6 mars 1997 |
LE COURRIER
À M. PIERRE-ANDRÉ BOURQUE (PROFESSEUR EN COLÈRE)
La culture universitaire demande que l'on s'informe avant d'écrire et que l'on envoie une copie conforme à qui l'on s'attaque publiquement. Vous n'avez fait ni l'un ni l'autre, sans doute par souci pédagogique pour me permettre de répéter certains faits.
Les compressions budgétaires sont imposées par le gouvernement du Québec. Il a coupé 25 % de sa subvention de base en trois ans et il a, à toutes fins pratiques, gelé les autres sources de revenus. La direction de l'Université a réagi à cette décision fréquemment et les associations étudiantes se sont mobilisées contre cette façon de faire. Votre plume aurait pu être utilisée pour appuyer ces prises de position.
Le Conseil d'administration, malgré l'augmentation du niveau des compressions, a cru bon en janvier de confirmer le plan fixé à l'automne 1995 qui comportait une compression moyenne des dépenses de l'ordre de 15 % en deux ans. Il a ainsi accepté que l'Université Laval se dirige vers un déficit accumulé de 27 millions de dollars en mai 1998. Il a pris cette décision en fonction de la mission de l'Université.
Depuis le mois de mai 1993, les facultés et les écoles, les services et l'administration ont été invités à une opération de restructuration financière et administrative. À l'automne 1995, ils ont été informés de la contribution que l'on attendait d'eux pour les deux prochaines années. Ils ont soumis, à l'hiver 1996, un plan de réduction des dépenses sur deux ans qui a fait l'objet de discussions avant d'être adopté par le Comité exécutif. En octobre 1996, seulement 80 % des objectifs auxquels les unités s'étaient engagées étaient atteints. Le pourcentage de réalisation était fort différent d'une unité à l'autre. Dès novembre, j'ai informé les doyens et les doyennes, les directeurs et la directrice d'école et les directeurs de services de la situation et je leur ai demandé de se préparer en fonction de compressions plus importantes pour l'année 1997-1998.
La demande faite aux responsables d'unités de remettre un bilan de l'opération avant le 24 février doit être située dans ce contexte global. Elle a pour objectif de confirmer les engagements faits à l'hiver 1996, de les corriger à partir des résultats obtenus et de les compléter afin que je puisse rendre compte de la situation au Conseil d'administration en mars avant la préparation définitive du budget présenté en mai. Il ne s'agit pas d'une nouvelle opération de compressions mais de la mise à jour de ce qui avait été commencé à l'automne 1995 et sur lequel le point a été fait régulièrement.
Dans les annexes au budget de mai 1996 et lors de la tournée des unités, l'équipe de direction a fait état des plans et des taux de compressions des unités d'enseignement et de recherche, des plans et des taux de compressions des unités administratives, de l'évolution (fermeture) des postes des différentes catégories d'emploi et du plan de compressions de la fonction administrative. L'équipe de direction a répondu aux questions et a expliqué les raisons de ses décisions. On retrouve aussi une partie de ces informations dans le texte de janvier 1997 traitant de la situation financière de l'Université Laval.
À la fin de l'année financière 1996-1997, on pourra connaître les résultats atteints par chaque unité en regard de ses engagements.
La Faculté des sciences et de génie devait diminuer ses dépenses de 6,40 % en 1996-1997. En octobre, elle était encore loin de l'atteinte de cette cible. L'équipe de direction de l'Université a donc rencontré la direction de la Faculté dès la fin de décembre pour faire le point. Elle est consciente que la question du statut de la faculté ne facilite pas la tâche, mais elle ne peut arrêter le temps et faire porter aux autres facultés les conséquences de la situation.
Il y a diverses façons de parler de coupures verticales. Ainsi, dans le secteur des services, trois de ceux-ci ont été privatisés et cinq ont été abolis. Au niveau des facultés, des écoles, des départements et des programmes, la situation est différente. Toute opération demande la collaboration des professeurs et doit respecter la mission de l'Université. Malgré tout, plus d'une dizaine de départements ont été abolis ou fusionnés; mais il appartient aux facultés et aux écoles d'exercer leur esprit d'analyse et leur créativité pour opérer, en leur sein, les coupures verticales qui sont plus prometteuses pour l'avenir.
