6 février 1997 |
Pour imiter le hasard, il faut porter attention à
ne pas porter attention.
Une tâche complexe pour l'esprit humain.
Complétez les séquences suivantes de "pile ou face": 1) "pile-pile-pile-pile-pile-?", 2) "pile-face-pile-face-pile- ?". Peu importe les réponses que vous avez données, si vous les justifiez en fonction du résultat des cinq premiers lancers, votre conception du hasard est fausse. Aussi fausse que celle d'étudiants universitaires auxquels les chercheurs Robert Ladouceur, Claude Paquet et Dominique Dubé, de l'École de psychologie, ont demandé d'écrire ce qu'ils croyaient être une séquence aléatoire de 100 lancers de pile ou face et d'expliquer leur choix.
"Pour différentes raisons, le concept de hasard semble difficile à cerner pour l'esprit humain de sorte que générer une séquence aléatoire est une opération complexe, explique le professeur Robert Ladouceur. Règle générale, nous prenons des décisions en nous référant continuellement à ce que nous avons déjà vécu alors que, par définition, le hasard est indépendant des événements passés. Pour reproduire ce que le hasard générerait comme résultat de 100 lancers de "pile ou face", il faut qu'à chaque lancer, nous puissions faire abstraction des résultats obtenus lors des lancers précédents. Un chercheur a déjà dit que pour y parvenir, il fallait porter attention à ne pas porter attention."
La vingtaine d'étudiants testés par les chercheurs du Laboratoire des jeux de hasard de l'École de psychologie devaient verbaliser leurs pensées au fur et à mesure qu'ils généraient la séquence de pile ou face. "On leur a demandé de dire ce qui leur passait par la tête, sans censure, sans se demander si c'était intelligent ou non, explique Robert Ladouceur. Ils devaient ensuite évaluer la certitude qu'ils avaient d'avoir réussi à générer une séquence aléatoire." Les résultats, publiés dans le dernier numéro du Journal of Applied and Social Psychology, révèlent que 61 % des perceptions verbalisées par les sujets étaient fausses. "L'erreur la plus fréquente consiste à croire que les événements passés influencent les événements futurs, relatent les chercheurs. Le principe de l'indépendance de chaque tirage semble échapper à plusieurs." Conséquences: les sujets ont tendance à vouloir continuellement équilibrer le nombre de piles et de faces, à éviter les séquences répétitives et à briser les patrons qui suggèrent une régularité ou un ordre logique. Plus de 75 % des sujets croyaient tout de même être parvenus à générer une séquence aléatoire.
"Les étudiants savent que la probabilité d'obtenir un pile ou un face est la même mais ils ne parviennent pas à transposer ce concept lorsqu'ils génèrent une séquence aléatoire, poursuit Robert Ladouceur. Nous confondons souvent hasard avec équilibre des événements de sorte qu'après quelques essais seulement, nous essayons d'équilibrer les différents résultats possibles. Personne n'a à rougir de cette difficulté à conceptualiser le hasard puisque, en dépit de dizaines d'années de recherche, les mathématiciens ne sont pas encore parvenus à identifier les caractéristiques qui définissent une séquence aléatoire."