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20 mars 1997 ![]() |
Lorsque Yvon Brochu, des éditions Héritage, s'est mis en quête d'un chercheur pouvant faire l'objet d'un roman-portrait destiné à des jeunes de 9 à 12 ans, il s'attelait à une lourde tâche. Pas facile, en effet, de trouver un chercheur capable de faire sa place parmi les autres personnalités figurant déjà dans la Collection en plein coeur: la biathlonienne Myriam Bédard, la danseuse de ballet Anik Bissonnette, l'astronaute Marc Garneau, les comédiens Francis Reddy et Marina Orsini et l'animateur Normand Brathwaite. Un passager rencontré par hasard dans le train Québec-Montréal allait résoudre son problème en lui soufflant le nom d'un chercheur hors de l'ordinaire: Jeremy McNeil.
"Quand on m'en a parlé du projet la première fois, raconte le professeur d'entomologie à la Faculté des sciences et de génie, j'ai demandé - Pourquoi moi? Je n'ai pas gagné le prix Nobel- . Aujourd'hui, ça me fait drôle d'être le héros d'un livre. Je suis habitué à ce qu'on parle de ce que je fais mais pas de ce que je suis. Même si je ne suis pas exactement un introverti, toute cette attention me gêne un peu."
Pour ce livre, qui se situe à mi-chemin entre la fiction et le documentaire, l'auteure¨, Isabelle Clerc, professeure au Département de langues et linguistique, pouvait difficilement trouver mieux que ce professeur d'entomologie qui, même dans la vraie vie, est tout un personnage. Coloré, provocateur, controversé, bref tout sauf ennuyant, Jeremy McNeil est un délinquant dans le monde conservateur de la recherche. Ce qui ne l'a jamais empêché de faire du bon travail si on en juge par la liste de ses publications et par les prix et médailles entomologiques dont il semble maintenant faire collection.
Le roman raconte la rencontre entre le chercheur et Anh Dao, une étudiante du secondaire qui a gagné un concours de journalisme lui donnant la chance d'interviewer des personnalités choisies par la maison d'édition Héritage en vue d'en faire des livres. Avec l'astronaute Julie Payette, l'affaire a été du gâteau mais voilà que sa deuxième assignation consiste à interroger un "bibitologue", un entomologiste, elle qui déteste les insectes. Elle craint donc de se retrouver face à face avec un vieux bonhomme ennuyeux et incompréhensible. Mais, à sa grande surprise, la voilà devant un "gypsy" aux yeux bleus et aux longs cheveux rassemblés en queue de cheval. Pourquoi avoir choisi une adolescente vietnamienne comme auteure fictive? "D'une part, c'était pour créer une certaine distance entre moi et le personnage afin d'éviter de faire ma propre caricature, répond Isabelle Clerc. Mais surtout, je souhaitais me rapprocher des enfants de mon conjoint qui sont d'origine vietnamienne."
L'ouvrage constitue un mélange de fiction et d'entrevues réelles servant à faire connaître aux jeunes en quoi consiste le travail de chercheur. "Le piège de ce genre d'ouvrage consiste à trop se concentrer à bien vulgariser et à oublier que l'on raconte une histoire, dit Isabelle Clerc. Il faut trouver le bon équilibre entre la fiction et la vulgarisation ce qui, pour ce livre, a exigé beaucoup de réécriture."
Écrire pour les jeunes et faire passer des concepts scientifiques tout en évitant d'utiliser des images trop simples ou trop complexes constitue un défi énorme, estime l'auteure. Afin de bien adapter le ton du roman au vécu des jeunes, elle est d'ailleurs retournée dans une polyvalente pour saisir leur réalité quotidienne et elle a testé plusieurs ébauches de textes sur les ados de son entourage ainsi que sur son fils de 10 ans. "J'ai gardé la curiosité et l'emballement des jeunes, et ça m'aide beaucoup lorsque j'écris pour les enfants", ajoute-t-elle.
La chimie science-roman semble produire un mélange explosif s'il faut en juger par la réaction des jeunes de 5e et 6e années de l'École Fernand-Seguin qui, à l'occasion du lancement du livre le 14 mars, ont accueilli Jeremy McNeil et Isabelle Clerc comme d'autres acclament le passage de vedettes rock. Il faut dire que Jeremy McNeil est un habitué puisque depuis une dizaine d'années, il rencontre annuellement entre 1 000 et 1 500 élèves d'écoles primaires du Québec pour leur parler des insectes et de son travail de chercheur en entomologie. "Quand je vais au centre d'achat, il arrive maintenant que des jeunes se retournent et disent à leurs parents: Regarde, c'est Bugman!"
Directrice du programme de rédaction technique, Isabelle Clerc dit ne pas craindre la critique de ses étudiants. "Je leur répète continuellement que la perfection n'est pas de ce monde. Je pense aussi qu'on ne peut pas bien enseigner la rédaction si on n'écrit plus. Et, écrire un roman-portrait pour des jeunes n'est certainement pas plus facile que d'écrire un article savant destiné à des spécialistes."
Jeremy McNeil chercheur et Anh Dao, Isabelle Clerc, collection En plein coeur, Les Éditions Héritage, 1997,146 p.
JEAN HAMANN