7 novembre 1996 |
Par sa thèse de doctorat intitulée «Génétique littéraire québécoise: devenir auteure au tournant du siècle (1825-1925)», Hélène Turcotte a voulu illustrer le travail colossal des premières journalistes-écrivaines et éclairer une dimension primordiale de l'origine de la littérature québécoise. Au cours de cette période, l'écriture constitue un domaine réservé aux hommes qui possèdent le pouvoir économique, politique et religieux; on comprend donc que les écrivaines du début du siècle ayant voulu s'exprimer par le biais de l'écriture aient fait face à plusieurs contraintes.
Au début du siècle, rapporte Hélène Turcotte dans cette étude dirigée par Chantal Thery, du Département des littératures, il est très difficile pour une femme de prouver son droit à l'égalité et à un certain pouvoir. Pour dire ce qu'elles ont à dire, les journalistes-écrivaines vont donc adopter diverses stratégies, dont «la tactique d'entrisme», qui consiste à récupérer les idées du pouvoir en place pour placer ses propres arguments. Elles emploieront également des procédés rhétoriques comme la prétérition: «Je ne vous parlerai pas de politique mais laissez-moi vous en parler...» ou encore, se feront faussement modestes: «Moi qui ne suis qu'une femme, je n'ai pas d'opinion sur ce sujet mais...» Par toutes sortes de tactiques, elles tentent ainsi d'ouvrir les portes qui leur sont fermées, comme les professions libérales ou le droit de vote.
«Leurs écrits peuvent sembler manquer de rigueur et conserver à bien des égards des points faibles, souligne Hélène Turcotte, de même que leur façon de voir et de dire peut paraître encore désuète, mais les tactiques d'écriture demeurent assez efficaces pour ébranler l'ordre des choses en suggérant que la parole conventionnelle ne représente pas les pensées de l'ensemble de la population, mais seulement une partie de celle-ci.» Curieusement, note la chercheuse, ces mêmes femmes se montrent assez conservatrices lorsqu'elles écrivent des oeuvres de fiction, utilisant toujours les stratégies de l'implicite pour faire passer leurs idées. L'étude des modifications que les romancières ont apportées à leurs écrits, d'une première version à un autre, révèle cependant que les femmes corrigent leurs textes de manière à proposer une image différente des protagonistes féminins et de leur devenir.
Dans ses recherches futures, Hélène Turcotte aimerait découvrir si, à l'instar de leurs précurseures du siècle passé, des journalistes-écrivaines d'aujourd'hui, comme par exemple Lise Bissonnette ou Nathalie Petrowski, reproduisent la même prudence idéologique dans le passage d'un genre à un autre. En clair, la fiction des femmes d'aujourd'hui est-elle réellement plus osée que leur discours journalistique?