Quant aux hypothèses qui cherchent à se protéger en ne coupant que chez le voisin, ce n'est pas très sérieux. À l'heure où les scientifiques font du clonage, la société a aussi besoin de sociologues, de philosophes et de théologiens comme en font foi les débats actuels.
Enfin, il ne faut pas oublier que toutes ces opérations de compressions doivent être réalisées dans une institution dont les membres bénéficient de la sécurité d'emploi et de la liberté de prendre leur retraite au moment où ils le décident.
Les textes officiels de l'Université Laval sont toujours disponibles à qui veut les consulter. De plus, le journal Au Fil des événements a publié différents articles sur ce sujet les 21 mars, 18 avril, 9 mai, 13 mai et 19 septembre 1996 de même que les 9 et 20 janvier 1997. Le dernier texte est particulièrement éclairant. Impact Campus a aussi publié divers articles sur le sujet.
Je reconnais que la tâche qui nous attend est difficile, que la situation, certaines fois, paraît intolérable. Je vis moi-même des moments de colère, comme lorsque je reçois, ce matin même, une lettre du sous-ministre adjoint à l'enseignement supérieur qui m'apprend sans plus, une nouvelle réduction de 1 180 935 $ de la subvention de l'Université pour le mois de mars à la suite d'une décision du gouvernement du Québec de réduire ses coûts de main d'oeuvre avant le 31 mars 1997. Je ne crois pas que cela a été ma façon de faire jusqu'ici. Depuis 1993, je joue le prophète de malheur et j'invite tous les membres de la communauté universitaire à la solidarité et au changement dans les façons de faire pour sauvegarder la mission de l'Université dans un contexte difficile. Le message a été différemment saisi. Je demeure disponible pour m'expliquer devant toute personne ou tout groupe.
"VERS UNE FORMATION SUPERFICIELLE EN LETTRES?"
Le vice-décanat de la Faculté des lettres de l'Université Laval présentait tout récemment, dans un document intitulé Les programmes d'études à la faculté des lettres de l'Université Laval et les besoins d'aujourd'hui, une restructuration de programmes mettant sérieusement en doute l'importance de la littérature dans le contexte social, économique et universitaire actuel. Dans ce document, le vice-décanat propose, entre autres, l'abolition de programmes axés sur l'enseignement des littératures étrangères et d'expression anglaise pour favoriser la création d'un "baccalauréat international" dans lequel seraient intégrés, en plus des cours de langues, des cours d'administration, d'anthropologie, de géographie, d'histoire, de sciences politiques, etc. Ce type de baccalauréat, selon le vice-décanat, se situerait mieux dans l'optique "d'internationalisation" adoptée dernièrement par l'Université Laval et permettrait d'offrir une préparation plus adéquate pour faire face au marché du travail.
La formation universitaire est plus qu'un simple moyen d'accès au marché du travail, elle est une source d'épanouissement intellectuel très importante pour l'individu. En ce sens, un établissement universitaire, avant même de se faire représentant d'un marché du travail, doit se faire représentant d'une société. Et si cette université à le souci de bâtir une société intelligente et compétente dont la force résidera dans le caractère profond et individuel de chaque individu qui la forme, elle se doit d'offrir à l'étudiant une formation complète et substantielle; non pas dans le but premier de répondre à la demande d'un marché, mais dans l'optique plus ambitieuse de faire de cet étudiant un individu indispensable et fonctionnel d'une société dans laquelle la pensée est aussi économiquement valable que l'action.
Cependant, une université qui a le courage et la volonté d'entretenir un tel rôle social, c'est-à-dire préconiser le développement intellectuel de l'individu d'abord et avant tout, se doit d'offrir à ses étudiants sérieux la possibilité d'un tel développement, au cours duquel ces derniers sauront fort bien se créer un avenir à la hauteur de leurs aspirations, et non l'inverse. La Faculté des lettres est un morceau important au sein de l'Université Laval, et si cette dernière veut demeurer une université reconnue et concurrentielle pour plusieurs années à venir, la qualité et la crédibilité des programmes formant cette faculté doivent se maintenir au plus haut niveau.
