30 janvier 1997 |
Les prochaines années à l'Université Laval:
PAR SERGE GENEST
CANDIDAT AU POSTE DE RECTEUR
Au début de 1995, au moment de la parution du rapport du comité chargé d'examiner les structures et le fonctionnement de l'Université Laval (le comité Bélanger), des voix se sont élevées contre les constats qu'il faisait et ont préféré le statu quo aux changements proposés. Aujourd'hui, deux ans plus tard, plusieurs millions en moins et à la suite de décisions administratives qui interrogent, il faut nous demander si le retrait que nous avons adopté face à ces propositions de changement ne nous a pas nui.
Les compressions budgétaires, les difficultés financières que connaissent les universités ont envahi la pensée et le discours des administrateurs universitaires jusqu'à plus soif. Pour affronter cet environnement hostile, la direction de l'Université Laval s'est engagée dans une série d'actions visant d'une part à alléger son fardeau financier (programmes d'incitation à la retraite, réduction des budgets de fonctionnement) et, d'autre part, à chercher désespérément des sources de revenus (multiplication de cours sur mesure et volonté d'investissement dans le capital-actions d'entreprises). Cette recherche d'argent est telle que, bien qu'on répète régulièrement le contraire, le discours sur la formation et la recherche de qualité en vient à passer au second plan.
À l'Université Laval comme ailleurs, on jongle avec les millions. De 5 ou 6 millions, le déficit anticipé en 1996-1997 est passé à plus de 9 millions de dollars, avant de se chiffrer maintenant à 16 millions, auxquels s'ajouterait au moins un autre 28 millions l'année prochaine.Tout en reconnaissant qu'il y a urgence en la demeure, nous serions mal venus de laisser place à la panique, et de prendre des décisions à la hâte pour tenter de faire face à cette situation. Mais que faire?
Il est possible que certaines personnes envisagent une mesure comme les compressions d'emploi pour affronter les coupures budgétaires. A condition, bien évidemment, qu'il ne s'agisse pas du leur! La direction de l'Université a apparemment préféré ne pas s'engager dans cette voie. Reste alors l'accroissement des revenus.
Les sirènes du secteur privé se font de plus en plus attirantes, voire insistantes, et la conjoncture semble faciliter ce travail. En fait, la présente crise financière tend à faire perdre de vue les finalités propres de l'Université, si elle ne sert tout simplement pas à en forcer une redéfinition très fortement orientée vers les besoins des corporations ou des entreprises, qui fera déboucher, on le sent déjà, sur un individualisme entreprenarial forcené chez les personnes qui travaillent à l'Université.
Je suis persuadé qu'il faut changer ces attitudes, revenir aux objectifs premiers de l'Université, non seulement en paroles, mais aussi dans des gestes concrets. Or, la condition initiale, déterminante de ce changement de cap passe par la revitalisation du climat de travail, par la reconstitution des solidarités nécessaires à toute action efficace de notre part.
Quand je parle du climat de travail, j'ai à l'esprit bien davantage que les seules relations de travail. Bien sûr, les protections qu'accordent les conventions collectives sont des contributions essentielles à la construction d'un climat de travail. Mais elles ne traitent pas du respect entre les personnes, de la confiance mutuelle, de la reconnaissance de l'apport quotidien du travail de chacune et chacun à la transmission et à la production des connaissances, mais aussi à tous les services liés au bon fonctionnement de la communauté universitaire. Sans respect, sans confiance, sans valorisation du travail, pas de solidarités, pas de sentiment d'appartenance.
De la même façon qu'on insiste sur la formation et la recherche, alors que toute la pensée est en fait prisonnière des questions financières, de même on redit l'importance du sentiment d'appartenance, alors que la morosité, voire le cynisme ou l'aggressivité s'installent dans l'esprit d'un nombre croissant des gens qui travaillent à l'Université.
J'entends fréquemment dire que le prochain recteur devra montrer du leadership pour favoriser les changements institutionnels souhaités. Mais qu'est-ce à dire? Faire des représentations dans les cercles privés? Favoriser l'entreprenariat à l'intérieur même de l'Université? Protéger l'indifférence et le confort de toutes les personnes qui étudient et travaillent à l'Université?
Pour moi, une université, ce n'est pas une PME; sa vocation n'est pas le développement économique régional ou le profit. Et il serait inacceptable que les personnes qui y travaillent et utilisent les fonds publics puissent s'y comporter comme des entrepreneurs du secteur privé. Tout comportement visant à ériger et protéger des chasses gardées ou des "pouvoirs locaux" à l'intérieur de l'Université nous affaiblit collectivement, maintenant encore davantage qu'hier.
Bien sûr, il faut équilibrer nos budgets et nous avons l'obligation de résultats, en l'occurrence assurer la plus haute compétence des femmes et des hommes sur qui repose et reposera la société québécoise. Toutes les personnes qui étudient et travaillent à l'Université Laval devraient s'impliquer pour atteindre ce but.
Dans mon esprit, avoir du leadership comme recteur de l'Université, c'est avant tout avoir des convictions par rapport à la mission fondamentale de cette institution: la transmission et la production du savoir dans les arts, les lettres et les sciences. Sans convictions, pas de leadership.
Le recteur doit aussi faire partager ses convictions, créer le climat de travail favorable à notre responsabilisation individuelle et collective dans la transmission, tout comme dans la production des connaissances. En tant que recteur, j'entends mettre sur pied des mécanismes pour être en contact direct et public avec tous les membres de la communauté universitaire afin d'entendre parler des problèmes, mais aussi pour traiter des solutions aux problèmes.
Il faut donc travailler à reconstruire le climat de travail, à bâtir les solidarités à l'intérieur de l'Université. Seule une volonté renouvellée de relever les manches ensemble et de miser sur notre créativité nous aidera à affronter les mois difficiles que nous aurons à traverser pour négocier avec l'État sur de nouvelles bases.
Au nombre des défis qui nous attendent, il faut compter l'allègement de nos structures et de nos processus administratifs, la vigilance constante dans nos rapports avec le secteur privé, l'élagage de nos programmes, le renforcement des liens entre nos programmes de recherche et de formation. Et je suis persuadé que nous avons le courage, le dynamisme, les compétences et l'énergie nécessaires pour effectuer ces changements.