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13 février 1997 ![]() |
Titulaire du Prix Molson du Conseil des arts du Canada, Pierre Maranda continue de se battre pour la suite du monde.
Professeur retraité du Département d'anthropologie, Pierre Maranda a mérité récemment le Prix Molson 1996 en sciences humaines du Conseil des arts du Canada. Tous les deux ans, le Conseil des Arts du Canada décerne deux Prix Molson d'une valeur de 50 000$ à des personnalités canadiennes du monde des arts et des sciences humaines, pour leur l'exceptionnelle contribution à la vie culturelle et intellectuelle.
Dans sa citation, le jury a mis en évidence la carrière remarquable de Pierre Maranda, caractérisée par la grande diversité des champs d'intérêt et la nature extrêmement novatrice des approches conceptuelles. Le jury a notamment fait valoir les qualités de professeur et de communicateur hors pair de l'anthropologue, dont les conférences et les publications ont contribué à la diffusion et à l'application des résultats de ses recherches, et ce, à travers le monde entier.
La feuille de route de cet homme simple et érudit est des plus impressionnantes, tant par la qualité que par la quantité des actions entreprises. Après avoir effectué une maîtrise et un doctorat en anthropologie à l'Université Havard, dans les années 1960, Pierre Maranda devient directeur de recherches au Laboratory of Social Relations de cette prestigieuse institution américaine. Il sera en même temps directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études à Paris (1968-1969), et professeur d'anthropologie à l'University of British Columbia. En 1975, le chercheur transporte ses pénates à l'Université Laval, où l'attend un poste de professeur-chercheur au Département d'anthropologie.
La mémoire d'un monde
"J'ai choisi la voie de l'anthropologie parce que je voulais savoir
comment vivaient les êtres humains, explique Pierre Maranda. Cette
discipline permet de mettre en relation différentes façons
de vivre et, surtout, de montrer qu'il existe d'autres vérités."
En 1966, Pierre Maranda vivra une expérience fascinante qui lui fera
découvrir la "vérité" d'un petit peuple du
Pacifique sud, les Lau, une communauté de 6 000 personnes vivant
retranchée du reste du monde, en Océanie. Au fil des ans,
l'anthropologue deviendra d'ailleurs le principal dépositaire des
traditions et de la culture lau, grâce à une recherche subventionnée
par le National Institute of Mental Health des États-Unis et le Conseil
de recherches en sciences humaines du Canada.
"J'ai vécu un véritable choc culturel en arrivant chez ces gens, qui, de leur côté, n'avaient jamais vu d'homme blanc de leur vie, rapporte Pierre Maranda. Pour s'assurer que nous n'étions pas des esprits mais des hommes bien réels, ils nous pinçaient par derrière, guettant nos réactions. De même, ils nous touchaient la peau afin de voir si le blanc ne cachait pas du noir. Sans compter des codes sociaux différents: là-bas, le sourire est signe d'un embarras profond, pour ne citer que cet exemple. Tout cela m'a fait comprendre ce qu'être membre d'une culture étrangère signifiait."
Par ailleurs, l'anthropologue a été conquis par la douceur et l'aménité de ces gens qui vivent au présent sans se soucier du lendemain, dans une société fondée sur la tolérance et le respect des autres. Seule ombre au tableau: le tourisme envahissant et l'évangélisation sauvage risquent de noyer cette petite communauté "païenne" des Iles Salomon dans la mer de l'occidentalisation. Afin que la mémoire de ces insulaires d'un autre monde ne se perde à jamais, Pierre Maranda travaille actuellement à un ouvrage contenant la somme des savoirs qu'il a accumulés sur les Lau au cours des vingt dernières années. Avec plus de 600 pages rédigées, il considère n'en être encore qu'au début de sa tâche...
La soif de connaître
Parallèlement ce chantier, ce chercheur original et passionné
a exploré des champs aussi diversifiés que l'intelligence
artificielle, la cartographie sémantique, la sémiogénèse
de la représentation collective, l'imaginaire artificiel. Son intérêt
pour une intégration harmonieuse de l'analyse qualitative et et de
l'analyse quantitative l'a amené à utiliser les outils fournis
par l'informatique et par le structuralisme lévi-straussien pour
l'analyse et la compréhension des mythes. Avec Pierre Maranda, l'analyse
structurale n'est ainsi plus réservée aux mythes exotiques
de populations lointaines, mais s'applique aussi parfaitement aux contes
populaires et à l'imaginaire de n'importe quelle société.
Directeur du Département d'anthropologie de 1989 à 1992, Pierre Maranda a enseigné pendant plus de 20 ans. À ses étudiants, il a tenté d'inculquer ce qu'il appelle "la soif de connaître avec lucidité". "Il faut savoir prendre du recul par rapport à ce qu'on fait et au idées qu'on défend. C'est la seule façon d'acquérir une certaine sagesse." Lui-même n'a pas hésité à renouveller constamment le contenu de ses cours, essayant de présenter les problèmes de manière toujours plus efficace et adaptant continuellement son enseignement aux groupes. Bien qu'ayant pris sa retraite au printemps dernier, Pierre Maranda demeure associé au Département d'anthropologie où, parallèlement à son travail sur les Lau, il travaille à une "Encyclopédie culturelle hypermédia de l'Océanie", conjointement avec des chercheurs du monde entier.