Colloque du Centre de recherche en littérature québécoise
Colloque du Centre de recherche en littérature québécoise
Médiums seyants?
L'adaptation du texte théâtral aux spécificités
de la dramatique télé a des effets pervers mais compte aussi
ses moments de bonheur
«Si on tient pour acquis que la dramatique télé n'est
pas un théâtre édulcoré, ni un cinéma
dilué, mais bien un médium à part entière, nous
ne voyons pas pourquoi l'adaptation de textes au petit écran ne serait
pas possible. C'est peut-être en tenant compte des spécificités
d'un médium qu'on arrive à l'exploiter entièrement.
Nous croyons qu'un dialogue stimulant et fructueux peut s'engager entre
la scène et le petit écran, pourvu que l'un ou l'autre ne
perde pas son identité en cours de route.»
C'est ce que qu'a affirmé Christiane Lahaie, chargée de cours
au Département des littératures, lors du colloque «L'adaptation
dans tous ses états: passage d'un mode d'expression à l'autre»
qui s'est tenu récemment au Domaine Cataraqui. Organisé par
le Centre de recherche en littérature québécoise (CRELIQ),
ce colloque visait à questionner non seulement le passage «traditionnel»
du littéraire au cinématographique, mais aussi toute «réécriture»
d'une oeuvre ou d'un objet en un médium différent.
Alors que l'adaptation des textes dramatiques pour la télévision
devrait imposer un minimum de modifications à l'oeuvre originale,
on se rend compte que le travail d'adaptation ressemble plutôt à
une sorte de marathon, remarque Christiane Lahaie: on coupe dans le texte
ou on joue la dramatique à toute allure, grille-horaire oblige, ou
on va même jusqu'à censurer. Finalement, on tient rarement
compte des possibilités - et des limites - de la scène ou
du petit écran. Et de citer l'exemple de la pièce de théâtre
La charge
de l'orignal
épormyable de Claude
Gauvreau adaptée pour la télévision et présentée
en 1993 à la Société Radio-Canada, à un soir
et une heure de grande écoute, il y a de cela quelques années.
Adapter la forme et l'image
Selon la conférencière, adapter cette pièce de
théâtre surréaliste pour la télévision
constituait au départ une entreprise des plus périlleuse,
à cause notamment de sa forme et du propos de son auteur complètement
éclatés, dans la version théâtrale. Le décor
concret proposé à l'écran ayant tout à fait
gommé l'aspect métaphorique de la pièce, l'oeuvre perd
tout son sens auprès du spectateur peu familier avec l'univers poétique
de Gauvreau. Il arrive toutefois qu'une adaptation soit réussie;
c'est le cas de
Bonjour, là,
bonjour de Michel Tremblay,
présentée également à la SRC en 1993.
Le problème posé par l'adaptation de cette pièce en
était un de taille, constate Christiane Lahaie. En faisant se côtoyer
huit personnages sur scène, tout en les isolant chacun dans leur
univers, Tremblay illustrait le dialogue de sourds les caractérisant.
Devant l'imposssibilité de cadrer tous ces acteurs en même
temps, le réalisateur a combiné le réalisme télévisuel
à une série de trucages visuels, recréant ainsi une
nouvelle oeuvre, un nouveau message. «On a l'impression que le temps
passe, que rien ne change, mais que chaque personnage, cadré dans
«son» décor, n'en est que plus pathétique. En d'autres
termes, il y a concordance entre le néo-réalisme de l'esthétique
d'origine et un traitement télévisuel audacieux.»
L'oeil et et le peintre
Professeur d'histoire de l'art, David Karel a livré une très
intéressante conférence sur la façon dont la peinture
s'est adaptée à la photographie. Soulignant que l'invention
de la photographie, en 1839, avait complètement bouleversé
le paysage des arts visuels, il a nommé Edgar Degas comme l'un des
premiers peintres à avoir été marqué par la
photographie: «Photographe assidu, il fait entrer dans l'univers de
la peinture une sorte de regard rotatif qui balaie non seulement le plan
horizontal à la manière d'un périscope, mais se dirige
de temps en temps vers le haut et le bas, pour redécouvrir sous un
angle insolite un objet familier. Or, ce regard mouvant, comme celui du
photographe qui explore le champ visuel en visant à travers la lorgnette
de son appareil, en vient nécessairement à figer un moment
de son parcours. La scène qui en résulte est moins composée
, c'est-à-dire moins volontairement équilibrée qu'une
peinture. Elle semble avoir été captée plutôt
que composée.»
A l'instar de Degas, le peintre Manet cherche à atteindre l'impression
d'instantanéité dans l'oeuvre d'art, peignant des courses
et même l'explosion d'une grenade, ce qui fait dire à David
Karel que «leur innovation est contre nature, comme si on tentait de
greffer un obturateur sur l'oeil du peintre».
Renée Larochelle