On parle beaucoup du besoin de "s'internationaliser" et de se "multidisciplinariser" dans votre document. Il est vrai que nous vivons dans une période où la technologie permet une nouvelle ouverture sur le monde. Les relations inter-culturelles et inter-raciales se développent de plus en plus, et pour le mieux. Cependant, il ne faudrait pas confondre polyvalence avec ouverture d'esprit. Le besoin n'est pas tant d'avoir une formation de base dans plusieurs domaines, mais bien de maîtriser une certaine discipline tout en restant conscient et en contact avec les domaines qui influencent et complémentent cette discipline. La polyvalence, ou plutôt l'ouverture d'esprit, doit être développée à l'intérieur même d'un champ d'intérêts précis.
Il est implicite, par vos propos, que vous considérez la littérature uniquement comme un moyen d'enseignement d'une langue. Cependant, malgré que la littérature soit un bon moyen pour enseigner la complexité et les nombreux aspects d'une langue, celle-ci est aussi beaucoup plus. La littérature demeure certainement le moyen d'expression le plus développé dans notre société. Elle est un moyen d'accès à une culture, à un peuple. Elle est une source d'apprentissage, d'enseignement et de communication. Elle permet aux idées de prendre forme et aux valeurs de se transmettre. Quoi de mieux que la littérature pour s'ouvrir au monde, pour "s'internationaliser". Dans un contexte universitaire sérieux où le développement intellectuel prime, la littérature est primordiale et son écartement à une discipline de second plan tient de l'absurdité totale.
La création d'un "baccalauréat international" ne peut mener qu'à une diminution de la qualité de formation. Et même si un tel baccalauréat semble, à première vue, encourager l'internationalisation en vue d'une meilleure préparation au marché du travail, il ne fait en réalité qu'abstenir la curiosité intellectuelle à un stade sommaire. Honnêtement, je ne vois pas comment une telle formation peut apporter les aptitudes et les compétences nécessaires pour répondre à un marché du travail aussi exigeant que le nôtre.
Si l'Université Laval veut demeurer un établissement respecté et reconnu sur le plan international, la formation qu'elle dispense doit le demeurer également. L'internationalisation doit d'abord se manifester à travers l'image d'une université sérieuse, compétente et concurrentielle, au sein de laquelle les étudiants seront fiers de leur réalisation et de leur appartenance à une institution reconnue à travers le monde.
LETTRE OUVERTE DE L'AÉDILL
L'Association des Étudiants Diplômés Inscrits en Langues et Linguistique de l'Université Laval entend par la présente rendre publique son inquiétude au sujet du projet de la Faculté des lettres de fermer les programmes de linguistique et de littérature anglaise et espagnole. Nous sommes perplexes quant à la pertinence de ce projet et au processus qui a mené à son élaboration.
Le document dans lequel est énoncé ce projet, intitulé Les programmes d'étude à la Faculté des Lettres de l'Université Laval et les besoins d'aujourd'hui, a été distribué le 10 février par courrier électronique aux seuls directeurs de programme, à qui on demandait de prendre position dans les huit jours. Ni les professeurs de ces programmes ni les étudiants n'ont été informés des intentions de la Faculté, qui ne s'appuient apparemment sur aucune consultation préalable des principaux intéressés ni sur aucune étude. Cette façon de faire manifeste un manque inacceptable de respect pour les personnes impliquées dans le processus d'apprentissage et n'est pas sans perpétuer une certaine image de rigidité, d'arbitraire et d'opacité.
La pertinence sociale des programmes de linguistique et de littérature anglaise et espagnole apparaît solidement fondée. Ils permettent aux étudiants d'acquérir une formation complémentaire plus qu'utile dans le contexte continental actuel, ou d'acquérir une formation spécifique en enseignement de ces langues, ce pour quoi il existe et vraisemblablement existera une demande continue. C'est sans doute pourquoi, alors que la plupart des programmes connaissent une décroissance des inscriptions, le programme d'études anglaises attire une clientèle toujours croissante. En ce sens, ces programmes ont une pertinence sociale indéniable puisque les aspects proprement linguistiques et littéraires constituent une partie fondamentale et indissociable de ces formations. La pertinence scientifique de ces programmes apparaît tout aussi bien établie. Par exemple, les anglicistes oeuvrant dans le programme de 2e et 3e cycles en linguistique ont fait preuve d'un dynamisme remarquable qui leur a permis de renouveler les interrogations dans leurs domaines respectifs, comme en atteste entre autres le fait qu'ils aient pu attirer des subventions de recherche importantes dans les dernières années.
