6 mars 1997 |
LE RAPPORT DE CONJONCTURE EST DÉPOSÉ
Depuis quelques mois, le contexte dans lequel oeuvre l'Université Laval s'est singulièrement précisé. Ce qui était évoqué comme un avenir prévisible, que l'on espérait sans doute éviter, est là, bien présent: crise financière aiguë, affaiblissement du lien de confiance avec la population et ses gouvernements, chute importante et à long terme des populations étudiantes, opération de rationalisation des offres de services universitaires, nouvelle concurrence liée au développement des technologies de l'information. De façon encore plus immédiate, à la suite des États généraux de l'éducation, la ministre de l'Éducation a créé un groupe de travail sur le financement des universités qui doit faire rapport le 30 mars 1997 en respectant l'objectif de déficit zéro du gouvernement; elle a aussi demandé à son ministère d'élaborer d'ici l'automne 1997 une politique des universités qu'elle définit comme "une sorte de nouveau contrat" à convenir entre le gouvernement et les universités; enfin elle rappelle à la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) que son comité sur la rationalisation des activités universitaires a une obligation de résultats à court terme.
Le temps presse. Depuis quelques années, l'Université a fait des efforts importants pour s'ajuster à la situation. Diverses actions et projets ont été entrepris par de multiples intervenants. Ses objectifs de diplomation des étudiants, de structuration de la recherche, de participation au développement régional ont été atteints pour une bonne part, comme en fait foi le bilan ci-joint. Cela n'est pas suffisant. D'autres pas doivent être faits et rapidement, mais ils ne peuvent être accomplis dans un ordre dispersé. Les membres de l'Université doivent partager une même vision de la place que l'Université Laval doit occuper dans le développement de l'enseignement supérieur au Québec; ils doivent avoir une même compréhension des principaux défis qu'elle doit relever et des stratégies qu'elle doit adopter en tenant compte des modalités différentes d'application.
Ce rapport de conjoncture a pour objectif premier de faire en sorte que la communauté universitaire s'entende sur une certaine façon de caractériser aujourd'hui la mission fondamentale de l'Université Laval et d'offrir ainsi à tous les membres de l'Université une plate-forme commune pour les diverses prises de position qu'ils auront à défendre dans le débat public et au sein des différents comités qui iront en consultation ces mois-ci. Ce rapport vise aussi à éclairer les décisions qui sont à prendre dès maintenant dans les différentes unités. Ce document ne remplace pas la nécessaire planification stratégique: il se situe en amont de celle-ci. Il est le fruit de la collaboration de plus d'une centaine de personnes de l'interne et de l'externe qui ont participé à sept ateliers de travail: personnel enseignant et administratif, étudiants et étudiantes, administrateurs, partenaires, leaders régionaux.
Au moment de la préparation des ateliers, sept thèmes de discussions avaient été retenus:
1. les étudiants et les étudiantes;
2. la primauté à l'apprentissage et à la créativité;
3. l'Université Laval et sa région;
4. les universités: alliances et complémentarité;
5. les diplômés: leurs réussites, leurs difficultés et leur satisfaction;
6. l'adaptation du personnel et la permanence d'emploi;
7. les multiples facettes de la reddition des comptes: quantité et qualité.
Ces thèmes avaient été préférés aux thématiques habituelles de l'enseignement, de la recherche, des services à la collectivité, de la gestion des ressources humaines et matérielles. Ils semblaient plus prometteurs d'un discours novateur. De ces ateliers de travail et des réflexions entendues plus largement dans divers forums à l'interne comme à l'externe, certaines constantes se sont dégagées qui ont conduit à structurer ce texte qui se veut bref, en quatre parties qui traitent:
* de la place de l'Université Laval dans la société;
* des étudiants et des étudiantes et de leur rapport à l'appropriation savoir;
* de la culture de l'exigence;
* de la culture organisationnelle.
Au coeur de chacune de ces thématiques, sont soulevées les questions touchant les objectifs et l'environnement dans lequel se déroulent les activités d'enseignement et de recherche.
Un ancrage: le coeur du Québec francophone
Le développement d'une personne est lié à l'estime
de soi et à la qualité de ses relations avec ses proches.
