27 février 1997 |
Né le 12 septembre 1942, François Tavenas est diplômé
ingénieur civil de l'Institut national des sciences appliquées
de Lyon, France, et il a obtenu un doctorat de spécialité
de mécanique des sols de l'Université de Grenoble,
France, en 1965.
Arrivé au Québec en janvier 1966, F. Tavenas a obtenu
la citoyenneté canadienne en 1971. F. Tavenas a commencé
sa carrière professionnelle comme ingénieur pour
deux cabinets de génie conseil à Montréal
et à Québec avant d'entreprendre une carrière
universitaire au Département de génie civil de l'Université
Laval. Il y a été successivement chargé de
cours (1968-70), professeur adjoint (1970-73), professeur agrégé
(1973-1978) et professeur titulaire (1978-1989).
Durant toute sa carrière professorale à Laval, F.
Tavenas a été très impliqué en recherche,
obtenant de façon continue des subventions du CRSNG et
participant à une équipe FCAR. Il a publié
à titre d'auteur ou de co-auteur un livre, 49 articles
dans des revues avec comité de lecture, 41 articles dans
des conférences avec comité de lecture et 57 autres
publications. Ses publications lui ont valu le Prix de la Société
canadienne de géotechnique deux fois, la Médaille
d'or Keefer de l'Institut canadien des ingénieurs, la Telford
Premium de l'Institution of Civil Engineers d'Angleterre deux
fois. Finalement en 1995, François Tavenas a reçu
la plus haute distinction décernée par la Société
canadienne de géotechnique, le Prix R.F. Legget.
De 1985 à 1989 F. Tavenas a été doyen de
la Faculté des sciences et de génie. Durant son
mandat, F. Tavenas a, entre autres, instauré un programme
de recrutement des étudiantes, réalisé la
mise en place des premières Chaires industrielles financées
par la CRSNG, collaboré avec les associations étudiantes
à la mise en place d'un fonds d'investissement pour les
équipements d'enseignement, créé les Prix
Summa, créé un Conseil d'orientation de la Faculté
et il s'est activement impliqué dans les grands dossiers
économiques de la région de Québec.
Depuis 1989, F. Tavenas est vice-principal à l'université
McGill, son mandat ayant été renouvelé pour
cinq ans en 1994. Ses responsabilités incluent: la planification
académique et financière, la répartition
du budget aux facultés, les relations avec le gouvernement
et la Ville de Montréal, la gestion des services informatiques,
la gestion des installations physiques, la gestion du budget d'investissement.
Depuis 1989, F. Tavenas a été fortement impliqué
dans différentes activités et comités de
la Conférence des recteurs et des principaux des universités
du Québec (Crépuq) et il a également représenté
cet organisme dans plusieurs comités conjoints avec le
gouvernement.
Dans le contexte de la globalisation de l'économie et
de la transition vers une société du savoir, la
mission des universités s'est modifiée considérablement
au cours des dix dernières années sous l'effet de
plusieurs impératifs politiques ou socio-économiques:
- nécessité de fournir à une proportion croissante
de la population une formation universitaire de base; d'élitiste,
le système universitaire est devenu considérablement
plus accessible;
- nécessité de contribuer plus directement au développement
de l'économie du savoir; de lieu d'érudition et
de sagesse, l'université moderne est devenue un acteur
économique essentiel;
- nécessité de couvrir un éventail toujours
croissant de spécialités avec tout ce que cela implique
en termes de besoins de formation, d'infrastructures de recherche,
d'adaptation des structures et d'évolution des réseaux
locaux et internationaux de recherche;
- nécessité de s'adapter aux nouvelles technologies
de l'information et des communications qui donnent aux universités
de nouveaux moyens d'action, mais qui les ouvrent en même
temps à une nouvelle concurrence;
- nécessité de répondre à des attentes
socio-économiques locales croissantes et de plus en plus
immédiates, en même temps qu'elles doivent rester
compétitives sur la scène mondiale.
Au moment même où les responsabi-lités
des universités se sont ainsi accrues ou modifiées,
on a assisté, au Québec en particulier, à
l'imposition de nouvelles contraintes résultant de la situation
des finances publiques.
Pour faire face à ce nouvel environnement aux exigences
souvent contradictoires, les universités doivent redéfinir
leur mission en visant la différenciation dans la concertation,
faire preuve d'esprit d'innovation et mettre en place de nouveaux
modes de gestion. Elles doivent en même temps protéger
le rôle historique de l'institution universitaire.
