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20 mars 1997 ![]() |
LA GESTION UNIVERSITAIRE
PAR FRANÇOIS TAVENAS
CANDIDAT AU POSTE DE RECTEUR
Les défis de l'adaptation et de la maîtrise du changement se posent aux universités avec une acuité renouvelée et ils nous imposent de revoir nos modes d'organisation et de gestion pour valoriser la capacité d'initiative de la communauté universitaire et de chacun de ses membres et la flexibilité de l'organisation dans son ensemble. La période de croissance depuis les années 50 a vu les universités devenir de très grandes organisations avec ce que cela comporte de hiérarchisation et de complexification des processus administratifs. A l'aube du 21e siècle, nous devons revenir à nos valeurs fondamentales de soutien de la créativité individuelle en faisant évoluer l'organisation universitaire vers Un modèle de gestion décentralisée coordonnée.
Dans une grande organisation complexe et diversifiée comme l'université, tout concoure à favoriser une approche fortement décentralisée de la gestion:
- La force d'une université réside d'abord et avant tout dans la qualité et la créativité de son corps professoral et dans l'aptitude de chaque professeur à se maintenir aux avant-postes de sa discipline. Or un cadre administratif centralisateur conduit à des règles uniformes qui tendent à effacer les différences disciplinaires et crée un environnement dans lequel il est difficile d'exploiter pleinement cette créativité.
- L'environnement universitaire change de plus en plus vite, et de façon différente d'un secteur à l'autre de l'université. Pour donner à tous les professeurs les moyens de s'adapter aux caractéristiques changeantes de leur discipline, la décentralisation des processus de décision et de gestion est essentielle.
- Dans un environnement de plus en plus compétitif, il faut favoriser l'expérimentation de nouvelles approches et il faut accepter le risque. Dans une organisation bien décentralisée, on pourra bénéficier de la diversité des idées et des expériences pour progresser plus rapidement.
- Dans un contexte de ressources limitées, la décentralisation est un bon moyen de limiter la taille de la fonction administrative.
Dans ce contexte, j'endosse pleinement le choix institutionnel qui a été fait depuis deux ans par l'Université Laval d'aller vers une décentralisation plus grande de l'ensemble de ses processus de gestion. Fort de mon expérience dans un milieu universitaire fortement décentralisé, je me propose d'accompagner Laval jusqu'au bout de cette logique de décentralisation qui me semble parfaitement adaptée au contexte des années 2000.
1 - LE RÔLE DE L'ADMINISTRATION CENTRALE
Dans un système décentralisé coordonné, l'administration
centrale a pour responsabilité de: aider à formuler les valeurs
et la mission de l'université et à les traduire en grandes
orientations de développement, pour ensuite les publiciser et les
promouvoir pour le bénéfice de l'ensemble de la communauté
et de son milieu environnant; fournir aux gestionnaires locaux toutes les
informations nécessaires pour leur permettre de prendre des décisions
éclairées; orienter l'action des services administratifs de
manière à donner aux doyens les moyens d'agir dans le sens
de ces grandes orientations; allouer les ressources financières aux
unités en fonction de critères quantitatifs et surtout qualitatifs
basés sur la performance des unités; orchestrer les actions
de levée de fonds privés en collaboration avec les doyens;
enfin et surtout, de défendre les intérêts de l'université
auprès des gouvernements et sur la place publique.
2 - LE RÔLE DES DOYENS ET DES DIRECTEURS DE DÉPARTEMENTS
Les doyens doivent être des partenaires actifs de la gestion d'ensemble
de l'université, en collaboration avec l'administration centrale.
Je vois ce rôle s'exercer dans le cadre de réunions de travail
aux 15 jours entre les doyens et les vice-recteurs, les sujets à
l'ordre du jour étant choisis conjointement pour assurer une véritable
concertation. Je vois également ce rôle s'exercer par le biais
de réunions annuelles d'orientation et de planification.