Si notre Association est sensible aux exigences de la situation économique actuelle, nous comprenons mal qu'on veuille s'en prendre à des programmes appréciés, qui ont, socialement et scientifiquement, fait leurs preuves, et qui, tout en regroupant plus de 150 étudiants, sont assumés par moins d'une douzaine de professeurs. Nous formulons le souhait que les autorités compétentes fassent montre de respect à l'égard des personnes directement concernées par les projets qu'elles pourraient vouloir proposer, et que ces projets portent la marque d'une réflexion transparente et élargie susceptible de servir aux mieux les intérêts des membres de la communauté universitaire. C'est en ce sens que notre Association prendra bientôt position sur la direction à donner aux programmes de linguistique de notre université.
L'École de musique de l'Université Laval est une fois de plus durement affectée par la perte d'un de ses professeurs : monsieur Bruno Biot vient de nous quitter brusquement, le 26 février 1997, à l'âge de 60 ans. À cet homme dont le souvenir restera sans aucun doute gravé dans nos mémoires, nous aimerions rendre un hommage particulier, témoignage de notre respect et de notre reconnaissance.
Professeur titulaire à l'École de musique depuis maintenant plus de 20 ans, Bruno Biot était originaire de Lyon, où il avait mené de front des études universitaires en philosophie et en esthétique et des études musicales. Récipiendaire d'un Premier prix en piano du Conservatoire de musique de Lyon en 1957, il se vit décerner, cette même année, le Prix d'honneur Witkowski. Il poursuivit ses études au Conservatoire de musique de Genève auprès de Louis Hiltbrand, disciple et successeur de Dinù Lipatti, et y obtint en 1961 un Premier prix de virtuosité. Il travailla ensuite avec Gezà Anda à Lucerne et Zurich. Doté d'une grande curiosité, tant intellectuelle qu'artistique, et d'un esprit analytique hors du commun, ses recherches l'ont amené tout d'abord à vouloir percer les secrets de l'alchimie pianistique selon les préceptes de Rachmaninov, puis à s'intéresser plus particulièrement encore à l'apport des découvertes de la neuropsychologie contemporaine et des techniques corporelles récentes. Les problèmes de l'Aufführungspraxis du XIXe siècle et la redécouverte d'un répertoire préromantique injustement négligé (Ignace Moschèlès, Friedrich Kalkbrenner, Ferdinand Ries) figuraient aussi parmi ses domaines de recherche. Professeur très apprécié de ses élèves, il savait intégrer judicieusement à son enseignement le fruit de ses recherches et réflexions; tous ceux qui ont pu en bénéficier en ont reconnu très vite l'importance. Parallèlement à ses activités d'enseignant, il a mené une carrière de concertiste, principalement au Canada et en Europe. Il a fait entendre, en première audition américaine, les sonates opus 11 et 175 de Ferdinand Ries. On lui doit également la création, à Paris et en première audition, d'oeuvres de compositeurs canadiens contemporains tels Harry Somers, Jacques Hétu, Alain Gagnon, Ginette Bertrand. Invité à plusieurs reprises aux " Grands concerts " de Radio-Canada, il a également enregistré pour la Radio Suisse Romande, le SWF (Südwestfunk) allemand et Radio-France. Plus spécialement au sein de l'École de musique, il a donné de façon régulière et intensive depuis 1992 une série imposante de récitals comprenant, entre autres, l'intégrale des sonates pour piano de Ferdinand Ries et celle des sonates de Beethoven, qui malheureusement restera inachevée.
Outre ses activités de chercheur, professeur et concertiste, il savait également prendre une part active et appréciée à la vie administrative et musicale de l'École. Personne accueillante, sympathique et dotée d'une grande finesse d'esprit, il laissera une image inaltérable aux yeux de ses collègues et élèves, parmi lesquels il comptait de grands amis.