30 janvier 1997 |
Profil
Une autre distinction pour Yves Roby: la médaille J.B. Tyrrell de la Société Royale du Canada. "Je ne fais que redonner au public une histoire qui lui appartient", explique ce défricheur du passé des Franco-Américains.
Enfoui dans un bureau où les livres tapissent les murs et tout espace disponible, Yves Roby, éclairé par le hâlo d'une lampe intimiste, évoque sans nostalgie ses maîtres d'autrefois, Félix-Antoine Savard ou Marcel Trudel, et sa fréquentation incessante des bibliothèques. Héritier d'une tradition de savants explorant seuls un domaine, il a bâti sa carrière autour du thème de l'exil des Québécois aux États-Unis. Son expérience, sa chaleur naturelle incitent les jeunes professeurs à se réfugier un instant dans ce hâvre pour écouter ses conseils, avant de repartir à l'assaut d'une carrière académique toujours plus trépidante. Ce professeur au Département d'histoire, récemment médaillé de la Société Royale du Canada, devient ainsi un passeur entre deux mondes, celui de l'historien "artisan" et celui des chercheurs "entrepreneurs".
Yves Roby a publié une magistrale synthèse de l'histoire démographique, économique et sociale de l'émigration des Canadiens français vers les États-Unis, Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre, 1776-1930 (Septentrion), qui a reçu un accueil extrêmement louangeur des milieux scientifiques, et a été jugé "the most thorough and conceptually-sound -synthesis" sur ce sujet majeur de notre histoire. Cette synthèese complète le bilan de travaux antérieurs approfondis et reconnus, comme Les Québécois et les investissements américains et L'histoire économique du Québec . Ce dernier ouvrage a reçu le prix du Gouverneur général en 1972 et, en 1990, il figurait au palmarès des dix meilleurs ouvrages parus au cours du dernier demi-siècle.
Yves Roby l'avoue lui-même, la recherche pointue sur des aspects fragmentaires l'intéresse peu. Par contre, fournissez-lui un vaste thème d'étude, comportant des milliers de questions et de sous-questions, et il vous produira - en quelques dizaines d'années - sept livres, de nombreux articles dans des publications, et un nombre incalculable de sujets pour les mémoires de maîtrise et de doctorat de ses étudiants. En choisissant de se pencher sur les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre, l'historien faisait également oeuvre de pionnier, puisque jusqu'à tout récemment le sort de ces quelque 900 000 Québécois disparus des registres de la province entre 1840 et 1930, pour cause d'émigration vers les États-Unis, était occulté des manuels officiels.
American dream
"La presque totalité des gens qui quittaient leur village partaient
en Nouvelle-Angleterre ou au Midwest pour des raisons économiques,
explique Yves Roby. Au 19e siècle, la population augmente plus vite
que les terres disponibles à des prix intéressants. D'autre
part, les agriculteurs, concurrencés par ceux de l'Ouest, empruntent
pour moderniser leur exploitation. Ils éprouvent parfois des difficultés
à rembourser leurs dettes et partent quelque temps aux USA pour accumuler
de l'épargne." Il arrive alors fréquemment que les enfants
de ces familles parties s'installer temporairement dans des villes comme
Manchester refusent de revenir dans leur petit village dépourvu de
toute animation, et deviennent américains à part entière.
Selon Yves Roby, les hommes d'affaires américains appréciaient beaucoup les Canadiens français, qui constituaient une main-d'oeuvre docile et habile, bien encadrée par un clergé conservateur qui s'efforçait de rebâtir les paroisses catholiques en terre étrangère. "Contrairement aux Irlandais et aux Anglais, les Francos n'avaient pas de tradition syndicale, explique Yves Roby. Ils acceptaient parfois de travailler à moindre prix." Souvent, les femmes et les enfants - à partir de douze ans - se retrouvaient en usine dans les manufactures de textile ou de chaussures, tandis que les hommes s'embauchaient comme journalier, charpentier, menuisier.
Écrire pour être lu
Même s'il dépoussière une période peu connue
de l'histoire québécoise, Yves Roby se refuse à adopter
une position idéologique quelconque, ou à envisager les événements
passés à travers le prisme d'une mode passagère. Patiemment,
il fouille dans les entrailles des fonds d'archives pour reconstituer les
événements aussi fidèlement que possible dans une langue
claire, dépourvue de jargon savant. "Je redonne au public une
histoire qui lui appartient, il est donc hors de question de lui fournir
une carricature de la réalité, précise Yves Roby. Dans
mes livres, je m'adresse aussi bien aux étudiants, qu'à mes
pairs ou à l'ensemble des Québécois."
Vice-doyen aux études avancées et à la recherche à la Faculté des lettres de 1975 à 1981, Yves Roby participe encore régulièrement à l'élaboration des programmes. Conscient de l'héritage légué par ses formateurs qui l'ont intégré progressivement à la vie universitaire il y a 32 ans, il s'inquiète beaucoup de la tâche écrasante des nouveaux arrivants dans l'équipe. "Je m'efforce de leur transmettre mon expérience en leur expliquant la manière dont j'enseigne. D'autre part, je crois qu'en période de coupures budgetaires, il est indispensable de réfléchir pour savoir où consacrer moins d'efforts."