16 janvier 1997 |
L'industrie des croisières aux baleines risque-t-elle de dévorer sa propre queue?
Une étude menée par des chercheurs du Département de biologie et du Groupe de recherche et d'éducation sur le milieu marin (GREMM) suggère que les safaris aux baleines affectent le comportement de plongée des rorquals communs. "Il s'agit de données préliminaires, récoltées en 1994 sur un petit nombre de baleines, de sorte qu'il est encore trop tôt pour proposer quoi que ce soit aux bateliers", prévient Janie Giard, qui a réalisé cette étude dans le cadre d'une maîtrise supervisée par Cyrille Barrette. "Nous avons cependant poursuivi le projet au cours des deux dernières années et nous avons maintenant un suivi sur 25 baleines. L'analyse de ces données, qui sera bientôt complétée, devrait permettre de déterminer si les tendances observées en 1994 sont bien réelles."
Janie Giard travaille depuis quelques années au sein du GREMM où elle agit comme responsable du programme des grands rorquals. C'est d'abord à ce titre qu'elle a voulu déterminer l'impact des activités d'observation sur les rorquals communs. "Dans la région de Tadoussac, il y a maintenant plus de 40 bateaux qui offrent entre trois et cinq croisières aux baleines chaque jour entre juin et la mi-octobre. Je crois qu'il est sage de se demander si toutes ces activités dérangent les baleines et, si c'est le cas, quelles sont les meilleures mesures de protection à adopter."
Une puce sur le dos
Pour les besoins de cette étude, la chercheure, assistée de
membres du GREMM, a installé sur le dos de rorquals un émetteur
à haute fréquence grâce auquel elle peut repérer
et suivre ces lévriers des mers. Chaque fois que les baleines font
surface, cet émetteur transmet des données, enregistrées
en mémoire à toutes les cinq secondes, sur la localisation
et la profondeur de plongée. En 1994, les quatre baleines ainsi marquées
pendant la haute saison touristique ont permis des suivis continus de 6,
7, 20 et 28 heures. "L'émetteur est fixé sur le dos du
rorqual à l'aide d'une ventouse munie d'un mécanisme d'auto-libération,
explique Janie Giard. Ceci nous permet de récupérer l'émetteur
(muni d'un système de flottaison) qui contient en mémoire
les données qui n'ont pas été transmises."
Les résultats montrent que pendant une bonne partie du temps de suivi (nuit exclue), un ou plusieurs bateaux se trouvent à proximité des baleines 75 % du temps dans un rayon de 2 000 mètres, 50 % du temps dans un rayon de 400 mètres et 12 % du temps dans un rayon de 200 mètres. Lorsqu'il y a plus de cinq bateaux dans un rayon de 2 000 mètres, les rorquals semblent prolonger la durée de leurs plongées de même que la période passée en surface. "Ce n'est qu'une hypothèse, avance Janie Giard, mais on dirait que les baleines s'éloignent des bateaux en demeurant plus longtemps qu'à l'habitude sous l'eau et que, par la suite, elles doivent refaire leurs réserves d'oxygène en restant plus longtemps à la surface." Les 300 heures de suivi des 25 baleines devraient faire plus de lumière sur la question.
Le nombre de rorquals qui fréquentent le secteur de Tadoussac varie entre 50 et 150, croit-on. On estime que 200 000 personnes participent chaque année aux croisières aux baleines, une activité qui crée des retombées économiques considérables et génèrent de l'emploi pour quelques centaines de personnes. "Au cours des deux dernières années, nous avons obtenu une bonne collaboration des bateliers pour la réalisation du projet, dit Janie Giard. Les gens comprennent que c'est une industrie précieuse et ils ne sont pas insensibles aux impacts que leurs activités pourraient avoir sur les baleines."