16 janvier 1997 |
PAR GABRIELLE GOURDEAU
CHARGÉE DE COURS À LA FACULTÉ DES LETTRES
Les bails à long terme n'existent pasau Panthéon
des héros québécois.
Ou l'art de ne pas faire la part des choses.
Le "libérateur de peuple" que les Québécois s'attendaient voir arriver à Québec après l'avoir arraché à son banc du Bloc québécois est vite devenu un gros méchant "bien décevant" quand il demanda à tout le monde de se serrer la ceinture. Car c'est à Lucien Bouchard qu'incombe la tâche ingrate d'éponger le déficit résultant de vingt-cinq ans de laxisme économique, de gaspillage et de mégalomanie montréalaise et baie-jamesienne. C'est aussi à Bouchard, coincé entre un peuple mou qui a dit NON par deux fois à la souveraineté offerte sur un plat d'argent (pas une goutte de sang versé, my God c'est donné) et les fanatiques anglo-montréalais que revient le sale boulot de calmer les esprits engagés dans un débat linguistique qui n'aurait pas eu lieu si les Québécois avaient dit OUI le 20 mai 1980 ou le 30 octobre 1995.
Pauvre Lucien Bouchard, du jour au lendemain, de héros unijambiste "ayant vaincu la maladie par la seule force de son courage et de son indestructible détermination", tu passes à antihéros amputé qui ne sait plus se tenir debout devant le lobby anglophone montréalais. Ça me rappelle René Lévesque qui, entre 1976 et 1982, passa lui aussi de "libérateur de peuple" à "boucher de New-Carlisle" pour avoir OSÉ demander à ses fonctionnaires d'accepter une petite diminution de salaire en attendant que la crise économique se tasse. Combien de passionnés péquistes n'ai-je pas alors vus déchirer leur carte de membre avec rage... Allô la conviction souverainiste.
Ça me rappelle aussi Parizeau qui, pour six misérables mots, fut jeté au trou des oubliés, dut troquer son titre de "Monsieur" contre celui de xénophobe-raciste-intolérant-gros caca-va-t'en-tu-nous-fais-honte. (Et surtout ne reviens pas car on va t'appeler la Dominique Michel de la scène politique). Ça me rappelle également Jean-Louis Roux, ce grand aristocrate de la Comédie frônçaise qu'on a hué, débarqué de son trône de Lieutenant gouverneur puis acculé à l'humiliation des aveux publics, non pas parce qu'il avait déblatéré contre un Québec souverain (c'eût été là une excellente raison), mais parce qu'il avait commis quelque galipette de goût douteux et antisémitisant dans la folle vingtaine. Comme quoi certaines communautés ethniques minoritaires se tiennent beaucoup plus que la nôtre, numériquement majoritaire.
Au pays de Québec, on renie bien vite les héros qui dérangent nos petites habitudes de vie (René Lévesque, Lucien Bouchard) ou qui nous font honte devant la communauté internationale (Parizeau, Roux). Inversement, quand on décrète un individu vrai héros (lire "non dérangeant"), ma foi on n'y va pas avec le dos de la cuiller et c'est pour l'éternité. En effet, si l'année 1995 en fut une de Parizeauphobie, celle de 1996, plutôt antibouchardiste, se termina en beauté, sur le mode de la Mironlâtrie (après avoir donné un bref p'tit moment dans la Bourrassalâtrie, mais cela est sans importance ici, car Bourrassa ne "dérangea" pas plus vivant que mort), une Mironlâtrie qui durait néanmoins depuis un bon quart de siècle. Car autant nous avons le sens du héros vite défait, nous avons cette manie de consacrer héros pour l'éternité des individus qui, somme toute, ont accompli ce que plusieurs autres ont réalisé en mieux... et en plus volumineux. Manquons-nous de héros et d'antihéros à ce point au Québec?
