27 février 1997 |
Après des études en Angleterre en tant que boursier Athlone et deux années d'expérience dans un bureau d'études de Montréal, je suis devenu professeur à l'Université Laval en 1972. Durant mes premières années ici à Laval, j'ai surtout été un enseignant, et, comme je l'ai indiqué dans la lettre que j'ai envoyée à la communauté universitaire en janvier dernier, c'est une période de ma vie qui m'a apporté de grandes satisfactions. Par la suite en 1980, parallèlement à ma carrière à l'Université, j'ai entrepris des études de doctorat à l'Université Pierre et Marie Curie à Paris.
C'est après avoir terminé ma thèse de doctorat en 1984 que j'ai entrepris en quelque sorte une seconde carrière plus orientée vers la recherche. J'ai travaillé au développement d'un nouveau secteur de recherche à Laval, la technologie du béton. Les efforts que j'ai faits pour bâtir une équipe solide, ainsi que la collaboration avec l'Université de Sherbrooke, ont permis la création en 1987 du Centre de recherche interuniversitaire sur le béton (le CRIB). Ce centre, dont je suis le directeur depuis 1990, a maintenant une renommée très enviable au plan international. Plus de cent personnes y font des études de maîtrise ou de doctorat. Je suis fier d'avoir été un des principaux artisans de sa création et de participer à son rayonnement.
Depuis 1990, plusieurs événements ont mis en évidence le travail que j'ai fait pour développer la recherche à Laval. En 1991, j'ai obtenu la Wason Medal for Materials Research de l'American Concrete Institute. L'année suivante, j'ai été nommé Fellow de cette société. Plus récemment, en 1994, les succès de Laval dans le domaine du béton ont permis la création d'une chaire industrielle dont je suis le premier titulaire. Je suis professeur invité à l'École Normale Supérieure de Cachan à chaque année depuis 1991 et je suis fréquemment sollicité pour donner des conférences dans diverses universités et instituts de recherche à travers le monde.
Au cours des dernières années, tout en étant directeur du CRIB et tout en poursuivant des activités de formation, surtout aux deuxième et troisième cycles (j'ai dirigé dix thèses de doctorat depuis 1989), je me suis intéressé à l'administration de l'université. Je suis actuellement représentant des professeures et des professeurs de la Faculté des sciences et de génie au Conseil universitaire où je siège depuis 1991. Je suis aussi membre du Conseil d'administration depuis 1992 et, depuis 1995, membre du Comité exécutif.
Chères et chers membres de la communauté universitaire,
J'ai eu l'occasion, depuis ma dernière lettre, de rencontrer un grand nombre d'entre vous et de discuter de l'avenir de l'Université Laval. Ce qui se dégage clairement de ces discussions, c'est que vous souhaitez, comme moi, une université forte et ouverte où la qualité de la formation est la préoccupation essentielle. Dans cette université, les valeurs fondamentales sont le sens de l'effort personnel et l'universalité du savoir, et les décisions y sont prises dans le respect de l'opinion des membres de la communauté.
Si j'ai décidé de poser ma candidature au rectorat, c'est que je suis convaincu que l'expérience que j'ai acquise dans les domaines de l'enseignement, de la recherche, de la gestion et du développement peut aider l'Université Laval à faire face aux défis qu'elle devra relever au cours des prochaines années.
Ces défis sont nombreux. Il y a bien sûr les problèmes financiers et la nécessité de l'adaptation rapide aux changements sociaux et technologiques. Le principal défi est cependant avant tout celui de la spécificité. Pour que l'Université Laval continue de se développer, il faut pouvoir démontrer aux étudiantes et aux étudiants des trois cycles qu'elle a une vocation qui lui est propre, et qu'elle offre véritablement la formation dont ils et elles ont besoin.
Je vous présente ici les principales idées et propositions de mon plan d'action pour les cinq prochaines années. Les rencontres et les débats qui auront lieu durant les semaines qui viennent permettront d'en discuter à fond et aussi d'échanger sur plusieurs autres sujets reliés au développement de l'Université.
