6 mars 1997 |
Le débat beurre-margarine revient sur la table et le monde agricole du Québec fait une montée de lait.
Après dix années d'accalmie, le débat sur la coloration de la margarine refait surface. Le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, Guy Julien, a déposé en janvier une demande d'annulation du règlement exigeant que la margarine ait une couleur qui ne chevauche pas la palette de jaune réservée au beurre. Le geste du ministre vise à harmoniser la réglementation québécoise à celle en vigueur dans les autres provinces canadiennes de façon à respecter l'esprit de l'Accord sur le commerce intérieur qui prend effet en septembre. De façon prévisible, le monde agricole a fait une montée de lait promettant d'en faire voir de toutes les couleurs au ministre s'il ne révisait pas sa position.
"La coloration de la margarine, c'est une décision que le ministre Michel Pagé a prise en 1987, rappelle Jean-Claude Dufour, directeur du Département d'économie agroalimentaire et des sciences de la consommation. Auparavant, il n'y avait pas de réglementation et les producteurs de lait disaient que le beurre avait de la misère à se vendre parce que la margarine grugeait leur marché. Le règlement a donc été adopté parce qu'il ne coûtait rien et que ça faisait plaisir au monde agricole."
L'an dernier, l'Ontario a elle aussi aboli l'obligation de colorer la margarine. "Il semble que suite à cela, le marché du beurre a chuté et celui de la margarine a monté, signale Michel Morriset, directeur du Groupe de recherche en économie et politique agricoles. Est-ce que c'est dû à la coloration, on ne le sait pas. Il est très difficile d'isoler l'effet de la couleur de celui des autres facteurs (publicité, mise en marché) sur les ventes. Chose certaine, le fait qu'au Québec, le beurre a une couleur spécifique ne nuit certainement pas aux ventes. Mais, est-ce que ça aide vraiment, on ne le sait pas non plus."
Si le règlement est aboli, les margariniers vont rapidement faire glisser la couleur de leur produit vers la palette du beurre. D'une part, pour ne pas avoir à produire des stocks différents pour le Québec et les autres provinces et d'autre part pour séduire les consommateurs. "De toute évidence, les margariniers souhaitent que leur produit ressemble au beurre, dit Marie J. Lachance du Département d'économie agroalimentaire et des sciences de la consommation. Ils ne semblent pas réaliser que les gens consomment la margarine par choix, pour ses qualités propres, et non parce qu'ils la confondent avec le beurre."
Professeur au même département, Robert Romain croit que les margariniers ne mènent pas cette croisade uniquement pour la liberté de choix des consommateurs. "La couleur du beurre constitue un plus parce qu'elle laisse entendre que la margarine offre les mêmes qualités que le produit qu'elle copie en plus de conserver les qualités qui lui sont propres. À l'épicerie, les consommateurs ne peuvent pas se tromper mais ce n'est pas le cas dans les restaurants et les institutions (cafétéria, hôpitaux) où la margarine pourrait être substituée au beurre."
L'orgie d'études menées sur les vertus des deux produits pour la santé laissent les consommateurs sur leur faim. "À une époque, on nous a dit que tous les gras animaux étaient mauvais, ce qui était nettement exagéré, dit François Doré professeur au Département de pharmacologie. Certains gras animaux sont essentiels pour la santé, entre autres pour l'absorption de vitamines. L'être humain est le produit de l'évolution et, contrairement au beurre, la margarine est un produit totalement artificiel dont l'image santé est surfaite. À la maison, c'est moi qui fait la cuisine et j'utilise toujours du beurre."
"Les consommateurs ont été mal conseillés, croit pour sa part Jean-Claude Dufour. Ils ont écouté quelques médecins qui avaient des tribunes médiatiques plutôt que de suivre les conseils des nutritionnistes. Les recherches montrent maintenant que le beurre n'est pas si néfaste et que la margarine n'est pas aussi bonne qu'on le disait. Aussi bien les mettre de la même couleur", parodie-t-il, tout en confessant son amour du beurre et son indifférence face à la margarine.
Son collègue Robert Romain prône lui aussi l'abolition de la réglementation. "Le ministre devrait déréglementer tout simplement parce qu'il y a trop de réglementation présentement. Il est temps qu'on abolisse des barrières au commerce qui sont plus nombreuses entre les provinces du Canada qu'entre certains pays." Selon lui, l'abolition n'aurait pas un impact si grand sur les producteurs de beurre, elle les forcerait à faire leur mise en marché en tablant sur autre chose que la couleur de leur produit et les margariniers cesseraient de se plaindre. "Le problème vient du fait que la déréglementation fait perdre un acquis aux producteurs laitiers, et perdre des acquis, ça fait toujours mal."