6 mars 1997 |
En équilibre précaire entre l'héritage
marxiste et le virage capitaliste,
l'Empire du Milieu cherche sa voie.
Le 19 février, Deng Xiaoping rendait son dernier soupir, à l'âge vénérable de 92 ans. Bien que l'homme n'exerçait plus de fonctions officielles depuis 1990, sa mort a plongé dans le désarroi la population chinoise qui lui vouait un grand respect et un véritable culte, à l'instar de Mao. Responsable d'importantes réformes économiques, Deng Xiaoping laisse en outre dans le deuil un pays à idéologie marxiste résolument engagé sur la voie du capitalisme.
C'est justement là que se situe le problème, lorsqu'on s'interroge sur l'impact de la mort du "dernier empereur" sur l'avenir de la Chine, estime Zhan Su, directeur adjoint du GÉRAC (Groupe d'études et de recherches sur l'Asie contemporaine) et professeur à la Faculté des sciences de l'administration. En effet, comment concilier la doctrine marxiste-léniniste, basée sur la propriété collective, avec le projet capitaliste, fondée sur la propriété privée?
"Plaçant l'économie au premier plan des priorités nationales, Deng Xiaoping a réussi à naviguer entre ces deux idéologies, au cours des dix dernières années, a expliqué Zhan Su, lors d'une table ronde organisée récemment par le GÉRAC. Cette période est d'ailleurs caractérisée par des va-et-vient continuels quant à la voie à suivre. La Chine constitue actuellement un immense chantier de construction où beaucoup d'opportunités restent à exploiter. Mais qui dit chantier dit également désordre et le chantier initié par Deng Xiaoping ne repose sur aucun plan, la direction et les processus de réforme à emprunter n'étant pas clairement définis. La tentative d'essayer de développer la Chine se butte constamment à l'idéologie marxiste."
Le droit de survivre
Bien que certains progrès économiques aient été
réalisés, il reste beaucoup de problèmes de fond que
la disparition de Deng laissent en plan, selon Zhan Su. Par exemple, quelle
importance doit-on accorder aux entreprises étatiques? "Si la
Chine décide de se lancer dans un processus de privatisation, le
Parti communiste n'a plus sa raison d'être. Dans cette foulée,
un seul parti politique n'est plus possible. L'autre problème tient
à la distribution équitable de la richesse. Dans la société
égalitariste de Mao, tous les ouvriers d'une usine, par exemple,
recevaient le même salaire, qu'ils travaillent bien ou mal. Sous Deng
Xiaoping, on a tenté d'installer un système de motivation
en payant davantage les plus performants au travail. Cette situation peut
avoir comme conséquence d'accroître l'écart de revenus
chez les gens et donc, que la richesse soit distribuée de façon
inéquitable, avec tous les risques que cela comporte."
Selon le directeur adjoint du GÉRAC, la Chine est encore un pays du tiers-monde, 60 millions de ses habitants vivant au-dessous du seuil de la pauvreté, selon les quotas établis par le pays. Pour sortir de la misère, les Chinois n'ont évidemment qu'une idée en tête: s'enrichir. Même des groupes traditionellement revendicateurs comme les étudiants et les intellectuels se désintéressent de la politique, attirés par les possibilités d'ordre économique qui s'offrent à eux. Et si pour les Occidentaux, le droit fondamental est le sacro-saint droit de parole, les Chinois, eux, ne réclament qu'un droit: celui de survivre.