6 mars 1997 |
Chez ce reporter sans frontières,
l'art du reportage de guerre confine au cauchemar.
Provocateur, exhibitionniste, clairvoyant, égocentrique, polémiste, témoin hors pair? les étudiants réunis le 20 février dernier à l'invitation de Florian Sauvageau, professeur au Département d'information et communication, ont tenté, le temps d'une conférence, de mieux cerner la personnalité de Paul Marchand. Depuis qu'il a publié son récit coup-de-poing, Sympathie pour le diable, son cigare, ses lunettes carrées et ses formules lapidaires envahissent le petit écran et les journaux. Loin de dissiper le nuage sulfureux autour du correspondant de guerre à Beyrouth puis Sarajevo, ce battage médiatique paraît encore accentuer le flou du personnage.
Devenu journaliste un peu par hasard après ses études, Paul Marchand a couvert pendant douze ans la guerre à Beyrouth puis le siège de Sarajevo, jusqu'à ce qu'une balle reçue dans le bras l'oblige à se retirer à l'arrière du théâtre des opérations, en octobre 1993. Pour lui, la correspondance de guerre pour des radios francophones constituait d'abord et avant tout un échappatoire à l'ennui qui le rongeait dans sa vie trop tranquille en France. En promenant sa longue silhouette de dandy sous les obus et les balles sifflantes des tireurs embusqués, il avait enfin l'impression d'agir véritablement.
"Dans un pays en guerre, les gens perdent le carcan imposé par l'éducation et les convenances, et deviennent vraiment naturels, très instinctifs, confie Paul Marchand. Mon titre traduit d'ailleurs l'ambivalence des humains, capables du meilleur comme du pire." Au milieu de 380 000 personnes enfermées dans une ville pendant plusieurs années, sans eau, ni gaz, ni électricité, le journaliste a reçu des leçons d'humilité et de solidarité, mais assisté aussi à des actes de bassesse ignominieux. Il a ainsi vu des hommes se battre pour laper l'eau des flaques de pluie, ou d'autres pleurer de joie devant le don de quelques tomates.
Parler à des murs
Pendant des mois et des mois, il a voulu informer ses auditeurs occidentaux
de la situation intenable de Sarajevo, et cherché sans cesse de nouveaux
superlatifs pour décrire l'horreur et l'inommable. Jusqu'à
ce qu'un jour, l'inutilité de son travail surgisse en pleine lumière.
"Avec d'autres correspondants de l'agence de presse Reuter et de CNN,
nous avons cessé d'envoyer des reportages car nous avions l'impression
de nous répéter, sans provoquer que de l'apathie en Europe
ou aux États-Unis, souligne Paul Marchand. Même si pour la
première fois, les moyens techniques nous permettaient de raconter
la guerre en direct, l'opinion publique n'a jamais réagi pour exiger
une intervention des gouvernements."
Loin de prêcher pour une prétendue neutralité journalistique, l'ancien correspondant de guerre revendique au contraire le droit à la compassion et le droit de juger les autres. Accusateur, il réclame la tête du précédent secrétaire général de l'ONU, Boutros-Boutros Gali, et celle du général français Janvier, qui ont laissé les hommes de l'enclave musulmane de Screbrenicza mourir désarmés devant les Serbes, alors que les Casques bleus devaient les protéger. Même si, aujourd'hui, Paul Marchand a perdu toute illusion sur le prétendu pouvoir de la presse sur le déroulement des conflits, il veut continuer à exercer son métier dans des zones en guerre pour au moins laisser une trace des événements dans l'histoire. Quelques décennies plus tard, il rejoint l'écrivain Albert Camus, très engagé dans le journal Combats, lorsqu'il déclarait que le journaliste était l'historien du présent.