13 février 1997 |
La nouvelle politique familiale annoncée récemment par Madame Pauline Marois se distingue à plusieurs égards. D'abord, il y a longtemps que l'on n'avait pas vu une réforme gouvernementale aussi profonde être accueillie de façon aussi peu négative, sinon franchement positive. Pourquoi en est-il ainsi? Probablement parce que cette réforme réussit à maximiser la portée des ressources disponibles sur des cibles mieux définies et reconnues comme prioritaires depuis longtemps.
La notion de famille repose essentiellement sur la relation parent-enfant: la famille est une cellule sociale qui comprend au moins une relation à l'enfant. Ainsi, une mère adolescente de 17 ans vivant seule avec son bébé constitue une famille, tandis qu'un homme et une femme vivant maritalement depuis dix ans constituent un couple, non pas une famille. Donc, pas d'enfant pas de famille. Or justement, la politique familiale place manifestement l'enfant au centre de la série de mesures de soutien à la famille qu'elle met de l'avant: allocation unifiée pour enfant, maternelle 5 ans à temps plein pour tous, maternelle 4 ans à mi-temps en milieu défavorisé, implantation progressive de services de garde à tarif unique de 5 $ par jour, congé de maternité et de paternité sérieux via une caisse d'assurance parentale.
Malgré son ampleur, cette réforme est réaliste, même dans le contexte économique actuel, parce que c'est en faisant le ménage des différents programmes existants et en réorientant les fonds fédéraux destinés au Québec qu'elle sera financée et non pas à partir d'argent neuf. Ainsi, l'"allocation unifiée pour l'enfant" créée par le premier volet de la nouvelle politique rassemble les ressources actuellement dispersées dans les trop nombreux programmes mitigés de soutien à la famille.
Ce faisant, elle envoie clairement le message à l'effet que cette politique est pour l'enfant, que sa mère soit sur l'aide sociale, en recherche d'emploi ou travailleuse à faible revenu. Le but est d'aider le parent démuni à mieux satisfaire les besoins de son enfant en évitant de punir ses efforts pour se sortir de la pauvreté. Quant on diminue l'aide aux parents pauvres lorsqu'ils tentent d'augmenter leur revenu, on contribue à enfermer l'enfant dans une famille pauvre; l'allocation unifiée pour l'enfant reconnaît cela.
Le deuxième volet de la politique concerne les mesures éducatives. Il touchera éventuellement presque tous les enfants du Québec puisqu'il offrira gratuitement la maternelle à temps plein à l'ensemble des cinq ans. En outre, ce deuxième volet de la politique offrira progressivement des services de garde accrédités à tarif unique de 5 $ par jour/enfant. Sachant que le tarif moyen oscille actuellement autour de 23 $ en garderie, il s'agit d'un sérieux coup de pouce aux familles avec enfants en bas âge.
Le troisième volet de la politique vise la mise sur pied d'une assurance parentale ayant pour effet la création de véritables congés de maternité (jusqu'à 18 semaines) et de paternité (jusqu'à 5 semaines). Par rapport à l'allocation de naissance actuelle qui donne une prime globale, un "bébé-bonus", cette mesure vise directement la présence parentale auprès de l'enfant. Les rôles de mère et de père s'en trouvent tous deux légitimés et valorisés socialement avec ce que cela peut avoir de positif pour l'attachement parent-enfant et les habitudes de partage des tâches dans la famille.
Parmi les nombreuses questions qui peuvent se poser concernant la nouvelle politique, notamment en regard de son financement conditionnel aux transferts demandés au gouvernement fédéral, nous abordons ici deux questions particulières: celle de l'exclusion des garderies à but lucratif des subventions pour le service de garde à tarif unique, et celle de la pertinence de la maternelle à temps complet pour l'enfant de 5 ans.
Pourquoi exclure les garderies à but lucratif?
On sait que la famille québécoise compte maintenant entre
2 et 3 enfants, en moyenne, et qu'elle n'offre plus à son jeune la
société d'enfants qu'elle offrait autrefois. L'enfant y vit
plus souvent avec des adultes et la socialisation par les pairs se réalise
surtout à l'extérieur de sa famille. L'enfant sort de sa famille
de plus en plus tôt pour se faire garder et ce, d'autant plus que
la majorité des femmes ayant des enfants vont sur le marché
du travail, au moins à temps partiel. Est-ce une bonne chose? Cela
dépend de la qualité du milieu de garde. Un milieu de garde
de qualité, c'est-à-dire des éducatrices qualifiées
en nombre suffisant qui offrent un environnement physiquement adapté
aux besoins des petits et stimulant sur le plan psychosocial, est positif
pour le développement personnel. Ce bénéfice potentiel
est encore plus grand chez les enfants issus de milieux défavorisés.
Au Québec, c'est l'Office des services de garde à l'enfance qui a pour rôle de contrôler et de promouvoir la qualité dans les services de garde, que ce soit en milieu familial ou en garderie. Mais la garde au noir continue d'être la plus utilisée et le prix élevé des services accrédités en est une cause importante. Dans la nouvelle politique, le projet de tarification unique à 5 $ par jour/enfant va donner une sérieuse bouffée d'oxygène aux services accrédités et faire en sorte que les conditions de garde des jeunes enfants s'améliorent significativement parce que la garde au noir ne sera plus la moins chère. Ceci sera d'autant plus important pour les enfants de familles moins favorisées pour qui le service de garde de qualité représente un lieu de stimulation précoce susceptible de contribuer à améliorer les opportunités développementales.