Le défi de la spécificité
Des orientations bien définies
Comme bien des collègues me l'ont confirmé, ce sont
en premier lieu les unités d'enseignement et de recherche
elles-mêmes ainsi que les comités de programme qui
sont les mieux en mesure de définir correctement les orientations
prioritaires dans chacun des secteurs d'activité. Ces choix
doivent évidemment tenir compte non seulement des forces
présentes dans chaque unité et de la nécessité
de rationaliser nos activités, mais également de
ce qui se fait ailleurs dans les autres universités au
Québec. Certaines unités ont déjà
entrepris ce travail. Toutes les autres devront le faire. Il faudra
cependant aussi que la direction de l'Université analyse
globalement la situation et définisse la position de Laval
à l'intérieur du milieu universitaire québécois
de même que ses liens avec la société, tout
en considérant l'opinion de la communauté universitaire
et les résultats des travaux en cours à la CREPUQ.
Dans cette optique, et afin que l'Université puisse agir
le plus rapidement possible, je proposerai aux instances décisionnelles
la formation d'un groupe représentatif de la communauté
universitaire qui sera chargé d'alimenter la réflexion
à ce sujet.
Favoriser l'interdisciplinarité
La nécessité du décloisonnement et du contact
entre les diverses méthodes et disciplines est une autre
conviction que je partage avec vous. Nous savons toutes et tous
à quel point cela peut être fructueux, tant pour
l'enseignement que pour la recherche. Malheureusement la culture
universitaire basée sur l'appartenance aux unités
est souvent un obstacle aux activités interdépartementales,
interfacultaires ou interuniversitaires.
Afin de favoriser au maximum l'interdisciplinarité, qui devra devenir un élément de notre spécificité, je soumettrai aux instances décisionnnelles des mécanismes incitant les professeures et les professeurs au double rattachement. J'ai pu vérifier auprès de plusieurs d'entre vous qu'une telle mesure serait vue très favorablement. De plus, comme cela est expliqué plus loin, je proposerai des mesures afin de sensibiliser les étudiantes et les étudiants à cette vision interdisciplinaire de la formation.
Le défi de l'ouverture
L'Université Laval n'est pas une université régionale.
Son rayonnement dépasse les frontières de notre
pays. Elle n'en joue pas moins un rôle très important
dans la région. Tout en évitant toute démarche
purement utilitariste, elle doit donc être à l'écoute
de son milieu, innover et développer ses relations avec
les différents acteurs sociaux, culturels et économiques
de la région et de tout l'est du Québec. Elle contribuera
ainsi à trouver des réponses originales aux question
soulevées par ses partenaires et à offrir une vision
plus optimiste de la dynamique régionale. Pour atteindre
ce but, quatre moyens d'action seront mis en oeuvre:
- les membres de la communauté universitaire seront encouragés à participer aux réflexions et aux débats publics sur les grands enjeux de la société québécoise,
- les membres externes du Conseil d'administration seront invités à jouer un rôle actif pour favoriser les relations de notre communauté avec la société,
- une politique de communication externe dynamique et structurée viendra appuyer ces démarches d'ouverture et d'implication et permettra de faire valoir à la société tout ce que l'Université fait pour elle,
- un membre de l'équipe de direction aura la responsabilité de coordonner les principaux dossiers d'interface afin que cela devienne sa première préoccupation plutôt que d'être une des nombreuses préoccupations de plusieurs personnes.
Le défi de l'adaptation au changement
Comme je l'ai indiqué dès le début, l'Université
doit rationaliser ses façons de faire, simplifier ses méthodes
administratives et être sans cesse préparée
à faire face au changement. Le choix des vice-rectrices
et des vice-recteurs devra tenir compte de ces impératifs.
À titre de candidat, je n'entends pas présenter ici une toute nouvelle structure de direction pour la gestion des études, de la recherche et des services. Il faut toutefois que l'Université puisse profiter au maximum de toutes les techniques nouvelles de gestion souple, légère et décentralisée qui permettent à la fois l'harmonie dans les relations internes, l'adaptation rapide aux changements et le développement. À cet égard, je n'hésiterai pas à faire appel à des candidatures provenant du secteur privé pour le choix d'un des vice-recteurs ou vice-rectrices responsables de questions administratives, d'autant plus que cela pourrait être très stimulant pour l'équipe de direction. Par ailleurs, l'adaptation au changement devra aussi se manifester dans nos pratiques pédagogiques. Il en sera question plus loin.
