7 novembre 1996 |
Les caribous de la rivière George ont surconsommé et piétiné la végétation de leurs aires de mise bas . Catastrophe droit devant?
On imagine facilement les caribous du Nouveau-Québec, émaciés et affaiblis, errant tout l'hiver sur des steppes désolées, fouettés par des vents glacials, glanant ça et là quelques miettes de lichens gelés pour subsister jusqu'à la saison nouvelle. Histoire pathétique de bêtes courageuses affrontant une nature sauvage et cruelle. Stoppez les caméras car le scénario qui se déroule présentement sur les grands plateaux de la rivière George, utilisés comme aires de mise bas par un troupeau de 800 000 têtes, est tout autre. La saison où les caribous en arrachent vraiment, celle au cours de laquelle la nourriture se fait rare au point de limiter la croissance de ce troupeau, c'est l'été, dit l'étudiante-chercheure Micheline Manseau.
"Bien des chercheurs croyaient invraisemblable qu'un habitat d'été couvrant un si vaste territoire (20 000 km2) puisse limiter la taille d'une population d'herbivores, signale-t-elle. En général, ce sont les prédateurs ou la capacité de support de l'habitat d'hiver qui imposent des limites. Mais le cas du troupeau de la rivière George est spécial." Auteure d'un doctorat sur la question, elle publie, avec les biologistes Jean Huot et Michel Crête, les principaux résultats de ses recherches dans le numéro de septembre du Journal of Ecology.
Vivement l'hiver!
Micheline Manseau est parvenue à trouver, à travers ce vaste
habitat dénudé, quatre petits secteurs épargnés
par le caribou, grâce auxquels elle a évalué l'impact
des caribous sur la végétation. Elle a ainsi montré
que la biomasse de lichens et de plantes vasculaires sur le territoire
fréquenté par le caribou est respectivement 98 % et 25 % plus
faible que celle des sites témoins. Résultat: entre la mise
bas, qui a lieu à la mi-juin, et la feuillaison des plantes vasculaires
à la mi-juillet, les caribous n'ont presque rien à manger.
Les réserves de graisses des femelles, qui dépassent à
peine 2 kilos lors de la mise bas, chutent pratiquement à zéro
un mois plus tard.
Les lichens et les bouleaux glanduleux sont des plantes peu résilientes au broutement et au piétinement, observe la chercheure. Par ailleurs, les plantes vasculaires ne parviennent pas à envahir le sol laissé libre par la disparition du lichen. Néanmoins, année après année, les caribous reviennent bêtement sur les plateaux de la rivière George lors de leurs migrations annuelles. "Les femelles arrivent un peu plus tard et repartent un peu plus tôt qu'auparavant mais la fidélité au site demeure", observe Micheline Manseau.
Le troupeau de la rivière George comptait moins de 10 000 bêtes jusqu'en 1960 mais il a connu une explosion spectaculaire qui l'a amené à près de 800 000 têtes dans les années 1980. Depuis, les biologistes anticipent un crash qui tarde à venir mais certains indices annonciateurs ne trompent pas: taux de reproduction à la baisse, réserves de graisses des femelles et taux de croissance des jeunes plus faibles que dans l'autre grand troupeau du Nord québécois, celui de la Rivière-aux-Feuilles. "Pour l'instant, la baisse se fait de façon graduelle parce que les femelles récupèrent lorsqu'elles utilisent l'habitat d'hiver, suggère la chercheure. Cet habitat couvre une superficie de 700 000 km2 et offre une capacité de support beaucoup plus grande. Par contre, il est aussi utilisé par le troupeau de la Rivière-aux-Feuilles, qui compte 300 000 bêtes et qui est toujours en pleine croissance. Si jamais cet habitat se dégradait, et je crois que c'est ce qui se passe présentement, la chute de population pourrait être beaucoup plus rapide."