Il en va de même par analogie d'une institution: la fierté
qu'ont les membres d'y appartenir et son ancrage dans son environnement
sont les pierres d'assise de son développement et de son rayonnement
international.
Les membres de l'Université Laval sont conscients du rôle premier qu'ils ont à jouer, à partir de la Capitale, dans le développement du Centre et de l'Est du Québec. L'Université Laval bénéficie de ressources humaines importantes et rares qu'elle doit mettre au service d'un vaste territoire, qui n'est doté d'aucune autre institution de même envergure.
Avant les années soixante-dix, l'Université exerçait un véritable monopole sur tout ce territoire. Seule institution universitaire, elle avait aussi la mainmise sur les collèges classiques. Elle formait ainsi un véritable réseau. On ne reviendra pas en arrière. Les régions se sont développées et se sont organisées. Un vaste réseau de collèges et de constituantes de l'Université du Québec a été créé; des Municipalités régionales de comté (MRC) et des organismes de développement social et économique ont été fondés; des fonds régionaux de solidarité sont maintenant levés et les chefs d'entreprises sont de plus en plus attentifs à l'innovation et au transfert technologique. La région de la Capitale, malgré les tiraillements qu'elle connaît, est consciente qu'elle doit suppléer par d'autres activités à la diminution des interventions de l'État. C'est avec tous ces partenaires que l'Université doit oeuvrer maintenant, assumant son plein leadership avec des institutions autonomes qui y trouveront aussi leur bénéfice.
Le premier pôle d'intervention doit être celui de l'éducation, plus précisément celui de l'enseignement supérieur. L'Université Laval, à court terme, doit avec les cégeps et les collèges, de même qu'avec les constituantes de l'Université du Québec, s'interroger sur les meilleures façons d'assumer un enseignement supérieur de qualité à l'est de Montréal, en tenant compte de la crise financière qui secoue l'ensemble du secteur public et parapublic. Avec les collèges et les cégeps, elle acceptera de travailler à partir de l'hypothèse que les programmes des deux ordres d'enseignement soient conçus dans l'optique d'un continuum de cinq ans. Cela signifie une juste reconnaissance des acquis des étudiants et des étudiantes, de même qu'une reconnaissance de la compétence des professeurs du réseau collégial qui, pour une bonne part, sont des diplômés de l'Université Laval. Au plan de la recherche, ne faut-il pas favoriser le retour à certaines pratiques qui permettraient des collaborations significatives des professeurs des deux ordres d'enseignement au sein de groupes de recherche? Pour ce qui est des constituantes de l'Université du Québec, les plus proches de nous, toutes les avenues du partenariat doivent être explorées: programmes d'enseignement et de recherche communs, partage de ressources professorales, coresponsabilité de la formation supérieure offerte sur un même territoire. La clé du succès repose, dans ce cas aussi, sur le respect de l'autonomie de chaque institution et sur le désir d'assumer l'accessibilité à une formation supérieure de qualité aux hommes et aux femmes de ce coin de pays. Cette priorité stratégique ne doit empêcher d'aucune façon la conclusion d'ententes avec d'autres universités québécoises et canadiennes en vue de favoriser le développement de la recherche, la complémentarité des programmes d'enseignement, les échanges d'étudiants et l'accessibilité de ceux-ci à une deuxième ou troisième langue. Bien plus, cet ancrage solide dans la région doit renforcer la place de Laval dans le groupe des dix grandes universités de recherche au Canada et dans les forums internationaux.
Au cours des dernières années, l'Université Laval a fortement investi, comme partenaire, dans le développement économique. Elle a joué un rôle moteur dans le développement du parc technologique et du Centre régional de développement d'entreprises de Québec (CRÉDEQ). Ses diplômés ont permis l'émergence d'entreprises de pointe en biotechnologie, en informatique, en ingénierie. Ses chercheurs ont vu augmenter de façon impressionnante la valeur et le nombre de leurs contrats de recherche avec l'entreprise privée. Mais les attentes vont grandissant. L'Université doit demeurer un partenaire vigilant. Elle doit s'efforcer de faciliter la juste utilisation de ses ressources tout en protégeant sa mission première et en ne se dérobant pas à son rôle critique. On lui demande avec raison d'être plus transparente, plus efficace, plus accessible, plus rapide dans ses réponses aux demandes du milieu. En même temps, elle doit assurer un juste contrôle des activités externes de ses professeurs, le paiement adéquat des coûts directs et indirects de la recherche, la sauvegarde de ses droits de propriété intellectuelle et des droits des étudiants-chercheurs. De nouvelles avenues de partenariat se dessinent: collaboration avec Innovatech, prises d'actions dans les nouvelles entreprises, réduction du régime d'emploi des professeurs en fonction de leur participation au développement d'entreprises. Ces pistes et d'autres encore inchoatives permettront à l'Université de mieux jouer un rôle qu'elle doit étendre à un territoire qui déborde largement l'est du Québec.
