27 février 1997 |
LE COURRIER
Chers collègues,
Je suis un professeur en colère.
En colère, parce que mon vice-recteur exécutif vient de m'intimer l'ordre, par personnes interposées, de lui indiquer pour le 24 février, sur trois feuilles à colonnes, la façon dont je compte remplir ou dépasser l'objectif d'une coupure de 3,7 millions de dollars pour ma faculté.
En colère, parce que ce même vice-recteur est venu me raconter il y a quelques mois que les coupures horizontales étaient un non-sens et que c'était terminé; qu'on devait maintenant envisager des coupures verticales.
En colère, parce qu'aucune réflexion impliquant toute la communauté universitaire n'a encore été amorcée à cet effet.
En colère, parce qu'on me dit que ma faculté doit s'astreindre à des coupures de 14 %, sans me dire à quoi sont soumis les autres facultés, écoles, départements, etc., et surtout sans que je puisse juger de l'équité d'une telle répartition des coupures.
En colère, parce qu'on me répète sans cesse que l'administration a fait sa part, sans me dire quelle est cette part, et que je vois autour de moi des inflations administratives éhontées.
En colère, parce que le doyen de ma faculté me suggère de regrouper les 13 départements de ma faculté en 6 ou 7 unités, le tout devant être réalisé en un laps de temps éclair.
En colère, parce qu'on me demande de procéder à une réforme avant que des comités dûment mandatés pour procéder à certains aspects de la réforme n'aient présenté leurs conclusions.
En colère, parce qu'on me demande d'endosser le sabotage d'une structure universitaire, sans qu'il y ait de plan d'ensemble autre que de rencontrer des coupures budgétaires imposées par on ne sait quel conseil d'administration uniquement préocupé de gestion économique.
Je suis au bord du précipice, et ce qu'on me propose est de décider entre, soit de me laisser pousser dans le vide, soit de sauter par moi-même. JE REFUSE. Je sauterai lorsque je serai assuré que les ficelles sont suffisamment solides et adéquatement tressées pour que le parachute s'ouvre et tienne le coup. Pas avant.
Pas avant d'avoir été convaincu:
- qu'il y a équité dans les coupures entre les diverses unités
à la grandeur du campus et non par petit groupes isolés;
- que tous les programmes offerts sont utiles et répondent à un besoin social;
- que l'administration, à tous les niveaux, a aussi fait sa part autrement qu'en paroles;
- qu'il y a équité dans la charge de travail des professeurs de l'ensemble de l'Université;
- que le plancher d'emploi à tous les niveaux (incluant les professeurs et les Apapuliens) est réaliste et en adéquation avec la mission de l'Université qui est l'enseignement et la recherche;
- que tout ce qu'on appelle souvent abusivement "services" soit minutieusement évalué en terme d'efficacité.
Pas avant:
- que les candidats à présider aux destinées de NOTRE
université (rectorat, décanat) aient proposé des avenues
de solutions et pris des engagements clairs de résultats;
- qu'on m'ait démontré que toute restructuration visera une amélioration de la qualité de l'enseignement et la recherche, et une saine gestion budgétaire.
En somme, pas avant qu'il n'y ait un PLAN.
Je suis partant pour une restructuration en profondeur de l'Université, avec un échéancier à moyen terme (disons un an, un an et demi, ... à condition qu'on décide de s'y mettre). Mais de grâce, évitons la panique de ceux qui se soumettent à un conseil d'administration non élu et non représentatif de notre communauté et qui ne seront pas là demain pour tenter de recoller les pièces des pots cassés. La colère n'est pas bonne conseillère, dit-on, mais elle me dicte présentement d'opposer un refus catégorique à jouer le jeu d'un démembrement qui ne présente aucune garantie d'efficacité, tant au niveau de l'enseignement et la recherche, qu'à celui d'une économie budgétaire réelle et durable.
