14 novembre 1996 |
Au Grand soir du 15 novembre 1976, tous les espoirs
étaient permis.
Surtout pour les universitaires, qui passaient de l'autre coté du
miroir.
Mirages et désillusions d'une communauté très engagée.
Référendum de 1995, révolte des Patriotes en 1837, élection du Parti Québécois en 1976: les grands rendez-vous de l'Histoire du Québec se déroulent souvent en automne. Comme si les citoyens tentaient de contrer la morosité de cette saison pluvieuse en contractant la fièvre nationaliste. La vague qui a porté le parti de René Lévesque au pouvoir le 15 novembre 1976 ne ressemblait peut-être pas à un raz de marée avec 41 % de suffrages en faveur du PQ, mais elle incarnait la prise de pouvoir par une profession bien précise, celle des enseignants. Ces derniers devaient rafler en effet la moitié des sièges du premier cabinet Lévesque, quatre ministres venant pour leur part de l'Université Laval:
Qu'ils soient des militants indépendantistes fervents, des souverainistes mous ou convaincus, la très grande majorité des professeurs et des étudiants de l'Université Laval acueillent avec joie la nouvelle de l'élection du PQ au soir du 15 novembre 1976. Les intellectuels - les "pelleteux de nuage" comme les appelaient leurs détracteurs - allaient enfin se mêler de politique et mettre leurs idéaux en pratique. "C'était le parti le plus proche de nos aspirations, se souvient le politologue Vincent Lemieux. On croyait alors, dans ces dernières belles années de la social-démocratie, que l'État-providence allait changer la société."
Ce spécialiste des sondages politiques remarque par ailleurs que l'appui au Parti Québécois variait d'une faculté à l'autre. Les sciences humaines se sentaient plus proches des idées péquistes que les sciences de l'administration ou la médecine et le génie. Des différences qui s'expliquent, selon Vincent Lemieux, par une forte politisation des étudiants et professeurs de Lettres, Théologie et Sciences sociales, favorables au style interventioniste du PQ, alors que la relève des gens d'affaires souhaitait habituellement laisser le marché agir. L'histoire même de la formation de ce parti, né de la volonté d'intellectuels d'affirmer leur sentiment nationaliste, explique également cet appui universitaire.
Laval était en grève
Pourtant, même si les nouveaux élus en poste connaissaient
bien l'univers de l'éducation, notamment celui de l'éducation
supérieure, leur expérience ne semble pas avoir eu de répercussions
immédiates sur la vie quotidienne à l'Université Laval,
en particulier sur la grève des professeurs qui se déroulait
à cette période. Bien que certains comparent l'élection
du PQ à un "rayon de soleil" dans ce trimestre difficile,
l'arrivée du professeur Jacques-Yvan Morin (de l'Université
de Montréal) à la tête du ministè de l'Éducation
n'a eu apparemment aucune influence sur le conflit de travail qui a paralysé
les cours de septembre à décembre 1976. "Le ministre
était très peu au fait du fond du litige, qui portait sur
l'ouverture d'une l'Université gérée par les doyens,
la liberté universitaire, les conditions de travail", se rappelle
Joël de la Noue, professeur au Département des sciences des
aliments et premier président du Syndicat des professeurs. "Finalement,
l'élection du PQ n'a pas changé grand chose."
La prise du pouvoir d'un parti confiné si longtemps dans l'opposition a eu pour effet, selon Louis Balthazar, professeur au Département de science politique, d'éloigner certains gauchistes des souverainistes: "Je me souviens que lorsque j'ai proposé de donner un cours sur le nationalisme, les étudiants du comité de sélection craignaient que le cours consiste surtout à du ^^pétage de bretelles^^ car le PQ gouvernait. Paradoxalement, avant l'élection, les étudiants déploraient le manque de cours portant sur le Québec." Louis Balthazar se souvient aussi que le milieu universitaire, épris d'idéalisme, critiquait beaucoup le rapprochement entre René Lévesque et le milieu des affaires. "Les gens considéraient son pragmatisme et la légère dérive du parti vers la droite, qui modérait l'orientation social-démocrate, comme de la faiblesse."
De l'autre côté du miroir
Louis O'Neill, ministre de la Culture et des Communications de 1976 à
1978, puis en charge du seul portefeuille des Communications jusqu'en septembre
1979, a vécu de très près le fracture qui sépare
le rêve politique de la réalité. "J'allais en politique
pour une seule chose, contribuer à la cause de l'indépendance,
raconte ce professeur de la Faculté de théologie. Or, l'accent
a été mis dès le début sur la gestion et le
bon gouvernement." Cet universitaire a ressenti rapidement le poids
de la fonction publique dans le cheminement d'un dossier, en plus de découvrir
combien un ministre ne maîtrise pas son temps. "J'éprouvais
un sentiment d'impuissance devant la tâche car je n'avais aucun contrôle
sur les échéanciers", se rappelle-t-il.
Louis O'Neill se heurtait souvent également au centralisme d'autres membres du cabinet, qui militaient toujours pour le rapatriement des institutions à Montréal. À son grand étonnement, il a découvert que la main gauche nuisait parfois à la main droite au sein même de son ministère. "Certains fonctionnaires qui croyaient au développement régional avaient équipé le JAL, un regroupement de villages dans le Témiscouata, d'une station de radio, tandis qu'un autre groupe militait pour la fermeture de cette région." Malgré cette expérience éprouvante, ce farouche militant indépendantiste a gardé une foi intacte pour la politique, ce qui n'est sans doute pas le cas de tous les électeurs ayant voté pour le Parti Québecois en 1976.
Scission sur les coupures
"Je pense que bien des universitaires ont éprouvé de
la désillusion en voyant des gens dont ils attendaient tant de pureté
s'accrocher au pouvoir comme les autres politiciens," fait valoir Louis
Balthazar. Selon lui, la réouverture des conventions collectives
en 1982 a porté un coup fatal à l'esprit de complicité
qui existait entre les professeurs et le gouvernement: "Finalement,
les baby-boomers ont acclamé le PQ et les syndicats jusqu'à
ce qu'ils constatent que ça coûtait trop cher."
Vincent Lemieux constate de son côté que les premières coupures budgétaires effectuées par un gouvernement depuis 1960 ont été ressenties comme une trahison, venant d'un parti qui se targuait de social-démocratie: "Les étudiants, qui avaient fondé beaucoup d'espoir sur la possibilité de faire carrière dans les institutions d'un nouvel État québécois, ont commencé à s'interroger au début des années 80. Les élections de 1985 ont officialisé la déroute du PQ, qui n'a recueilli que 31 % des votes." La lune de miel entre "Le parti des profs" et la communauté universitaire n'a donc pu survivre aux difficultés économiques qui s'amorcaient. Depuis, la couleur politique de la communauté universitaire a perdu de son uniformité et le PQ ne recrute plus majoritairement dans le milieu enseignant. L'actuel gouvernement Bouchard ne compte que 5 professeurs parmi ses 22 ministres.