L'UNIVERSITÉ LAVAL: PLACE ET QUALITÉ
L'Université Laval occupe une place très particulière
dans le système universitaire québécois:
- elle est la seule université complète dans l'Est
du Québec, avec une attente du milieu et un espoir interne
de maintenir ce caractère complet;
- elle a une tradition de desserte des besoins de formation pour
tout l'Est du Québec, mais elle doit faire face aux défis
posés par la présence et l'attrait de certaines
autres universités, défis donc de nouvelles stratégies
de recrutement des étudiants;
- elle a des ambitions de grande université de recherche,
ambitions pleinement justifiées par une croissance remarquable
des activités de 2e et 3e cycles et de la recherche depuis
vingt ans.
Dans ce contexte, la clé du succès pour l'Université Laval, c'est de décider de façon sélective ce qu'elle veut être, en fonction de ses qualités propres, mais en tenant compte de son environnement. C'est ensuite d'établir des alliances stratégiques avec d'autres universités, au Québec et ailleurs au Canada et dans le monde, ou avec d'autres intervenants comme les cégeps, pour atteindre ses objectifs.
Les qualités de Laval, telles que je les perçois,
sont:
- une longue tradition de présence forte dans la majorité
des secteurs d'enseignement et de recherche;
- une croissance remarquable, des activités de 2e et 3e
cycles et de recherche;
- un renouvellement du corps professoral bien amorcé, avec
de nombreux jeunes professeurs formés dans les meilleures
universités, hautement préoccupés de qualité
d'enseignement, et déjà compétitifs en recherche;
- une présence active dans le développement économique
de la région de Québec;
- une ouverture croissante sur le monde, récemment formalisée
par l'adoption d'une Politique sur l'internationalisation de la
formation ;
- une situation financière relativement saine si on la
compare aux autres universités québécoises.
C'est à partir de ces éléments de contexte que, avec l'appui de plusieurs collègues des divers secteurs de l'université, j'ai élaboré un programme d'action pour les cinq prochaines années. Ce programme vous sera détaillé au cours des prochaines semaines. Je voudrais en présenter ici les grands principes directeurs, soit Innovation, Qualité, Décentralisation, Concertation et Diversification des sources de financement.
INNOVATION
Dans le contexte du développement accéléré
des connaissances, de l'évolution des besoins et des nouvelles
technologies, les défis se posent aux universités
avec une acuité renouvelée, notamment dans le domaine
de l'enseignement.
Pour conforter sa position particulière dans le réseau, l'Université Laval doit doter ses programmes d'un caractère distinctif qui lui permettra d'attirer d'excellents étudiants de toutes les régions du Québec et d'autres régions du Canada et du monde. Je propose que nous innovions par la création d'un baccalauréat de type Arts et Sciences , par la création de programmes courts d'insertion au marché du travail et par le développement d'un vaste éventail d'activités de formation continue de haut niveau, pour mieux répondre aux exigences dynamiques d'une économie du savoir.
Nous devrions également innover en offrant des filières internationales dans certains de nos programmes pour ouvrir aux jeunes Québécois les horizons linguistiques et culturels essentiels pour leur permettre de faire face aux défis de la mondialisation. C'est par des actions novatrices que nous pourrons appuyer la stratégie de recrutement nécessaire si nous voulons diversifier notre clientèle étudiante et, ainsi, contrer les effets négatifs de la démographie propre à l'Est du Québec.
L'innovation pédagogique devrait aussi être au centre
de nos préoccupations au moment où l'arrivée
des nouvelles technologies de l'information et des communications
nous offre de nouveaux moyens d'interaction et nous invite à
repenser la fonction de transmission des connaissances. Les NTIC
nous offrent par ailleurs la possibilité d'étendre
le champ d'action de Laval bien au delà de la région
de Québec ou des frontières du Canada, nous ouvrant
ainsi de nouveaux marchés.
Enfin, dans le domaine de la recherche, nous devrons innover par la mise en place de nouveaux modes de transfert des produits de la recherche pour faire face aux attentes de la société, qui dépend de plus en plus de la connaissance créée dans les universités pour assurer son progrès économique, social et culturel.
QUALITÉ
Laval est l'une des grandes universités de recherche du
Canada, compétitive au niveau mondial dans bien des secteurs.
Pour conforter cette position, elle doit faire le pari systématique
de la qualité dans toutes ses actions.
Une université est grande d'abord par la qualité de son corps professoral. Laval a consolidé sa position dans ce domaine par un recrutement remarquable au cours des dix dernières années. Nous devrons poursuivre nos efforts par l'engagement de jeunes professeurs formés dans les meilleures universités un peu partout à travers le monde, en nous assurant que leur sélection se fera en apportant une attention égale à leurs qualités pédagogiques et de recherche et en leur offrant des programmes d'intégration bien orchestrés.
