31 octobre 1996 |
C'est physiologique: le plaisir est au confort ce que la joie est au bonheur...
«Lorsque quelqu'un d'autre glisse une main glacée sous nos vêtements et sur notre peau, en hiver, la sensation est fort désagréable pour nous. Lorsque nous nous livrons à la même manoeuvre sur nous-mêmes, la sensation n'est pas désagréable car nous percevons simultanément le plaisir sur la main réchauffée et le déplaisir sur la peau refroidie.» La quête du plaisir gouverne les comportements humains, croit le physiologiste Michel Cabanac. Et le plaisir pourrait bien être l'étalon monétaire utilisé par le cerveau pour évaluer la rentabilité de chaque comportement dans une situation donnée.
«Lorsqu'il y a conflit entre plusieurs comportements et que nous devons choisir, nous agissons alors de façon à maximiser le plaisir, a-t-il expliqué aux personnes venues l'entendre, le 25 octobre, dans le cadre des Conférences en gérontologie. Ainsi, si un lion entrait dans la salle, vous devriez faire le calcul entre le plaisir de continuer à écouter ma présentation et le plaisir de sauver votre peau.»
Sa théorie, présentée dans l'ouvrage La quête du plaisir , publié aux Éditions Liber en 1995, résulte d'expériences réalisées au fil des années dans son laboratoire du Département de physiologie la Faculté de médecine. Ses travaux ont démontré, entre autres, que le plaisir de plonger la main dans un bac d'eau variait en fonction de la température interne des sujets alors que le plaisir d'avaler une cuillerée d'eau sucrée se transformait en déplaisir lorsque les sujets avaient atteint le seuil de satiété. «La chose peut sembler banale mais le fait qu'un même stimulus provoque des effets différents selon l'état interne du sujet n'apparaissait pas dans les livres de psychologie», commente-t-il.
Les activités de l'esprit semblent également soumises à cette même quête du plaisir. Des sujets, invités à lire une série de poèmes, admettent retirer plus de plaisir lorsqu'ils ont l'impression de comprendre le message de l'auteur. D'autres sujets, qui faisaient l'essai d'un jeu vidéo sur le golf, disent éprouver plus de plaisir lorsque leur performance s'améliore sur les verts virtuels.
«La joie est au bonheur ce que le plaisir est au confort, dit Michel Cabanac. La joie et le plaisir ont un caractère dynamique, éphémère et transitoire. La consommation du plaisir, comme celle de la joie, entraîne sa propre fin. À l'opposé, le bonheur, à l'image du confort, décrit un état de stabilité. Certaines religions le représentent même comme une forme d'indifférence, de béatitude et de détachement de tout.»
Le plaisir diminue-t-il avec l'âge? «Je ne suis pas un expert de la question mais je ne crois pas que ce soit forcément le cas, répond Michel Cabanac. Par exemple, j'adorais faire du saut à ski. Aujourd'hui, je n'en fais plus mais quand un des mes articles est accepté pour publication dans une revue scientifique, je ressens un plaisir tout aussi grand.»