20 février 1997 |
PAR SERGE GENEST
CANDIDAT AU POSTE DE RECTEUR
Utiliser les termes "maître" et "élève" pour désigner étudiantes et étudiants, professeures et professeurs peut sembler vieillot, voire passéiste. Pourtant, c'est d'autre chose que l'école des années cinquante ou l'université du Moyen Âge dont je veux traiter ici.
Ce sont plutôt la revalorisation du savoir et le contrat "moral" entre les personnes qui viennent à l'université et celles qui leur enseignent qui me viennent à l'esprit lorsque j'emploie l'expression "relation maître-élève."
Revaloriser le savoir, c'est en quelque sorte le remettre au centre du rapport qu'entretiennent professeures-eurs et étudiantes-ants. Cela se fait comment? Tout d'abord par la valorisation à leurs propres yeux par les maîtres du savoir transmis. En d'autres termes, que les maîtres voient le métier qu'elles et qu'ils pratiquent comme terriblement important et en manifestent de la fierté, tout en mesurant l'exigence de ce travail et l'humilité qu'il faut pour le bien faire. Et cette attitude ne saurait se construire autrement, pour les maîtres, qu'en étant très présentes-ents physiquement et moralement aux élèves.
Les élèves revaloriseront le savoir en s'inscrivant à l'université pour apprendre de leurs maîtres, c'est-à-dire en acceptant de fournir tous les efforts requis pour acquérir la connaissance, en reconnaissant également les compétences de leurs maîtres.
En posant l'implication des maîtres et des élèves au centre de la formation universitaire, je prends mes distances face à deux tendances qui sont mises de l'avant sans qu'on accepte d'en mesurer toutes les implications. Je veux parler de l'"approche-client" d'une part et de la création d'une équivalence entre formation et utilisation des nouvelles technologies de l'information, d'autre part.
Indiquer à une personne qui s'inscrit dans un des programmes de l'Université Laval que nous adoptons à son endroit une approche-client, c'est lui signifier que la formation qu'elle vient chercher est une marchandise et qu'elle peut se comporter selon la logique marchande en matière de consommation. Autrement dit, tenter d'obtenir le meilleur produit pour le minimum d'investissement en efforts et en argent.
Une telle dérive a des conséquences. La première, les élèves s'attendront à obtenir un diplôme obligatoirement et du meilleur niveau parce qu'elles et qu'ils payent! Deuxièmenent, les maîtres soumis à cette règle devront "livrer la marchandise" au goût des clientes-ents!
L'autre tendance qui a aussi cours de nos jours consiste à ramener la formation, i.e. la relation maître-élève, à un ensemble d'informations transmises au moyen des nouvelles technologies de l'information. Il ne s'agit pas ici de refuser l'utilisation des outils informatiques mis aujourd'hui à notre disposition comme moyens de faciliter l'apprentissage, de multiplier les possibilités de transmission des connaissances.
Mais laisser croire ou même être convaincu que la formation universitaire puisse s'acquérir en insérant un disque compact dans un ordinateur et en communiquant avec le maître sur internet pour ses examens ou encore pour obtenir un complément d'information confine à l'aberration. Imagine-t-on qu'un skieur de haut niveau limite son apprentissage et son expérience aux conseils et aux consignes qu'il trouverait sur un "site web"? Est-ce que les spécialistes des arts martiaux s'abstiennent de tout contact avec leur maître pour continuer de progresser dans leur formation? Pourquoi laisser penser que le savoir universitaire s'accommodera, lui, de telles solutions?
Les deux tendances que je viens d'évoquer ne sont pas des fictions. Elles font partie des discours qu'on entend fréquemment et que de plus en plus de gens acceptent sans se poser de questions. C'est en fait tout le problème des compressions budgétaires qui sous-tend ces "visions" et qui fait se confondre budgets et qualité de la formation.
Dans le contexte actuel, on met allègrement de côté les savoirs, l'expérience des maîtres, les efforts des élèves pour s'imprégner de ces savoirs et de cette expérience au moyen des programmes d'enseignement et de recherche. Le savoir est évacué de la relation maître-élève alors que c'est en fait le lieu de la création du savoir. Il ne reste alors qu'une marchandise de plus, accessible, comme toutes les autres, par une série d'opérations informatisées.
Est-ce avec de telles façons de faire et de penser que nous entendons planifier l'entrée des femmes et des hommes de la société québécoise dans le 21e siècle? Ne faut-il pas se demander si la duplication et l'éclatement des programmes n'ont aucun lien avec la qualité de la formation? Pourquoi ne pas profiter de la conjoncture qui nous y invite pour revoir l'étendue de nos programmes, pour mettre en commun, pour redynamiser la relation maîtres-élèves?