Dans l'éditorial du 28 janvier 1997, par la plume d'une camarade apparemment d'origine étrangère, Impact Campus plaide fermement pour la hausse des frais de scolarité des étudiants non québécois. Cette attitude - franche et directe par opposition à d'autres qui "parlent des deux côtés de la bouche" (en bon québécois) - choque par la légèreté avec laquelle ce sujet sensible est traité. Sans remettre en cause la compétence de toute l'équipe qui l'endosse, l'Association des étudiant(e)s étrangers(ères) (A.É.É.) regrette néanmoins que cet article - sans enquête ou étude de fond - mésestime la situation et le statut des étudiants étrangers au Québec. Il est navrant ainsi que la stratégie du gouvernement de diviser la communauté universitaire sur la question des frais de scolarité ait trouvé des échos dans des organes subventionnés par les cotisations des étudiants, sans discrimination.
La discrimination, selon le dictionnaire Robert, désigne "le fait de séparer un groupe social des autres en le traitant plus mal". A ce titre, l'AÉÉ. - constituée de toutes les races, dont environ 50 citoyennetés des cinq continents - qui ne fait pas du teint de la peau ou de la nationalité son leitmotiv conteste la mesure Marois. Et sans s'arrêter sur des considérations politiques qui ne l'interpellent pas - ses membres n'ayant pas le droit de voter au Canada - l'AÉÉ soutient que cette mesure est discriminatoire à l'encontre des siens. Elle hypothéquera la vie et les conditions d'étude d'une grande majorité des 16 000 étudiants non québécois au Québec L'AÉÉ rappelle en conséquence - dans l'esprit du choix historique du Québec d'assurer l'accessibilité à l'éducation et de la Convention internationale des droits de l'homme en son article 26 - que l'éducation est un droit, pas un privilège... surtout pour les étudiants étrangers qui contribuent pleinement au financement de ce service au Québec et à son rayonnement international. L'AÉÉ en profite donc pour rétablir les faits.
À sa connaissance, il n'existe pas au Québec de subventions (des universités, des gouvernements canadien ou québécois) destinées exclusivement à financer les frais attachés à la formation de la totalité des étudiants étrangers. Il y aurait par contre une subvention de 5 000 $ par étudiant (québécois ou non) inscrit dans une université. Cette subvention n'est pas attribuée au prorata des nationalités; mais pour l'ensemble des étudiants. Par leur nombre dans les universités québécoises, les étudiants non québécois stimulent ainsi la subvention au réseau éducatif québécois. D'autre part, l'étudiant étranger a déjà été augmenté quatre fois depuis 1978; alors qu'il payait le même montant que son camarade québécois. Il dépense maintenant 4.5 fois plus cher que l'étudiant québécois; soit: 3 052 $ pour 12 crédits (temps complet) par session; sans compter les frais d'assurance, de logement, d'entretien (habit, alimentation), etc. Pourtant sa présence génère à l'économie québécoise pas moins de 15 000 $ par an, par étudiant. Il compense alors largement cette subvention que les universités utilisent à leur guise; sans privilégier les étudiants non québécois.
Notons aussi que selon un calcul du coût par étudiant (coût marginal), le gouvernement québécois profite des étudiants non québécois; les coûts fixes, tels les salaires des professeurs, l'entretien des locaux, etc. étant en partie amortis par la présence massive des étudiants étrangers - dont la totalité dépensent tous leurs revenus au Québec et dont plus de la moitié payent des frais majorés grâce à des bourses, des épargnes parentales ou personnelles durement acquises dans leur pays d'origine.
Cet exposé des faits ne comptabilise pas les bénéfices générés par les travaux de recherche des étudiants étrangers, le rayonnement international qu'ils procurent aux universités québécoises, les opportunités d'affaire offertes aux entreprises québécoises à l'étranger, etc. Enfin, évitons l'amalgame entre les différentes catégories d'étudiants étrangers au Québec: exemptés des frais majorés, boursiers (parfois de leur État), financés par leurs parents ou personnellement; car, seuls les exemptés - une minorité qui ne paient pas les frais majorés - ont la certitude d'être à l'abris de la mesure Marois. Les autres risquent une baisse de ressources financières (personnelles ou parentales) et des quotas de bourses; surtout que les étudiants étrangers, sans exception, n'ont pas le droit de travailler en dehors de l'Université et que leur accès à un emploi - même d'entretien ménager - sur les campus relève du privilège.
