14 novembre 1996 |
Qu'est-il advenu des valeurs sociales défendues
par les
péquistes en 1976?
En 1976, une faune électorale bigarrée, composée d'intellectuels soixante-huitards, de granolas retour-à-la-terre et de gens ordinaires qui aspiraient à autre chose pour eux et leurs enfants que le métro-boulot-dodo, portait le Parti Québécois au pouvoir. Le projet de société du PQ, qui, doit-on le préciser, ne consistait pas à équilibrer le budget et à réduire le déficit, avait séduit ces citoyens épris d'idéaux. Vingt ans plus tard, le souffle de social-démocratie qui faisait vibrer à l'unisson les sympathisants péquistes s'est-il éteint? Les valeurs sociales défendues par les partisans du Parti Québécois et du Parti Libéral du Québec, exception faite du dossier constitutionnel, sont-elles devenues une affaire de bonnet blanc et blanc bonnet?
Il semble que non, suggère une étude publiée plus tôt cette année dans la Revue canadienne de science politique par Réjean Pelletier et Daniel Guérin, du Département de science politique. Les deux chercheurs ont comparé les positions de 694 membres d'exécutifs de comtés et de 563 électeurs du PQ et du PLQ sur trois valeurs "postmatérialistes": l'environnement, les droits des femmes et les droits des minorités. Résultat: plus de dirigeants péquistes (52 %) que libéraux (17 %), et plus d'électeurs péquistes (35 %) que libéraux (13 %) épousent ces valeurs. "Il existe d'importants clivages entre les partis au plan des valeurs matérialistes/postmatérialistes, note Réjean Pelletier. Ce courant se superpose aux anciens clivages économiques qui continuent de marquer le système partisan au Québec, notamment celui fondé sur les enjeux de redistribution de la richesse."
Les valeurs postmatérialistes menacent l'emprise des partis traditionnels dont les assises reposent sur des clivages économiques ou nationaux, signalent les deux chercheurs. L'émergence de ces valeurs pose donc un défi aux partis politiques qui doivent courtiser l'électorat sur la base de ces nouveaux enjeux et adapter leur programme en conséquences. "Les valeurs postmatérialistes ont gagné en importance au cours des vingt dernières années, estime Réjean Pelletier, même si, récemment, on assiste à un retour du balancier. Quand les conditions économiques sont favorables, les revendications de la population sont davantage d'ordre social. Par contre, lorsque l'économie va mal et que le chômage est élevé, il y a crise des valeurs postmatérialistes. Le dossier de l'équité salariale en constitue un exemple mais la tendance n'est pas irréversible."
Les partis politiques se drapent-ils dans la ferveur postmatérialiste de leurs sympathisants uniquement pour séduire l'électorat? Si on examine les programmes et les réalisations des partis au cours des deux dernières décennies, dit Réjean Pelletier, on constate que ces enjeux s'y retrouvent et que des gestes concrets ont été posés, notamment la création du ministère de l'Environnement et du Secrétariat à la condition féminine. Cependant, une fois au pouvoir, la plupart des politiciens adoptent des positions qui se situent à mi-chemin entre celles des militants de leur parti et celles beaucoup moins radicales de l'ensemble de l'électorat. Le résultat est que les choses ne vont jamais aussi vite que le souhaiteraient les militants.