessibilité aux études supérieures est chaque fois discréditée. Car ceux que l'absence d'argent écarte ne sont pas forcément des cerveaux dont le Québec peut se priver pour l'avenir.
Continuons d'explorer, d'abord et avant tout, les moyens de réaliser des économies supplémentaires. Tous devront contribuer le cas échéant, surtout les mieux nantis plutôt que ceux qui ont pour eux le nombre et non pas la richesse. Disons-le: la solidarité l'exige. En ces temps difficiles, il faudrait tout de même voir à ce que la situation actuelle n'entraîne pas de coûts exorbitants pour ceux qui attendent aux portes d'être à l'abri des bourrasques annoncées. Puisque la plupart des étudiants travaillent, vous l'avez deviné, au salaire minimum pour plusieurs, nous serions donc en droit d'attendre du gouvernement une augmentation du dit salaire avant d'obliger l'étudiant à cotiser davantage, et encore, seulement dans la même proportion que cette augmentation.
Au nom de tous les étudiants que j'ai voulu représenter, et j'espère de tout coeur l'avoir fait avec le respect qui convenait, je souhaiterais en terminant revenir à un aspect du rectorat qui me tient à coeur: Le prochain recteur ne pourra prétendre à un discour, une vision rassembleuse que si il s'attarde à promouvoir une plus grande transparence des divers mécanismes de l'institution. Ce n'est en effet qu'en mettant à jour les mécanismes qui la régissent que l'on pourra prétendre remédier dans le meilleur intérêt de tous et chacuns les problèmes qui nous affligent actuellement.