Pour être en mesure d'assumer pleinement leurs responsabilités, les doyens doivent disposer de toute l'information pertinente sur les mécanismes de financement de l'université et sur les processus de répartition des ressources entre les unités et les différentes fonctions. Je compte prendre les mesures nécessaires pour que cette information soit mise à leur disposition.
Les doyens et les directeurs de département ont, comme tous les gestionnaires de l'université, une obligation de reddition de comptes. Je proposerai donc à la communauté universitaire la production de rapports annuels départementaux et facultaires qui serviront de support à cette reddition de comptes.
Les directeurs de départements sont les vrais gestionnaires de l'université décentralisée. Dans le contexte de ressources limitées que nous vivons, leur rôle est particulièrement difficile à assumer. L'université a la responsabilité de leur faciliter la tâche, en leur donnant une bonne formation à leur entrée en fonction, en leur fournissant toute l'information nécessaire pour prendre des décisions éclairées, et en leur offrant un encadrement continu. A cette fin, je demanderai aux vice-recteurs de mettre en oeuvre des mécanismes d'échanges réguliers avec les directeurs de département.
3 - LES PROCESSUS BUDGÉTAIRES
Pour assurer une utilisation optimale de ressources financières malheureusement
insuffisantes, il faut que les mécanismes d'allocation budgétaire
soient efficaces, transparents et bien compris de tous. Je compte poursuivre
et mener au bout de sa logique l'action de décentralisation des budgets
amorcée depuis deux ans. A cette fin, il me semblerait utile que
le processus budgétaire comprenne:
- une formule d'ajustement annuel des budgets des facultés sur la base des variations de leurs responsabilités d'enseignement et de recherche;
- un mécanisme annuel de redistribution d'une fraction du budget de fonctionnement (2 à 3%) en fonction de critères qualitatifs de performance des unités;
- pour les budgets qui doivent être gérés en partie de façon centrale, une approche à fonds partagés entre la direction de l'université et les unités;
- pour l'ensemble des processus, un mode de décision interactif basé sur des échanges d'informations complets et bidirectionnels, les décideurs devant être prêts à expliquer leurs décisions et, bien entendu, à en assumer les conséquences.
Pour mener à bien cette réforme, je proposerai au Conseil universitaire la création d'un Comité du Conseil dont le mandat sera de procéder aux analyses et consultations nécessaires pour préciser le nouveau processus d'allocations budgétaires dont je viens de décrire les grandes lignes. Pour assurer la coordination des travaux de ce comité avec les orientations de la direction de l'université, ce comité sera présidé par le Vice-recteur exécutif.
4 - INTERACTION AVEC LES MEMBRES DU PERSONNEL
Au moment où les ressources disponibles sont de plus en plus limitées
et où des choix difficiles doivent être faits, l'énoncé
clair de nos objectifs et la libre circulation de l'information sont des
facteurs primordiaux de développement de la solidarité nécessaire
entre toutes les composantes de la communauté universitaire. Dans
ce but, je compte:
- diffuser aussi largement que possible les informations essentielles sur le financement de l'université et sur les décisions budgétaires;
- maintenir, pour en faire une tradition, la pratique des visites annuelles de tous les départements par les membres de l'équipe de direction;
- tenir des rencontres annuelles entre le recteur et chacune des assemblées professorales facultaires, l'agenda étant fixé par la faculté;
- tenir des rencontres hebdomadaires du style "les petits déjeuners du recteur" avec de petits groupes de professeurs, choisis de façon aléatoire dans tous les secteurs de l'université et dont le but serait de permettre d'échanger librement sur l'université.
- examiner avec les représentants du personnel administratif la possibilité d'implanter un mécanisme de concertation entre eux et avec la direction de l'université pour améliorer nos processus administratifs.
5 - INTERACTION AVEC LES ÉTUDIANTS
Les étudiants sont la raison d'être de l'Université;
il est essentiel que le recteur consacre une partie de son temps à
être à l'écoute de leurs préoccupations. Je me
propose:
- de passer, à chaque trimestre, une journée dans "l'ombre d'un étudiant", pour partager sa vie et ses expériences en interaction avec l'université;
- de rencontrer sur une base mensuelle les présidents des associations étudiantes opérant au niveau de l'Université et de tenir une rencontre annuelle entre l'équipe de direction et les présidents de toutes les associations étudiantes;
- de mettre sur pied, au besoin, des comités conjoints direction - professeurs - étudiants pour étudier les grandes questions comme le financement des universités ou la qualité de l'enseignement.
