23 janvier 1997 |
Jusqu'au 2 février, dans le Vieux-Québec, David Naylor expose vingt sculptures qui sont comme autant d'idées "qui habitent mal leur corps".
D'entrée de jeu, le titre de l'exposition �Deux bateaux dans la nuit� résonne comme un mystère, faisant miroiter mers et mondes au visiteur qui pousse la porte du 36 de la rue Couillard. Pourtant, celui qui s'aventure dans cette galère doit s'attendre à tout, sauf à un raz-de-marée. Le moins qu'on puisse dire est que l'exposition de David Naylor, professeur à l'École des arts visuels, ne donne pas dans le spectaculaire, faisant plutôt dans l'ascétisme et dans l'épuration jusqu'à plus soif. Ainsi, le commun des mortels a l'impression de pénétrer dans un lieu monacal peuplé de gargouilles sans visages. Au mur, vingt sculptures de bois presque identiques sont accrochées à la hauteur du regard, silencieuses mais parlantes, austères mais vibrantes.
Capitaine de ce bateau-ivre, David Naylor avoue avoir coiffé son exposition d'un titre intriguant à dessein, et ce, "dans une volonté de troubler la perception première" et de désarçonner un tant soit peu les personnes qui seraient tenter de s'accrocher à la poutre sécuritaire du sens à tout prix. "Une fois l'oeuvre sortie, l'artiste a tout intérêt à laisser l'oeuvre parler par elle-même, explique David Naylor. Sinon, on enlève tout sens à l'aventure plastique." Dans cette optique, l'exposition ne comporte aucun texte explicatif et les oeuvres sont orphelines de titre, l'artiste estimant qu'une sculpture ne se dit pas mais se vit: "Un titre risquerait d'autoriser à chercher un sens littéraire à un art qui n'est pas litttéraire."
Le jeu des différences
Pourtant, ce sculpteur dans l'âme accepte volontiers d'éclaircir
les eaux troubles dans lesquelles pourrait s'embourber le visiteur qui ne
se laisserait pas aussi facilement porter par cette vague de non-sens. Au
départ, il y a eu ainsi cette idée d'une petite scuplture
en bois taillée à l'égouine, où apparaissent
deux cylindres. Puis a surgi l'idée de faire des variantes, au nombre
de vingt, "en laissant jouer les différences concrètes".
Fasciné par cette tension existant entre l'idée de la chose
et la chose elle-même, entre le concept et la réalité
présente, David Naylor aime les "imperfections" que laissent
apparaître ses sculptures, à l'instar de l'écrivain qui
laisse voir les ratures de son texte. Un brin provocateur, l'artiste affirme
ne pas avoir fait de choix esthétiques, acceptant les bons coups
et les "ratés", l'un et l'autre ayant égale valeur
à ses yeux.
Pour lui une sculpture "réussie" tient d'abord et avant tout à une certaine unité, unité qui peut se manifester dans une certaine discontinuité. Quand on lui demande pourquoi il choisit d'exposer au grand jour, David Naylor parle d'une certaine urgence à créer, à montrer le fruit de sa recherche. "Il faut que cela sorte quand c'est ressenti." Puis, avec une clarté désarmante tranchant avec l'océan obscur des propos, il rappelle le mot du critique et sémiologue français Roland Barthes qui répondait, quand on lui demandait pourquoi il écrivait: "Je veux que les gens m'aiment."
L'exposition se déroule jusqu'au 2 février, les vendredi, samedi et dimanche, de 14h à 17h.