Mais pourquoi exclure les garderies à but lucratif de cet important programme? Les garderies à but lucratif sont des entreprises contrôlées par des propriétaires qui peuvent faire des profits avec la garderie. Même s'il existe plusieurs garderies à but lucratif de qualité au Québec, la tentation de couper dans la qualité des services aux enfants et dans les salaires des éducatrices pour garder une marge de profits reste très grande pour les propriétaires. Au cours des vingt dernières années, proportionnellement à leur nombre, les garderies à but lucratif ont été beaucoup plus souvent concernées par les plaintes à l'Office des services de garde et les contraventions aux normes de qualité des services comparativement aux garderies sans but lucratif.
S'il faut absolument éviter de généraliser cette image puisque certaines garderies à but lucratif offrent de très bons services, il reste que la possibilité de faire des profits avec la garde d'enfants comporte plus de désavantages que d'avantages; il semble juste de ne pas utiliser les maigres ressources publiques pour subventionner le profit de telles entreprises. À ceux qui diront, souvent à raison, que les profits sont biens maigres en garderie à but lucratif, nous pouvons répondre que la porte est grande ouverte pour la conversion en garderie sans but lucratif. À ceux qui diront que certains parents préfèrent la garderie à but lucratif parce qu'elle ne leur demande pas de participer à la vie de garderie comme c'est le cas en garderie SBL, nous pouvons répondre que cette exigence de participation, tout en étant très souple et hautement tolérante, créé de très bonnes habitudes d'engagement parental dans le projet extrafamilial de leur enfant. Par ailleurs, en service de garde en milieu familial accrédité, la participation exigée n'est pas plus grande qu'en garderie à but lucratif. Les subventions de la politique familiale doivent viser, non pas les profits d'entreprises mais le soutien à l'enfant.
L'école à temps plein dès cinq ans?
En matière de prévention des problèmes développementaux
chez l'enfant, deux mots résument bien la direction à donner
aux efforts: précocité et intensité. Si la fréquentation
des services de garde représente un moyen intéressant de dépistage
précoce des difficultés qu'un petit peut avoir (langage, motricité,
comportement social, etc.), ce ne sont pas tous les enfants qui iront en
garderie, même avec la nouvelle politique. Or, le temps plein à
5 ans augmente sérieusement l'impact de la maternelle en tant que
lieu de préparation cognitive et sociale à la scolarisation.
La réussite éducative cela se prépare avant l'âge
scolaire et la maternelle peut donner le goût de l'apprentissage en
faisant réussir l'enfant de façon stratégique.
Dès 1960, le Rapport Parent recommandait l'ouverture à tous de la maternelle à 5 ans à titre de service public et non seulement aux enfants des familles capables de se payer la maternelle privée, la seule disponible à ce moment. Si cela ne s'est traduit par la suite que par du mi-temps c'est beaucoup plus pour des raisons économiques que psychologiques: l'enfant qui peut aller à la maternelle a des chances de prendre une avance sur celui qui n'y va pas et les enfants de familles défavorisées ont encore plus besoin de ce coup de pouce que les autres. C'est la justification de base à l'ouverture des "maternelles 4 ans" en milieu défavorisé.
À ceux qui affirment qu'à cinq ans on est trop jeune pour aller à l'école ("laissez donc les enfants vivre leur enfance...") on peut faire remarquer que la maternelle ce n'est pas encore vraiment l'école et que c'est bien une vie d'enfant qui s'y déroule. L'observation d'une seule journée dans ce milieu permet de constater que l'enfant y vit dans un cadre différent du groupe scolaire traditionnel. En maternelle, le décor et les activités offertes sont souvent bien différents de ceux de la première année et, dans le cadre des "centres intégrés de garde à l'enfance" prévus dans la nouvelle politique, il y aura vraisemblablement accroissement du nombre de maternelles situées dans le même environnement physique que la garderie, ce qui conviendra bien aux petits qui ont besoin de services de garde en dehors de leurs heures de maternelle. Cela contribuera aussi à offrir un choix plus large aux parents.
Il importe aussi de souligner que la maternelle n'est pas, et ne sera pas obligatoire. Les parents ont et auront le choix. Actuellement toutefois, la fréquentation volontaire de la maternelle dépasse les 95 % au Québec et on peut prédire avec assurance que c'est dans les mêmes proportions que les parents enverront leur enfant à la maternelle toute la journée, comme c'est le cas dans les pays qui offrent gratuitement ce service. Pour l'enfant, une journée complète de maternelle ce sera, au total, environ 5 heures en classe pour l'enfant. Actuellement, le mi-temps correspond à 2 heures et 18 minutes par jour, ce qui entraîne un manque d'intensité et provoque de la discontinuité dans l'horaire quotidien des petits.
La nouvelle politique familiale vise juste mais il faut souhaiter que le calibre de ses munitions s'améliore rapidement afin d'étendre la portée de ses retombées à un spectre plus large de familles à faible revenus. Dans le projet actuel, l'allocation unifiée pour enfant baisse dramatiquement dès que l'on passe le cap des 20 000 $ de revenu familial annuel et l'on sait bien qu'à ce niveau, l'enfant québécois vit encore dans une famille pauvre.