En définitive, l'AÉÉ rappelle aux organismes universitaires leur devoir de solidarité à l'égard les étudiants non québécois victimes de discrimination. Elle annonce que la réunion du Comité ad hoc de la Coalition des associations d'étudiant(e)s étrangers(ères) du Québec, tenue à Québec le 2 février a décidé à l'unanimité qu'en temps utile, par un acte commun, partout dans la "Belle province", les membres de la Coalition se réserveront le droit:
- de faire respecter en justice, selon les dispositions en vigueur, le droit des étudiants non québécois d'être défendus et représentés sans discrimination par les organismes qui vivent de leurs cotisation;
- de demander à leurs membres individuellement de retirer leurs cotisations de tout organisme étudiant qui lèsent leurs droits, leurs libertés et leurs intérêts;
- de promouvoir la représentation et la circulation d'informations sur les meilleures conditions d'étude offertes par des universités hors Québec.
L'appel la semaine dernière du conseil de sécurité des Nations Unies à un cessez-le-feu au Zaire et à l'organisation d'une conférence internationale sur la situation dans la région des Grands Lacs risque de rester lettre morte. L'argument derrière la décision onusienne se résume à considérer le conflit qui oppose les rebelles zairois de Laurent-Désiré Kabila et l'armée de Mobutu comme étant essentiellement un conflit nourri et soutenu de l'extérieur par l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Selon cette même logique, une conférence régionale chercherait à trouver une solution pacifique qui réaffirme l'intangibilité des frontières actuelles du Zaire tout en prônant le principe de bon voisinage. Des principes nobles qui n'ont jamais été remis en cause, ni par les Tutsis zairois ou Banyamulenges et leurs alliés tutsis en Ouganda, au Rwanda et au Burundi ni par les nationalistes rebelles de Kabila.
La crise zairoise a ses origines profondes dans les trente années d'une dictature ignare des plus immorales. Une conférence régionale qui ne tient pas compte de ce facteur risque d'être perçue comme une astuce politique visant à sauver la peau de Mobutu et tout ce qu'il représente aux yeux de ses alliés historiques: une machine à piller et symbole du dénigrement systématique du peuple zairois.
Pendant que les politiciens inefficaces rivalisent entre eux et font des discours ronflants à Kinshasa dans le cadre d'une transition qui dure depuis sept ans déjà à cause des manigances de Mobutu, le Zaire s'embrase, avec les rebelles occupant environ 20% du territoire national. La population longtemps souffrante se sent comme prise dans un étau entre une armée mobutiste en débandade, dépravée, pilleuse et indisciplinée, et une rébellion qui semble réussir là où une opposition politicienne mesquine et divisée a échoué, à savoir une résistance qui sonne le glas d'un règne de terreur. C'est avant tout à cette population qu'il faut penser dans tout règlement de l'interrègne zairois.
Une solution à la crise zairoise, si elle doit être régionale à l'instar du Libéria, posera comme conditions sine qua non le départ pur et simple de Mobutu de la scène politique zairoise suivi de l'exil, la récupération par l'État zairois des fonds publics pillés (comme dans le cas d'Haiti et des Philippines), le démantèlement de la garde présidentielle, principal outil de répression contre la population civile et une nouvelle définition de la citoyenneté zairoise qui soit juste et équitable.
La société zairoise de l'après-Mobutu sera une société à rebâtir sur tous les plans. Un Zaire prospère et politiquement stable saura prendre sa place comme l'un des grands pôles de l'intégration économique de l'Afrique sub-saharienne. Il jouera davantage un rôle stabilisateur dans la région des Grands Lacs en contribuant positivement au processus démocratique au Rwanda et au Burundi en particulier où une petite oligarchie tribale et atavique accapare le pouvoir et les privilèges.