6 - INTERACTIONS AVEC LES SYNDICATS ET ASSOCIATIONS DE PERSONNEL
Dans le contexte des contraintes budgétaires croissantes et de la
décentralisation, il faudra que les relations entre la direction
de l'Université et les syndicats et associations de personnels soient
marquées de la plus grande transparence possible; je compte y contribuer
dans toute la mesure de mes moyens.
Sans vouloir créer des interférences dans les processus normaux de négociation et de gestion des conventions collectives, je tiendrai, à intervalles réguliers, des rencontres avec les responsables syndicaux, individuellement ou en groupe, avec pour objectif d'échanger sur "l'état de la nation". Dans le contexte politique dans lequel nous devrons opérer durant les prochaines années, nous aurons besoin de concertation et de solidarité si nous voulons pouvoir protéger l'essentiel. Quand je regarde ce qui s'est passé depuis deux ans ailleurs dans le réseau universitaire québécois, je dois constater que les milieux universitaires se sont souvent infligés eux-mêmes le principe de diviser pour régner... ou plutôt de "se diviser pour laisser régner les autres!". Il est important que Laval évite ce piège funeste au moment où le gouvernement doit faire des choix difficiles et cherche des cibles affaiblies.
7 - RÉFLEXION SUR LES GRANDES ORIENTATIONS DE LAVAL
J'ai pris connaissance avec grand intérêt du "Rapport
de conjoncture" récemment publié. Les idées réunies
dans ce rapport sont largement concordantes avec ma propre vision des choses,
comme vous aurez pu le constater à la lecture de mes différents
documents.
Ceci dit, il faudra assez rapidement créer une dynamique autour des idées recueillies dans le cadre de ce rapport et dans le cadre de la campagne pour l'élection du recteur, pour en tirer un programme d'action accepté par la communauté. Je compte donc proposer la mise en place, dès les premières semaines de mon mandat à titre de recteur, d'une COMMISSION D'ORIENTATION, présidée par le recteur et dont l'objectif sera justement de préciser les éléments et les priorités de ce programme d'action.
8 - CONCLUSION
Comme toutes les grandes organisations aujourd'hui, l'Université
Laval est confrontée à un environnement rapidement changeant
dans un contexte de ressources limitées. Pour faire face, l'université
doit adapter ses processus de gestion pour exploiter pleinement la créativité
de tout son personnel et satisfaire la diversité des besoins de ses
unités tout en poursuivant une mission et des objectifs institutionnels
précis.
J'ai eu l'immense privilège de travailler comme professeur et comme gestionnaire académique dans deux grandes universités du Québec, Laval et McGill, dont l'une était fortement centralisée, l'autre décentralisée à l'extrême dans leurs philosophies de gestion. Ayant observé et participé au fonctionnement des deux systèmes, je suis convaincu que le système de gestion décentralisée répond mieux aux besoins de l'université moderne, sous réserve d'une bonne coordination. Je pense être bien préparé pour mener à bon terme l'évolution de l'Université Laval vers cette culture de gestion décentralisée coordonnée.
Certains pourront dire qu'avec le programme tracé ici, le recteur sera beaucoup occupé à des consultations internes. J'ai formulé mes propositions en toute connaissance de cause, sachant par expérience que le temps passé en consultations préalables est autrement plus efficace que celui imposé par la nécessité d'expliquer à posteriori ou de corriger les rumeurs.
Au moment où la confiance et le respect mutuel sont essentiels pour nous permettre de gérer le changement, c'est par un dialogue interne efficace que nous pourrons rester maître de notre environnement et de notre avenir, dans le respect de nos traditions.
Adresse électronique: http://www.qbc.clic.net/~tavenas/