L'Université Laval est fière de se présenter comme la première université francophone en Amérique, sise à Québec, dans la Capitale. Elle désire continuer à assumer sa pleine responsabilité au sein de la francophonie et à faire bénéficier les gouvernements des divers niveaux de sa vaste expérience au niveau international. Ses diplômés travaillent sur les cinq continents dans des postes de haute responsabilité; ses chercheurs ont signé plus de 300 ententes internationales; sa participation à la coopération internationale est l'une des plus importantes de toutes les universités canadiennes; son institut de recherche en études internationales est un véritable appui à tous ceux et celles qui cherchent à comprendre le monde actuel. L'Université Laval, au cours des prochaines années, devra mieux faire comprendre à tous ses membres ainsi qu'à ses partenaires et à la population, l'importance pour l'Université, mais aussi pour la région, de cette ouverture sur le monde. Malgré la situation économique, il serait suicidaire de se refermer sur soi-même.
Il serait aussi suicidaire, pour une université et pour une région, de négliger pour un temps ses missions culturelle et sociale. Aussi, malgré des restrictions budgétaires intolérables, l'Université Laval a consolidé la place de la Faculté de musique, au sein de l'institution, mais plus encore, au sein de la vaste région de la Capitale. Celle-ci aura à collaborer de plus en plus avec le Conservatoire de musique et l'Orchestre symphonique de Québec pour assurer à la région une vie musicale de qualité. De même, la Faculté d'architecture et d'aménagement à laquelle appartient l'École des arts visuels est invitée à jouer pleinement son rôle pour soutenir la qualité de l'aménagement urbain. La Faculté de médecine, pour sa part, continuera à être interpellée par la réforme de la santé et le développement du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ), du Centre affilié universitaire et de l'Institut de cardiologie et de pneumologie. Sa présence favorisera l'offre de soins de troisième ligne et la création d'entreprises de recherche. Il va sans dire que ce sont tous les gens des sciences humaines, des arts et des lettres qui sont invités à participer à l'élaboration d'une cité plus humaine en partenariat avec les organismes du milieu et à stimuler par leurs interventions et leurs critiques, l'avènement de conditions sociales, économiques et culturelles plus propices au développement de communautés humaines. La qualité de leur engagement dans leur milieu sera à la base de leur rayonnement international et de leur contribution à un monde plus solidaire.
Une donnée: la condition des étudiants et des étudiantes
Les institutions sont ainsi faites qu'elles doivent à certaines périodes
traverser des crises importantes pour se rappeler leur raison d'être.
Depuis l'avènement de l'université de masse à la fin
des années soixante-dix, on avait beau affirmer la primauté
accordée à l'étudiant et à l'étudiante,
multiplier les réflexions sur la diversité des profils de
la population étudiante et sur l'évolution démographique,
on n'y croyait pas, ou ne s'y attardait pas. On était d'abord occupé
à prévenir les débordements de clientèles et
à se prémunir contre une accessibilité qui mettait
en cause la qualité de la formation. L'attitude générale
était plutôt défensive.
