6 mars 1997 |
La détresse psychologique et l'épuisement professionnel guettent celles dont la tâche consiste justement à soigner.
Chez les infirmières, la tension au travail est associée à un niveau élevé de détresse psychologique et d'épuisement professionnel, révèle une étude menée par une équipe de la Faculté de médecine auprès de 2 000 infirmières du Québec. Deux caractéristiques du travail des infirmières semblent particulièrement menacer leur santé mentale: la demande psychologique élevée (charge excessive de travail exigeant sur le plan intellectuel et réalisé sous pression) et la faible latitude décisionnelle. La combinaison de ces deux facteurs double le risque de détresse psychologique élevée et quintuple le risque d'épuisement professionnel. Voilà quelques-unes des constatations troublantes qui se dégagent du rapport sur l'impact de l'environnement psychosocial de travail sur la santé mentale des infirmières, signé par Renée Bourbonnais, Monique Comeau, Guylaine Dion et Michel Vézina.
Pour les besoins de l'étude, des infirmières de six hôpitaux ont répondu à un questionnaire à deux reprises, une première fois en 1994, puis une année plus tard alors que la réforme des soins de santé était enclenchée. Les données révèlent qu'environ le tiers des répondantes éprouvaient un niveau élevé de détresse psychologique. "Ce taux est comparable à celui des autres travailleuses québécoises mais une infirmière sur trois, c'est quand même élevé, souligne Renée Bourbonnais. Leur condition ne les empêche pas de travailler mais elle les prédispose à des problèmes de santé mentale plus graves".
Environ 66 % des infirmières montraient, à divers degrés, des signes d'épuisement professionnel et le problème atteignait un état de malaise très important chez 8 % d'entre elles. Par contre, seulement 4,4 % des répondantes avaient consommé des médicaments de type calmant ou antidépresseur au cours des deux jours précédant l'enquête, ce qui correspond à la moyenne de la population. Enfin, les infirmières qui vivaient davantage de tension au travail s'absentaient 20 % plus souvent pour maladie de courte durée. Les différents indicateurs de santé mentale n'ont pas bronché significativement entre 1994 et 1995 mais, précise Renée Bourbonnais, "la réforme commençait à peine et il est possible que l'écart se soit accentué par la suite." Les infirmières qui vivaient une tension au travail aux deux temps montraient une détresse psychologique plus élevée que leurs consoeurs.
Les suggestions d'amélioration aux conditions de travail formulées dans le questionnaire par près de 1 000 infirmières touchaient, en tout premier lieu, la demande psychologique de la tâche et le soutien social au travail. "Les infirmières se sentaient dépassées par la succession de tâches à accomplir dans un laps de temps trop court et, par conséquent, elles ressentaient la déshumanisation des soins offerts alors que le contact privilégié avec les patients est au coeur de la pratique infirmière hospitalière. Dans les six hôpitaux, la hantise face à la transformation du réseau a semblé occasionner les mêmes perceptions d'insécurité et de malaise. Ce contexte d'imprévisibilité et de pertes potentielles ou réelles d'acquis semble venir s'ajouter, chez les infirmières, à des conditions de travail exigeantes sur les plans physique et psychique, vécues dans un climat de prestation de soins où le potentiel de ressourcement est déficient", constatent les auteurs de l'étude.
Le rapport signale que, selon le National Institute for Occupationnal Safety, le poste d'infirmière compte parmi les 40 professions pour lesquelles la prévalence de maladies reliées au stress est la plus élevée. Les professionnels de la santé, dont les infirmières, ont un risque supérieur de suicide, d'épuisement professionnel, de consommation d'alcool et autres drogues. Enfin, les infirmières ont un taux supérieur d'admission à l'hôpital pour troubles mentaux.