Gaston Miron est décédé et la mort d'un homme, poète ou non, c'est toujours triste. Nous sympatisons. Gaston Miron, jadis, commit un magnifique recueil de poèmes chantant le Québec, et cela mérite respect. Gaston Miron s'est fait le porte- parole du Québec français pendant vingt-cinq ans, c'était un passionné, aucun doute là-dessus. Gaston Miron a siégé à moult académies, participait à toutes les activités littéraires possibles, a "fait" l'Hexagone et y a consacré beaucoup de son temps: bravo. Gaston Miron était sympa, humain, et tout ce que vous pourrez y ajouter de positif, avec un rire tonitruant en bonus. Soit. Mais combien d'autres poètes et artistes québécois ont écrit, chanté et défendu le Québec, ses beautés et sa langue avec fougue? Combien de Québécois ont milité (et militent encore) pour la cause du Québec français? Combien de Québécois se sont dévoués pour la vie et la survie de l'Hexagone? Combien d'hommes sont sympas, amiables, poussent des rires tonitruants à tout moment? Les déclare-t-on pour autant héros (inter)nationaux?
Avec tout le respect qu'on lui doit, Miron méritait-il ces funérailles nationales, ces comparaisons avec Pablo Néruda, ces "on aurait dû lui donner un Nobel"? (cf. éloges post-mortem dans Le Devoir, décembre 1996). Sans nier la valeur intrinsèque ni l'impact de son unique et éternellement cité recueil de poésie L'Homme rapaillé, Miron mérite-t-il le titre de "plus grand poète au Québec" et de "Libérateur de peuple"? (cf. film Les outils du poète. Certes, peut-être, Miron "n'en demandait pas tant" comme l'écrivait récemment un lecteur du Devoir, mais, pour peu que j'aie écouté le film précité, Miron n'a pas eu recours à sa voix de stentor pour lancer un "Wow les moteurs!" au petit mon'oncle qui l'annonçait comme libérateur de peuple... Euh, en passant, nous ne sommes pas libérés du tout.)
"Plus grand poète québécois"? Et les autres? Que fait-on de tous les autres poètes québécois, qui ont à leur actif une somme de poésie aussi considérable que valable? De leur lancer à la figure, depuis vingt-cinq ans, que Gaston Miron, l'homme d'un seul recueil, est "le plus grand poète québécois" ne devient-il pas une sorte d'insulte déguisée pour eux? Je songe ici à tous ceux dont le cheminement poétique continue dans l'ombre, depuis (au moins) vingt-cinq ans, loin des cocktails et des lancements de livres, hors des académies et des colloques, dans un silence discret qui vaut bien des rires tonitruants... Et qui mourront seuls... Et à qui on daignera peut-être consacrer un entrefilet dans quelque journal obscur... Ceux-là, on ne les lira même pas, car ils n'auront pas disposé de l'attirail publicitaire dont a joui Miron tout au long de sa vie; ceux-là peuvent avoir peur d'être oubliés après leur mort et le seul drapeau en berne qu'ils connaîtront sera celui de Baudelaire, noir, planté sur leur crâne incliné de moribond angoissé.
Vraiment, Gilles Vigneault avait bien raison de spécifier qu'il était un "monument" qui "grouille encore". Ne vous dépêchez pas de mourir, monsieur Vigneault, cela donnerait l'occasion au maire de Montréal (qui qu'il soit à l'heure de votre trépas, il sera mégalo comme les autres, aucun doute là-dessus) de faire construire un Panthéon québécois -qui nous coûtera encore la peau des fesses- pour vous y installer, vous et tous nos héros et nos antihéros instantanés, nos faux-héros et nos antihéros redevenus héros parce que trépassés. Un Panthéon québécois? J'ai bien peur que vous vous y retrouviez, monsieur Vigneault, engagé dans une grande danse carrée diabolique, avec nos libérateurs de peuple non libéré, aux côtés des Jean Chrétien, Brian Mulroney, P.E. Trudeau et Robert Bourrassa, des bon p'tits gars de chez nous qui, eux aussi, tous héroïsmes confondus, auront cru militer passionnément leur vie durant pour le plus grand bien du Québec. Ne souffrez guère de cette promiscuité quand vous serez là, monsieur Vigneault. Nous avons peine à faire la part des choses chez les vivants. Beau dommage qu'au royaume des morts, nul ne se souviendra des distinctions.
P.S. Ceci n'est pas un texte de salissage à l'endroit de Gaston Miron, mais bien un questionnement de fond sur notre aptitude collective à faire la part des choses. À bon entendeur, salut. À mauvais entendeur, tant pis et bonne année quand même.