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5 décembre 1996 ![]() |
Des chercheurs de microbiologie et du Centre de recherche en biologie forestière décrivent une espèce de bactérie capable de dégrader le soufre. Des applications environnementales en vue.
Lorsque Sylvie Dufresne a pris entre ses mains un exemplaire du dernier numéro de l'International Journal of Systematic Bacteriology et qu'elle y a vu son nom suivi de ceux de Jean Bousquet, Maurice Boissinot et Roger Guay, coiffant un article qu'elle connaissait par coeur, elle a poussé un grand soupir de soulagement. "Je savais depuis quatre ans que j'avais découvert une nouvelle espèce de bactérie mais je n'y ai vraiment cru que lorsque j'ai vu l'article. Là, je me suis dit, ça y est, l'espèce est décrite et personne ne peut me l'enlever maintenant."
En 1992, dès qu'elle a vu que la bactérie qu'elle étudiait formait des spores et proliférait dans des milieux très acides, l'étudiante-chercheuse a su qu'elle tenait une espèce jusque-là inconnue. Mais il ne suffit pas de voir une nouvelle espèce de bactérie pour en revendiquer la paternité; il faut en publier une description détaillée. Les organismes internationaux de systématique, qui se sont satisfaits pendant longtemps d'une présentation des caractéristiques morphologiques et physiologiques de l'espèce, exigent, depuis quelques années, le profil génétique de la bête afin de pouvoir la situer dans l'arbre généalogique du monde bactérien. "J'aurais sans doute pu publier plus rapidement mais je voulais être certaine que toutes les données étaient blindées et que personne n'allait nous contredire quelques semaines après la parution de l'article", explique Sylvie Dufresne.
Le blindage des données est venu, en bonne partie, de l'étude d'un gène de la bactérie, réalisée à l'Unité de service pour l'analyse et la synthèse d'acides nucléiques du pavillon Marchand. "Les analyses des séquences du gène ribosomal 16S ont fourni la preuve ultime de l'identité de cette "nouvelle" bactérie, dit Maurice Boissinot. Avec Jean Bousquet du Centre de recherche en biologie forestière, nous avons pu réaliser une analyse phylogénétique de haut calibre."
Écosystème singulier
La nouvelle espèce, baptisée Sulfobacillus disulfidooxidans,
a été découverte dans un habitat pour le moins singulier:
des boues d'usine d'épuration. "Au cours des dernières
années, la découverte de nouvelles espèces de bactéries
découle moins de recherche dans des écosystèmes déjà
connus, comme la flore intestinale, l'eau et le sol, que de l'analyse de
nouveaux écosystèmes, dit Jean Bousquet. Non seulement l'étude
de ces boues nous révèle une communauté qui diffère
quant à l'abondance relative de ses diverses constituantes bactériennes,
mais de nouvelles bactéries, jamais observées auparavant,
y sont découvertes."
En fait, précise Sylvie Dufresne, la nouvelle espèce vit probablement dans certains types de sol et elle a dû être lessivée par les eaux de ruissellement jusqu'aux usines de traitement des eaux usées où elle a trouvé des conditions propices à son développement. La nouvelle espèce apprécie les milieux très acides et assez chauds (croissance optimale à pH 2 et 35 degrés Celsius). Fait assez rare, elle utilise le soufre organique, et à un degré moindre le soufre inorganique, comme source d'énergie, une propriété qui lui a d'ailleurs valu son nom.
Sa capacité de dégrader le soufre pourrait éventuellement être mise à profit dans divers procédés de dépollution. "On pourrait l'utiliser pour la désulfuration du pétrole ou du charbon ou encore pour le nettoyage de sites contaminés par des hydrocarbures, croit Sylvie Dufresne. Mais d'abord, il faudrait mieux connaître le mécanisme qu'elle utilise pour attaquer le soufre".
La découverte de cette bactérie constitue un bon exemple d'une recherche fondamentale qui peut mener à des solutions originales pour des problématiques bien réelles de l'environnement, estime Jean Bousquet. "En plus de nous rappeler que les applications industrielles des connaissances fondamentales ne peuvent se faire sans un input de connaissances fondamentales, cette découverte nous révèle une fois de plus la grande diversité d'organismes que la nature a mis en place au fil des milliards d'années d'évolution. En tant que chercheurs, il nous appartient de découvrir et de respecter cette richesse."