La crise financière et la contestation étudiante orientée sur la qualité de formation ont suscité un renouveau d'intérêt pour une meilleure connaissance de ceux et celles pour qui l'Université existe: les étudiants et les étudiantes. Depuis trois ans, l'Université Laval a repris ses propres études sur l'origine de ses étudiantes et étudiants et sur les caractéristiques de cette population. Elle cherche à mieux connaître ceux et celles qui se sont inscrits et qui ont été diplômés, ceux et celles qui sont partis sans avoir terminé leurs études, ceux et celles qui ne sont pas venus après avoir cogné à la porte et tous ses étudiantes et étudiants potentiels. Elle a poursuivi des études de cohortes par programme. Elle a conduit des études de relance de ses diplômés. À l'automne 1996, elle a commandé une vaste enquête sur les étudiants et étudiantes à une équipe de recherche du Département de sociologie de l'Université de Montréal (1). La Commission des affaires étudiantes a elle aussi livré à la communauté universitaire les résultats de deux sondages auprès des étudiants et étudiantes des trois cycles. Ces diverses études complètent et précisent les travaux réalisés par le Conseil supérieur de l'éducation (2 ) et par l'équipe de recherche du Département de sociologie de l'Université de Montréal sur Le monde étudiant à la fin du XXe siècle (3). Il ne s'agit pas de reprendre en quelques lignes les contenus de ces travaux, mais plutôt d'y renvoyer comme à une référence obligée pour tous les membres de l'Université et particulièrement pour les responsables d'études qui ont sans cesse à réviser et à évaluer leurs programmes.
D'une démarche qui pourrait ne paraître que mercantile au départ, recherche de clientèles et de financement, on en est venu rapidement, à la suite des informations reçues, à une démarche plus significative. Si l'étudiant est le principal responsable de sa formation, il importe de savoir qui il est, quel est son mode de vie, quelle a été sa formation, quels sont ses objectifs, au sein de quel marché du travail il devra oeuvrer. De façon plus générale, on ne peut désirer accueillir plus d'étudiants étrangers sans être attentif à leurs conditions; on ne peut souhaiter l'augmentation du nombre de stagiaires post-doctoraux sans se préoccuper de la qualité du milieu de recherche qu'on leur offre; on ne peut accepter des diplômés en formation continue sans reconnaître leurs besoins prioritaires et l'évolution de leur profession; on ne peut ignorer le fait que le quart des étudiants et étudiantes consacrent plus de 15 heures par semaine à un travail rémunéré alors que la moitié d'entre eux travaillent durant les sessions d'études; de même, quoi que l'on dise ou pense, une bonne partie de la génération des 18-25 ans qui fréquente l'Université est angoissée quant à son avenir. Elle vient d'abord à l'Université pour se donner les moyens d'accéder à un emploi.
Cette priorité que les étudiants et les étudiantes accordent à l'obtention d'un emploi, dans le contexte économique actuel, et la diversité des cheminements qui les conduisent à l'Université posent à celle-ci un défi qui touche le coeur de sa mission de formation. Le personnel enseignant doit mettre en oeuvre des formes et des pratiques de pédagogie différenciée, à la fois pour établir les passerelles nécessaires entre la formation antérieure et la formation désirée et pour être attentif au type d'appropriation du savoir qui se développe dans l'ère de l'information et des multimédias. Au rythme où l'histoire se joue, on fait face, en formation, à une véritable expérience d'acculturation.
L'acceptation de la diversité des cheminements qui donnent accès à l'Université et de la diversité des pédagogies utilisées ne conduit pas à l'affaiblissement de la formation, mais plutôt à son enrichissement dans la mesure où une attention plus grande est accordée aux étudiantes et aux étudiants et à leurs besoins. Cette attention ne doit pas conduire à une réduction des exigences et à un nivellement par la base, mais plutôt à une culture de l'exigence et à un développement intégral du potentiel des individus. Elle exige une présence de qualité de tout le personnel de l'Université auprès des étudiants et des étudiantes.
Un défi: la culture de l'exigence
Plus personne ne peut demeurer indifférent devant les changements
et les bouleversements qui ont touché les divers champs de connaissance
et leurs applications dans le monde du travail ou en nier l'existence.
Le marché québécois paraît désormais bien
restreint et les entreprises, pour survivre à l'intérieur
de marchés de plus en plus compétitifs, se tournent massivement
vers les échanges internationaux. Le travail traditionnel, fondé
sur l'accomplissement d'une fonction et sur la stabilité d'emploi,
a migré rapidement vers un état de précarisation et
repose désormais davantage sur la réalisation de mandats qui
exigent la polyvalence et la performance des travailleurs. Les technologies
sont chaque jour plus présentes et modifient non seulement les rapports
entre les individus, mais aussi les façons d'étudier, de travailler,
de mener des recherches. De façon générale, les diverses
technologies ont créé une nouvelle révolution ayant
des effets analogues à ceux de la révolution industrielle.