Une université est grande par la qualité de ses programmes d'enseignement et par l'énergie qu'elle consacre au développement de cette qualité. Tous les professeurs de Laval, quelles que soient par ailleurs leurs responsabilités de recherche ou d'administration, devraient avoir à coeur de contribuer à cette tâche; le recteur doit prêcher par l'exemple dans ce domaine et je compte bien maintenir une tâche d'enseignement de 1er cycle durant tout mon mandat de recteur de l'Université Laval. La question centrale de l'évaluation des enseignements et des programmes devra être revue, en particulier dans le contexte d'une procédure intégrée pour assurer une amélioration continue de la pertinence et de la qualité de nos programmes.
Une université est grande également par la qualité de ses étudiants. Celle-ci passe par la mise en place d'une politique universitaire de recrutement et par des stratégies facultaires complexes et hiérarchisées, bien adaptées. Au niveau du 1er cycle nous devrons observer attentivement les effets de la décision récente d'abolir nos normes d'admission particulières et nous devrions être prêts, au besoin, à revenir à une approche plus sélective de l'admission; il ne s'agit pas là de nous refermer sur une vision élitiste de l'université, mais plutôt de contribuer à une gestion responsable des fonds publics et du capital humain que représente la jeunesse québécoise. Au niveau des 2e et 3e cycles, la qualité des étudiants passe par la mise en place de moyens financiers pour nous permettre d'attirer les meilleurs candidats; elle passe aussi par la concertation entre les universités québécoises pour assurer une meilleure mobilité des étudiants.
Une université est grande, enfin, par la qualité de ses recherches. Celle-ci est assurée au premier chef par la qualité du corps professoral. Elle demande aussi que l'université offre des moyens d'appui aux jeunes chercheurs, l'aide au développement d'infrastructures et cultive une forte présence auprès des organismes subventionnaires. Dans le contexte d'une économie du savoir, une entreprise de recherche de qualité doit aussi conduire aux transferts de connaissances dont la société a besoin pour appuyer son développement socio-économique et affirmer son identité culturelle. Laval est en avance dans ce domaine au Québec, mais elle devra voir à renforcer encore sa position.
DÉCENTRALISATION
La période de croissance depuis les années 50 a
vu les universités devenir de très grandes organisations
complexes et hiérarchisées. C'est ainsi que le rôle
essentiel d'initiative et d'orientation exercé par le corps
professoral, au coeur de la tradition universitaire, s'est progressivement
retrouvé encadré et probablement limité par
une culture organisationnelle de plus en plus formelle et centralisatrice.
Pour relever les défis du changement accéléré,
toutes les grandes organisations doivent s'en remettre à
la créativité de leur personnel. C'est tout particulièrement
vrai des universités, qui doivent revenir à leurs
valeurs fondamentales de soutien à la créativité
individuelle. Aussi, je compte bien faire de la décentralisation
la clé de voûte de la gestion de l'Université
Laval au cours des prochaines années.
Pour atteindre cet objectif primordial tout en conservant la coordination nécessaire, je compte mettre en place les mécanismes nécessaires à une participation effective des doyens à la gestion d'ensemble de l'université. Je propose de poursuivre les actions de décentralisation budgétaire pour les mener au bout de leur logique, d'introduire dans les mécanismes d'allocation la prise en compte du volume et de la qualité des activités des unités, d'assurer une transmission d'information aussi transparente que possible et de mettre en place des processus de reddition de comptes par tous les gestionnaires.
CONCERTATION
À une époque de changement accéléré,
il est essentiel de pouvoir compter sur la concertation de tous,
personnes et organisation.
À l'intérieur de l'université, la gestion
du changement implique un haut niveau de confiance et de respect
mutuel au sein de la communauté. Pour y arriver, je compte
mettre en place des mécanismes de consultations des membres
de ses différentes composantes. Ces mécanismes seront
faits de rencontres hebdomadaires avec des groupes de professeurs,
de rencontre mensuelles avec les responsables des associations
étudiantes, et de rencontre semestrielles ou annuelles
avec les assemblées départementales et facultaires.
En ce qui concerne les relations avec les responsables syndicaux,
au delà des processus habituels de négociation et
de gestion des conventions collectives, je compte tenir des rencontres
semestrielles ou annuelles pour échanger sur l'état
de la nation.
Dans le réseau de l'enseignement supérieur aujourd'hui le mot d'ordre est à la concertation. Celle-ci est souvent associée à une notion plus forte de rationalisation. Je suis loin d'être convaincu que les attentes politiques soient réalistes lorsque je constate que le réseau universitaire québécois fonctionne déjà avec des ratio étudiants/professeur de l'ordre de 20, soit le double de ceux en vigueur dans les systèmes publics en Angleterre ou aux États-Unis. Ceci dit, toutes les universités ont la responsabilité de participer pleinement à l'effort de concertation en cours sous les auspices de la CRÉPUQ. Seule université complète de l'Est du Québec, Laval est en fait bien placée pour offrir sa collaboration aux autres universités de cette région et ainsi contribuer à mieux desservir les besoins d'enseignement, de recherche et de transfert des connaissances.