Le défi de la communication
Une bonne gestion suppose que ceux et celles qui dirigent l'Université
connaissent bien la réalité vécue par tous
les membres de la communauté universitaire dans toutes
les unités d'enseignement et de recherche et dans tous
les services. Ils et elles doivent être ouverts. La communication
est donc un élément essentiel et, en tant que recteur,
j'entends rester accessible et à l'écoute et j'exigerai
que les autres membres de la direction de l'Université
le soient également. À cette fin, un peu comme je
l'ai fait durant l'automne dernier dans le but mieux connaître
les intérêts et les préoccupations de toute
la communauté universitaire, j'organiserai sur une base
régulière des rencontres avec des groupes cibles.
Le défi financier
Dans le difficile contexte financier actuel, il est important
d'avoir la vision la plus claire possible des problèmes
budgétaires et de bien définir ce qui devra être
fait durant les années qui viennent. Pour ce qui est de
la prochaine année financière (1997-1998), la situation
est maintenant assez claire. Le Conseil d'administration a pris
les décisions appropriées dans les circonstances,
en respectant nos engagements envers la communauté universitaire.
Un déficit annuel d'environ 20M$ est prévu.
Pour l'année financière 1998-1999 et les suivantes, la situation est loin d'être aussi claire. Nous ne connaissons ni la formule de financement qui sera suggérée par le comité Gilbert, ni l'enveloppe globale que le gouvernement mettra à la disposition des universités. Cependant, après une diminution de près de 25% de la subvention gouvernementale de 1995 à 1998, nous sommes en droit de croire que les compressions seront terminées et que l'Université Laval pourra rétablir sa situation financière sur une période de deux à quatre ans. Tout en tenant compte de la mission fondamentale de l'Université et de la diversité de ses composantes, du rôle des unités en ce qui a trait au développement des activités, et tout en étant à l'écoute de toutes les idées qui pourront venir des membres de notre communauté, les voies principales que j'entends privilégier sont les suivantes:
- l'utilisation de l'incitation à la retraite pour la réduction des masses salariales,
- l'augmentation des revenus générés par la formation continue,
- la recherche de nouveaux revenus, entre autres ceux liés à la coopération internationale,
- la rationalisation des activités dans chaque unité,
- la poursuite de la simplification administrative,
- un appui institutionnel aux unités dans leurs efforts pour faire connaître dans toute la province la qualité de la formation offerte par Laval,
- l'utilisation optimale de la valeur financière des découvertes des chercheurs.
Le défi de la formation et de la recherche
L'accessibilité et le sens de l'effort
L'accessibilité à la formation universitaire est
essentielle au développement de notre société
qui a besoin que ses citoyens soient bien préparés
à vivre dans un univers changeant et extrêmement
exigeant. Mais, je l'ai clairement exprimé dans ma lettre
de présentation, cela ne doit pas se faire au prix d'un
relâchement des exigences. Il faut que tous ceux et celles
qui souhaitent entreprendre des études universitaires sachent
que l'effort personnel et le travail sont des outils nécessaires
à la réussite. L'Université devra donc clarifier
ses attentes auprès des étudiantes et des étudiants.
À cet égard en particulier, le maintien d'un bon
dialogue avec les Cégeps sera essentiel.
L'accueil et l'encadrement
Afin de fournir aux étudiantes et aux étudiants
les conditions les plus favorables à leur réussite,
des actions devront être entreprises. Les principales sont
les suivantes:
- généraliser les politiques d'accueil et de soutien aux individus,
- impliquer les étudiantes et les étudiants plus avancés auprès des débutants,
- poursuivre la réflexion déjà amorcée sur la vie étudiante et la formation universitaire face au travail étudiant,
- insister sur la disponibilité des professeures et des professeurs,
- utiliser les nouvelles technologies de manière efficace.
Une formation de qualité
Je suis personnellement convaincu de la qualité de la formation
à l'Université Laval. Les enquêtes auprès
des diplômées et des diplômés menées
durant les dernières années en témoignent.
Il n'en reste pas moins que les efforts en vue d'une amélioration
de la qualité de la formation doivent être poursuivis.
Les principaux moyens à utiliser sont les suivants:
- systématiser l'utilisation de l'évaluation formative,
- assurer le suivi des évaluations en mettant l'accent sur le rôle des directeurs et directrices de département qui doivent aider et orienter les professeures et les professeurs à ce sujet,
- mettre les compétences pédagogiques parmi les préoccupations lors de l'embauche et de la promotion des professeures et des professeurs.