L'Université est au coeur même de ces grands bouleversements, elle qui par ses recherches fondamentales, par ses partenariats avec l'industrie et par ses contacts internationaux, a contribué plus que quiconque au type d'évolution que l'on connaît. Comme lieu de formation des professionnels de haut niveau, elle doit elle-même s'adapter à ces changements; intégrer, à l'intérieur de ses programmes, les nouvelles attentes de la société à son endroit; offrir à ses finissants les outils nécessaires afin qu'ils puissent relever les défis qui les attendent et prendre une part active au développement de la société; assumer sa responsabilité en matière de formation et de mise à jour des connaissances de ses diplômés.
En dépit d'efforts et d'initiatives diverses, les moyens dont on dispose pour évaluer et réaligner le principal outil de formation, le programme, sont encore trop tournés vers la recherche d'une pertinence disciplinaire. Au fil des évaluations et des commentaires externes, l'Université se voit toujours reconnaître les mêmes qualités en matière de transmission du savoir, mais parallèlement se voit encore reprocher, avec d'autant plus d'insistance qu'on le lui reproche depuis longtemps, ses difficultés à favoriser un développement plus global de l'individu. Le finissant est trop souvent perçu comme un être hypertrophié de savoir, sous-développé dans sa capacité de l'utiliser efficacement. S'ajoute maintenant à ce malheureux constat qu'il n'acquiert plus tout à fait les bons savoirs, parce que trop limité par sa spécialisation. Les besoins sont grands pour des diplômés polyvalents qui maîtrisent plus d'une langue. La société a besoin de créateurs de toute espèce, de personnes libres, compétentes, imaginatives, autonomes et responsables. On attend de l'Université qu'elle stimule la curiosité, qu'elle crée des demandeurs de savoirs, qu'elle forme des individus complets et ouverts sur le monde. C'est à l'intérieur de ses programmes d'enseignement et de recherche, c'est par les interventions de son personnel et particulièrement du personnel enseignant que l'Université peut, du moins en partie, répondre à ces attentes.
Toutes ces attentes ont un dénominateur commun: la hausse des exigences. La société exige davantage de ses membres, elle ne leur offre plus les garanties d'hier, elle évolue en accéléré. L'Université ne pourra échapper à l'instauration d'une culture de l'exigence arrimée à celle qui se développe dans le monde extérieur. La situation financière de l'Université, les critiques qu'on lui adresse, les attentes que l'on formule à son endroit, la diversification des curriculum des étudiants, de leur motivation et de leurs besoins, sont autant de facteurs qui incitent à revoir un certain nombre d'éléments fondamentaux. Il semble inévitable de réévaluer l'étendue de la mission de l'Université en matière d'enseignement et de recherche et de revoir les modes traditionnels empruntés afin de s'en acquitter. De nouveaux liens entre l'apprenti et le savoir doivent être développés. L'utilisation des technologies de l'information peut contribuer à réinventer le rapport traditionnel entre le professeur et l'étudiant et favoriser un nouveau type de présence. L'instauration d'un concept d'éducation basé sur l'apprentissage comme processus de construction continu d'un savoir et fondé sur la responsabilité conjointe du professeur et de l'étudiant représente une autre clé d'un renouveau pédagogique, dans la salle de classe certes, mais aussi dans l'élaboration de nouveaux types de formation qui consacrent ou reconnaissent le principe d'une formation qui doit être continue. Le développement d'une conception élargie et décloisonnée de la formation, la prise en considération de la dimension internationale que revêt maintenant le travail et plus que jamais le secteur de la recherche, sont désormais des incontournables et devront trouver une forme d'expression à l'intérieur des programmes. Dans toutes les activités d'enseignement et de recherche, il ne faut pas négliger tout ce qui favorise la collaboration entre étudiants et étudiantes dans l'accès à la connaissance et le développement des qualités inhérentes au chercheur. Il y a dans ces travaux en équipe plus ou moins formalisés, dans ces échanges et conversations, un terrain fertile au transfert de connaissances et des apprentissages tout autant qu'au développement d'habiletés langagières importantes.