Par ailleurs, nous avons également l'obligation de développer une meilleure concertation avec les Cégeps de notre territoire, avec l'objectif d'améliorer l'efficacité de nos actions de recrutement, d'explorer avec eux la création de nouveaux types de programmes intégrés, d'atteindre un meilleur partage des champs de responsabilité dans le domaine de la formation continue et de développer une plus grande collaboration dans les activités où la complémentarité dans la desserte des besoins des PME est réelle.
NOUVELLES SOURCES DE FINANCEMENT
Dans le contexte difficile des prochaines années, la concertation
interuniversitaire fournira peut-être une certaine aide,
mais elle ne résoudra pas le problème fondamental
de l'insuffisance des ressources financières.
Le recteur, avec l'appui de la communauté, aura la responsabilité de défendre la cause de l'université et de son financement auprès du gouvernement et du public. La concertation avec les étudiants, les professeurs et les employés sera essentielle sur ce sujet vital et d'intérêt commun. Il ne faut pas penser cependant que la cause sera facilement entendue; elle demandera au contraire une solide analyse, une énergie de tous les instants et beaucoup de persistance. Ceci dit, nous devons penser sérieusement à diversifier nos sources de financement.
Dans le domaine de l'enseignement, la formation continue est appelée à une forte croissance. Il y a là un marché à exploiter, aussi bien du côté des professionnels, que des entreprises. Dans les deux cas, il s'agit de marchés dans lesquels les forces économiques en jeu justifient pleinement des modes de financement privés.
Avec l'arrivée des NTIC, de nouveaux marchés sont également en train de s'ouvrir que nous devrons exploiter, que ce soit en offrant des formations à distance à l'extérieur du Québec ou encore en commercialisant des produits pédagogiques médiatisés. Il sera utile de travailler en collaboration avec d'autres universités et des entreprises spécialisées; le cadre de telles collaborations est en cours d'élaboration par la CRÉPUQ et Laval est particulièrement bien placée pour y participer.
Dans le domaine de la recherche, le transfert des connaissances et l'exploitation de la propriété intellectuelle sont deux champs d'action dans lesquels l'université doit accroître son investissement pour en tirer des bénéfices financiers tout autant que scientifiques et politiques. Il faudra cependant mettre en place des structures appropriées pour bien distinguer ces activités de la recherche universitaire et pour leur fournir le cadre juridique et administratif nécessaire à un développement rapide.
La concertation avec des partenaires économiques comme Innovatech ou des investisseurs privés facilitera les choses. Enfin, la maintien des marges de manoeuvre nécessaires au développement dynamique des universités passe de plus en plus par l'accès à des sources de fonds privés dans le cadre de campagnes de souscription. Laval termine actuellement sa Campagne Défi. Au delà de l'atteinte rapide de l'objectif de 60 M $ qui sera ma première priorité à titre de recteur, il nous faudra mettre en place une structure décentralisée et permanente de levée de fonds, suivant en cela les modèles bien établis à McGill ou dans les universités américaines qui ont une longue pratique de ces activités.
CONCLUSION
Ma longue carrière à Laval m'a permis d'acquérir
une bonne connaissance de l'université, de ses traditions,
de sa culture et de son environnement, qui devrait m'être
utile dans une période où l'ensemble de la communauté
devra s'adapter et innover. De mon passage à McGill et
de mes interactions avec divers milieux universitaires j'ai retiré
des leçons d'une grande richesse quant à l'organisation
des activités académiques et à leur financement
ou quant aux méthodes de gestion de l'université.
Mon implication dans les activités provinciales, au niveau de la CRÉPUQ et en interaction avec le ministère de l'Éducation, m'a fourni une excellente compréhension de la dynamique du réseau universitaire québécois au moment où de nouveaux modes de collaboration devront être établis. Enfin, mes implications dans les milieux du transfert technologique et dans les dossiers importants comme les nouvelles technologies de l'information des communications devraient avoir des retombées bénéfiques dans le développement de ces secteurs vitaux pour l'Université Laval et pour la région de Québec et pour le Québec tout entier.>
Je compte revenir en détail sur les idées exposées
ici pour les traduire en propositions plus fonctionnelles sous
les grands thèmes de l'enseignement, de la recherche, de
l'administration et des liens avec la société qui
nous entoure et nous supporte. Je serais également heureux
de recevoir vos commentaires et réactions pour nous permettre
d'enrichir la discussion.