- utiliser au maximum les possibilités qu'offre le Réseau de valorisation de l'enseignement au niveau des échanges sur la pédagogie et la diffusion des expériences et des approches, en particulier en ce qui a trait aux nouvelles technologies.
La préparation au marché du travail
La préparation au marché du travail dans un monde
en évolution constante est un défi. Il s'agit là
d'un aspect de la formation auquel l'Université doit continuer
d'être sensible et qui requiert des politiques institutionnelles
claires et dynamiques. Je propose entre autres:
- de sensibiliser les étudiantes et les étudiants à la société contemporaine et aux nouvelles modalités de travail par des cours communs sur de grandes problématiques interdisciplinaires axés sur le développement de la pensée face à des problèmes complexes.
Il faudra aussi:
- continuer de développer des contrats de stages et des programmes coopératifs là où c'est pertinent,
- mettre en oeuvre la nouvelle politique de l'internationalisation, en insistant sur l'accueil des étudiants étrangers, sur les stages internationaux et la formation linguistique.
Le développement de la recherche
Depuis une dizaine d'années, la recherche a pris chez nous
un essor considérable. Le développement de nombreux
centres de recherche, couplé à une vigoureuse politique
d'évaluation de ces centres par la Commission de la recherche,
n'est sûrement pas étranger à cet état
de fait.
Au cours des prochaines années, il faudra continuer d'encourager la recherche, qu'elle soit fondamentale ou appliquée, subventionnée ou non. Les efforts qui devront être faits dans d'autres secteurs de l'activité universitaire ne doivent pas nous en détourner, car les succès en recherche sont nécessaires, autant pour attirer chez nous à la fois les meilleurs étudiantes et étudiants et les meilleurs professeures et professeurs, que pour atteindre notre objectif de base qui est la qualité de la formation aux trois cycles. La recherche est en effet non seulement un merveilleux instrument de formation aux deuxième et troisième cycles, mais elle est nécessaire pour maintenir la qualité de nos programmes de premier cycle. Les principales bases de l'action de l'Université dans ce domaine seront les suivantes:
- le maintien du support aux centres et aux groupes,
- l'encouragement à l'interdiciplinarité et à la création de réseaux forts de formation et de recherche sur des problématiques qui préoccupent nos sociétés,
- l'appui aux initiatives nouvelles qui ont un fort potentiel dans les domaines social, culturel et scientifique,
- le développement du rôle du vice-rectorat à la recherche en ce qui a trait à la diffusion des politiques nouvelles des organismes subventionnaires (et des gouvernements) et à la recherche de nouvelles sources de financement,
- la prise en compte de l'importance des activités de formation dans les choix institutionnels, tant pour ce qui est de la recherche subventionnée que des commandites.
Le recteur est avant tout un pair parmi les pairs ayant toutefois une responsabilité institutionnelle bien particulière. Il lui revient d'assumer un leadership qui favorisera le rayonnement et la renommée de son université. Dès mon entrée en fonction, soyez assurés que j'y consacrerai toutes mes énergies. Ma première priorité sera bien sûr la réflexion globale sur l'avenir de l'Université et le travail dans les unités concernant les orientations prioritaires. Les circonstances actuelles exigent en effet des actions rapides. La deuxième de mes priorités sera le décloisonnement, car il s'agit d'un impératif pour la poursuite du développement de l'Université. Une politique concernant le double rattachement (que je considère comme un des meilleurs moyens pour y parvenir) devra donc être élaborée très rapidement. La troisième sera d'enraciner chez nous une véritable culture de l'effort, tout en faisant en sorte que les attentes à l'égard des étudiantes et étudiants à ce sujet soient les plus claires possible.
L'Université Laval, il faut le redire, doit être un lieu de formation ouvert mais exigeant. Un lieu où l'on s'attend à devoir se dépasser pour réussir. Un lieu recherché et prisé pour la qualité de la formation qui y est dispensée. Un lieu de débat et de dialogue. Un milieu de vie stimulant. Et, dans ce lieu, le plaisir de la connaissance, la valorisation du savoir, la disponibilité des professeures et professeurs ainsi que l'autonomie des étudiants et des étudiantes seront toujours au centre de mes préoccupations.