Pour répondre aux attentes des étudiants et de la société, l'Université doit retourner à certaines de ses convictions premières:
1. l'étudiant est le premier responsable de sa formation;
2. mais, la relation professeur-étudiant est déterminante à tous les cycles d'études, même si le contexte exige de la redéfinir; ces deux premières convictions sont interdépendantes;
3. le travail entre pairs est un moyen de formation à privilégier;
4. les pédagogies permettent l'accès au savoir et à la culture;
5. l'Université est un espace de liberté, de créativité, de critique qui conduit à la responsabilité sociale.
Certaines conditions doivent être réalisées à court terme pour soutenir l'engagement personnel des membres de l'Université envers cette culture de l'exigence et susciter le goût du dépassement personnel et collectif: une facilitation du travail des chercheurs, un décloisonnement disciplinaire, un assouplissement dans la conception des rôles de chacun, un allègement de la réglementation des études. C'est à un changement de sa culture organisationnelle que l'Université Laval est invitée. C'est à une adhésion à une éthique collective que les membres de l'Université sont conviés.
Une nécessité: le changement de la culture organisationnelle
Les prochaines années seront difficiles. Dans un contexte de pénurie
sans précédent, l'Université aura à faire face
à des changements en profondeur de son environnement, de ses façons
d'être et de ses façons de faire. Comme beaucoup d'établissements
de grande taille, elle est handicapée par une culture organisationnelle
dont certains traits particuliers risquent de la paralyser. Quelques mots
clés peuvent permettre de pointer certains des traits de cette culture
organisationnelle qui font problème: hiérarchie, réglementation,
normalisation, structuration, contrôle, autorisation, mandat clair,
juridiction, procédure, définition des tâches, rationalité,
quantification, justification, méfiance, autosuffisance, modération,
prudence, etc. Certains de ces traits sont inhérents à des
organismes publics qui sont tenus de rendre scrupuleusement et méticuleusement
des comptes à l'État pourvoyeur. Ces organisations doivent
se soumettre à des lois et des réglementations pointilleuses
et tatillonnes. Néanmoins, tout en tenant compte des contraintes
légales, l'Université ne pourra surmonter avec succès
la crise actuelle si elle ne modifie pas certains de ses réflexes
héréditaires.
Pour comprendre l'ampleur du choc culturel que nous aurons à absorber, il faut considérer, à titre d'exemples, les questions suivantes évoquées précédemment. Les unités et les personnes de l'Université sont-elles disposées à s'insérer dans un nouveau réseau d'alliances qui regrouperait notamment certaines autres universités et des cégeps? Sont-elles prêtes à travailler à l'extérieur des structures traditionnelles, avec des personnes extérieures à leur organisation? Peut-on consentir à échanger du personnel, à mettre en commun ses ressources avec d'autres organisations? Est-on prêt à accepter dans les salles de cours des personnes qui arrivent avec des profils très différents et qui ont emprunté des cheminements très divers pour acquérir la compétence qui leur permet d'accéder à l'Université? Au premier cycle, les étudiants et les étudiantes sont-ils conscients qu'ils sont eux-mêmes les premiers responsables de leur formation? Les professeurs sont-ils conscients de leur nécessaire présence et de l'importance de l'encadrement requis? Peut-on sortir du cadre des cloisons départementales et facultaires? Peut-on approuver le décloisonnement des activités qui irait jusqu'à concevoir des programmes qui puiseraient dans les cours offerts par d'autres universités? Ou inversement peut-on accepter d'ouvrir les cours à des étudiants d'autres universités, même si les règles de compensations financières ne sont pas parfaitement au point? Peut-on accepter que certains éléments de formation universitaire soient décernés dans des cégeps?
Dans l'état actuel de la culture organisationnelle de l'Université Laval, on peut difficilement répondre spontanément par l'affirmative à de telles questions. On pourrait dire tout au plus que les changements évoqués par ces questions sont sans doute possibles, mais à condition d'être très patients et d'y mettre le temps. Or le temps manque. Il faut agir maintenant. Il faut rapidement transformer les attitudes et les habitudes qui desservent l'Université Laval. Les changements nécessaires peuvent se regrouper autour de deux lignes directrices: dépasser les débats sur les structures et les règlements, responsabiliser les personnes.
