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12 décembre 1996 ![]() |
L'insomnie et les problèmes de santé mentale font leur couche dans le même lit. L'approche psychologique des troubles du sommeil ouvre des voies vers les matins qui chantent.
Les traitements psychologiques contre l'insomnie procurent une amélioration significative et durable des habitudes de sommeil chez 60 % et 80 % des personnes traitées. Cette approche des problèmes du sommeil exige de plus grands investissements initiaux en temps et en argent que les traitements pharmacologiques, mais, parce que ses effets bénéfiques sont persistants, elle pourrait bien se révéler la plus rentable à long terme, concluent Charles Morin, de l'École de psychologie, et son collègue américain Virgil Wooten, dans le dernier numéro de la revue scientifique Clinical Psychology Review. Les deux chercheurs arrivent à cette conclusion après avoir passé en revue l'ensemble des études traitant de l'efficacité des approches pharmaceutiques et psychologiques dans le traitement de l'insomnie.
L'insomnie est un problème de santé sous-traité, signale Charles Morin, même si elle a des répercussions importantes sur la santé physique et mentale ainsi que sur les rapports sociaux des individus qui en souffrent. Les problèmes d'insomnie chronique touchent entre 9 % et 15 % de la population alors que les problèmes occasionnels d'insomnie frappent entre 15 % et 20 % de la population. Pourtant, moins de 15 % des insomniaques chroniques ont déjà été traités et à peine 5 % des personnes souffrant de problèmes de sommeil ont déjà consulté un médecin spécifiquement à ce sujet. La majorité des insomniaques préfèrent se soigner eux-mêmes, rapporte le chercheur dans un autre article qu'il publie, avec J. Catesby Ware, dans la dernière édition de Applied and Preventive Psychology.
Broyer du noir
L'insomnie et les problèmes de santé mentale font leur couche
dans le même lit. Entre 50 % et 80 % des patients souffrant de problèmes
psychiatriques font de l'insomnie pendant la phase aiguë de leur maladie.
Par ailleurs, parmi les personnes qui consultent pour des problèmes
d'insomnie, le tiers souffre de problèmes de santé mentale
et un autre tiers éprouve des problèmes psychologiques qui
n'atteignent cependant pas un seuil psychiatrique. Il existe une très
forte relation entre la sévérité de l'insomnie et
la manifestation de problèmes psychologiques, signalent les chercheurs
Morin et Ware, mais aucune étude n'a démontré clairement
de lien de cause à effet entre les deux paramètres.
Les femmes, les personnes âgées et les gens souffrant de problèmes de santé psychologique ou physique semblent particulièrement sujets à l'insomnie. Lorsqu'ils consultent un médecin, les insomniaques repartent très souvent avec une prescription de médicaments, en général des benzodiazépines, qui provoquent des effets secondaires indésirables et créent une dépendance. Ces médicaments agissent très rapidement, observent les chercheurs, mais il n'existe pas de données convaincantes sur leur efficacité à long terme. Une étude menée auprès de 300 médecins de la région de Québec, par Lucie Baillargeon, de la Faculté de médecine, et trois de ses collègues, a montré que les médecins de famille préconisent peu les traitements cognitifs et comportementaux de l'insomnie bien qu'ils soient au fait des problèmes occasionnés par la consommation prolongée de ce type de médicaments.
Marchands de rêves
Plus d'une douzaine de techniques psychologiques contre l'insomnie ont été
éprouvées au cours des deux dernières décennies:
relaxation, contrôle des stimuli, éducation sur les habitudes
de sommeil, thérapie cognitive, etc. La plus efficace, celle de
la restriction du sommeil, consiste à ajuster le temps passé
au lit au temps de sommeil du patient (par exemple, si un patient dit dormir
cinq heures pas nuit sur les huit heures qu'il passe au lit, il doit réduire
le temps passé au lit à cinq heures; ce temps est progressivement
augmenté au fur et à mesure que l'insomnie régresse.)
Les traitements combinant les approches pharmaceutique et psychologique
produisent, à court terme, de bons résultats mais, à
long terme, leur efficacité ne surpasse pas celle du traitement psychologique
seul. Aucune des approches ne convient parfaitement à tous les patients,
notent les chercheurs Morin et Wooten, et la majorité de personnes
qui répondent à un traitement ne retrouvent pas pour autant
des habitudes de sommeil parfaitement normales.
Mieux vaut intervenir tôt pour contrer l'insomnie, insiste Charles Morin, en raison de ses répercussions importantes sur la qualité de vie et sur les coûts en services de santé. Un traitement psychologique, qui exige environ six heures de consultation, coûterait, en moyenne, 500 $ par patient. Les Américains paient annuellement plus de 1 milliard de dollars pour s'endormir: 392 millions en médicaments prescrits, 84 millions pour des médicaments en vente libre et 566 millions pour de l'alcool pris dans le but d'induire le sommeil. Des sommes importantes vont également à la consultation de divers spécialistes: 474 millions du côté des médecins, 66 millions pour des psychologues, 41 millions pour des travailleurs sociaux et 9 millions pour des spécialistes du sommeil.