Dépasser les débats sur les structures et les règlements
On a beaucoup discuté de structure à l'Université Laval
au cours des dernières années. Ces discussions ont été
fécondes. Elles ont permis notamment de faire prendre conscience
que par-delà les changements de structures, des changements encore
plus fondamentaux s'imposent. On a beaucoup insisté sur les réformes
des règlements et des conventions. Ces lieux d'échanges et
de discussions qui ont absorbé beaucoup d'énergie.
Depuis quelque temps, l'Université a développé l'habitude d'élaborer des politiques pour encadrer les actions dans des secteurs où agissent plusieurs intervenants. Cette façon de faire a introduit de la souplesse dans le fonctionnement de l'Université, jusqu'alors strictement dominé par une mentalité réglementaire. Mais l'Université ne peut avoir de politique sur tout. L'absence de politique sur un sujet donné ne devrait pas servir de prétexte à la passivité. Le temps presse, il faut maintenant viser les pratiques, les expériences, les résultats. L'Université Laval doit laisser épanouir ce que certains appellent une culture stratégique, c'est-à-dire une culture où l'on accepte d'agir avant de structurer, où l'on favorise les expériences pilotes, les statuts temporaires, les aménagements provisoires.
Dans cette culture, la mission de l'organisation, la vision à long terme et le désir de voir l'étudiant et l'étudiante réussir passent avant la défense du territoire et de la juridiction. La tâche à accomplir et le but visé ont prédominance sur le respect scrupuleux des mandats et des règlements. L'attentisme fait place à l'initiative, la réponse typique "ce n'est pas dans mon mandat" devient inacceptable lorsqu'elle devient un prétexte à l'inaction et à l'immobilisme. Il faut passer d'une culture de la réglementation à une culture de l'initiative. Il est parfois nécessaire de fonctionner sur la base de mandats informels, "virtuels" lorsque les urgences apparaissent. Une culture qui privilégie l'action et l'initiative exige que l'on reconnaisse le droit à l'erreur et qu'on développe l'habitude de l'évaluation. Dans cette culture, l'évaluation est une démarche positive qui vise l'ajustement de l'action et l'amélioration des produits et services.
Une culture du développement stratégique ne cherche pas à favoriser les dédoublements et la confusion des rôles, elle n'est pas incompatible avec la rationalité. Elle n'implique pas que les structures, les règlements, les mandats et les politiques cessent d'exister, mais elle signifie qu'ils ne doivent plus être des obstacles à l'action et à l'adaptation rapide de l'organisation. Ils doivent être assouplis, simplifiés, réduits, considérés comme des outils et non comme des finalités. Les nouvelles alliances que l'Université espère conclure pourront parfois provoquer des situations inédites, des créations hybrides qu'aucune structure, qu'aucune politique, qu'aucun règlement n'avaient prévu. Dans certains cas, ils pourraient même les interdire! Que faire alors? Il faudra apprendre à faire passer l'esprit avant la lettre, à accepter qu'une décision s'appuie sur un jugement éclairé et parfois sur un certain opportunisme. Dans les années qui viennent, on aura souvent à naviguer dans des zones grises.
Responsabiliser les personnes
Comment éviter que cette culture ne dégénère
et n'engendre le chaos et la désorganisation? Comment peut s'harmoniser
et se coordonner l'action de milliers de personnes dans une culture où
les règlements, les mandats et les structures ne sont plus prédominants?
Comment éviter que la dérèglementation ne donne libre
cours aux abus de toutes sortes et au repli sur un individualisme qui ne
cherche que ses intérêts propres? Une culture du développement
stratégique suppose que les individus qui composent l'organisation
partagent une vision et des valeurs communes qui cimentent leur action et
qui leur permettent de coopérer spontanément. Elle suppose
surtout qu'ils demeurent sans cesse en quête d'éthique au coeur
de l'action et de la recherche de solutions pour faire face aux réalités.
L'émergence d'une vision commune requiert une plus grande visibilité de l'Université. Paradoxalement, c'est en cherchant à se faire connaître auprès de l'ensemble de la population, que l'Université peut apprendre à mieux se définir à l'interne. L'Université est trop timide et doit faire connaître ses succès en recherche, ses créneaux d'excellence et ainsi la part qu'elle joue dans le développement de la société. Elle doit donner de la visibilité à ses programmes d'études reconnus, aux professeurs étoiles qui les animent et aux étudiantes et étudiants qui méritent prix et reconnaissance externes. Elle doit trouver les moyens de mettre en valeur les membres du personnel qui excellent. Il faut faire en sorte que s'amplifie au sein de l'Université et dans la région un sentiment de fierté légitime. Ce sentiment reposera sur une compréhension véritable et étendue de ce que l'Université représente et de ce qu'elle fait. Les premiers ambassadeurs de l'Université, ceux qui sont l es mieux placés pour la faire connaître à l'ensemble de la population sont les étudiants, les diplômés et les employés de toutes catégories. Il faut que ces personnes se sentent responsables de cette mission, comme ils se sentent responsables du succès de l'institution.
Pour exercer pleinement leur responsabilité, les employés de l'Université ont l'obligation de maintenir le plus haut degré de compétence possible dans le cadre d'un emploi qui est appelé à évoluer de plus en plus rapidement. Le développement des compétences est une responsabilité à la fois des personnes et de l'organisation universitaire. Les prochaines années demanderont que l'on assure l'utilisation la plus judicieuse possible des sommes que l'on pourra consacrer à la formation pour tous les corps d'emploi. Il va sans dire que toutes les personnes qui sont liées de plus ou moins loin au développement de la recherche connaissent un niveau de compétition à l'échelle nationale et internationale qui interpelle constamment leur compétence et leur capacité d'innovation. L'institution devra soutenir adéquatement leurs efforts de mise à jour et de développement.
L'adaptation rapide au changement exige que la majorité des décisions dans l'organisation se prennent le plus bas possible dans l'organigramme. Les personnes ne doivent pas constamment rechercher des autorisations d'un supérieur hiérarchique, mais agir de façon responsable à l'intérieur d'un mandat relativement souple. En corollaire, il faut que les personnes qui doivent prendre ces décisions soient imputables, qu'elles rendent compte, non pas sur les détails des opérations et des procédures, mais sur les résultats de leur action. Depuis quelque temps, l'Université tente justement de décentraliser les décisions, notamment budgétaires. Le Conseil d'administration a récemment adopté une politique de gestion des ressources humaines qui met l'accent sur l'imputabilité et la promotion de la flexibilité et de la créativité. Les valeurs qui sous-tendent cette politique sont le respect des personnes, la reconnaissance de la diversité, l'esprit d'équipe. Il nous reste à transposer cette politique dans la réalité de la culture organisationnelle.
Conclusion
En présentant cette vision stratégique, la direction de l'Université
est bien consciente de ne pas avoir tout dit sur le projet que doit poursuivre
l'Université Laval au cours des prochaines années. Au moment
où la communauté universitaire élit un nouveau recteur
par son Collège électoral, elle veut laisser tout l'espace
nécessaire au renouveau. Cependant, à partir de son expérience
et de sa connaissance de la situation et étant donné les débats
actuels sur l'enseignement supérieur, il lui semblait important de
livrer une certaine vision du contexte dans lequel évolue l'Université
Laval et d'évoquer certains défis qu'elle a à relever.
Les membres de l'équipe de direction sont convaincus que l'Université Laval traversera avec succès la crise actuelle avec l'appui de ses étudiants, de son personnel, de ses partenaires et des organismes, syndicats et associations qui les représentent.
1 Réjean Drolet et Arnaud Sales, Les étudiants et leurs études à l'Université Laval en 1996, Équipe CODEVIE, Université de Montréal - Département de sociologie, Octobre 1996.
2 Conseil supérieur de l'Éducation, Les nouvelles populations étudiantes des collèges et des universités: des enseignements à tirer, Québec, 1992.
3 Arnaud Sales, Réjean Drolet, Isabelle Bonneau, Frédéric Kuzminski, Gilles Simard, Le monde étudiant à la fin du XXe siècle, Rapport final sur les conditions de vie des étudiants universitaires dans les années quatre-vingt-dix, présenté au ministère de l'Éducation du Gouvernement du Québec, Département de sociologie, Université de Montréal, Mai 1996.