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31 octobre 1996 ![]() |
L'automation des processus de production, de gestion et de communication
nous oblige à envisager le partage du travail. Cette problématique
trouve son fondement dans l'inversion de la logique de l'investissement.
Certes, l'investissement crée de l'emploi, mais cette première
relation occulte la seconde, à savoir la corrélation négative
entre le volume des investissements et la création d'emplois. En
d'autres mots, le nombre d'emplois créés est en fonction décroissante
du volume des investissements. Malgré une contradiction apparente,
ces deux propositions sont compatibles; il importe même de les considérer
simultanément.
Le cas de Péchiney-Dunkerque illustre le problème: les nouveaux
procédés de fabrication de l'aluminium permettent d'atteindre
une productivité de 400 tonnes d'aluminium par salarié, soit
un doublement par rapport aux rendements précédents. La moitié
de la production d'aluminium en France sera produite avec 540 salariés,
soit un capital de 10 millions de francs par salariés (environ 2,2
millions de dollars).
Aux États-Unis, la productivité des entreprises manufacturières
a augmenté de 35 % de 1979 à 1992, tandis que le nombre des
employés a diminué de 15 %. Rappelons que 90 % des emplois
créés aux États-Unis au début de 1993 étaient
des emplois temporaires ou à temps partiel. Les 500 plus grandes
firmes américaines n'emploient que 10 % des salariés permanents
et à plein temps.
C'est la raison principale pour laquelle le plein emploi devient un objectif
qui ne cesse de s'éloigner. Dans un certain sens, il s'agit là
d'une bonne nouvelle car, après tout, pourquoi se plaindre de ce
que les machines peuvent travailler à notre place!
Deux stratégies d'aménagement et de réduction du temps
de travail sont possibles: les stratégies défensives visant
à maintenir l'emploi dans une conjoncture difficile; les stratégies
offensives directement orientées vers la création d'emplois
et basées sur une réorganisation du travail.
Le cas de Volkswagen
Le cas bien connu de Volkswagen illustre la première stratégie:
pour éviter le congédiement de 30 000 personnes, les travailleurs
ont accepté une réduction du temps de travail au 4/5 de ce
qu'il était contre une baisse de 10 % de leur salaire. Je me souviens
d'une déclaration d'un grand économiste affirmant, la veille
de cet accord, que la réduction du temps de travail était
une mauvaise solution!
Jacques Rigaudiat faisait un bilan partiel de ces stratégies en France
en 1993: sur huit entreprises totalisant 6482 salariés, 608 licenciements
ont été évités avec une réduction moyenne
de deux heures et cinq minutes de la durée hebdomadaire. Autrement
dit, 9.4 % des emplois ont été maintenus grâce à
une réduction de 5.3 % de la durée de travail hebdomadaire.
La réduction du temps de travail s'avère donc une stratégie
efficace pour maintenir l'emploi.
L'alternative est la suivante: soit on s'enfonce dans la dualisation et
l'exclusion sociales, soit on s'engage dans l'aménagement et la réduction
du temps de travail avec compensations au moins partielles. «Ce qui
est donc clairement en jeu ici, précise Rigaudiat, c'est l'existence
d'un mécanisme de compensation qui permette de faire apparaître
la réduction du temps de travail comme une réponse possible
et acceptable par les partenaires sociaux, parce que, tout à la fois,
elle n'entraîne pas une réduction qui serait jugée excessive
des salaires et en premier lieu, des plus bas d'entre eux, et assure une
limitation suffisante des pertes d'emploi, qui sans cela seraient inévitables»
(Réduire le temps de travail, Syros, 1993, p.121).
Stratégies offensives
Les stratégies offensives de partage du travail impliquent, quant
à elles, un nouvel aménagement du temps de travail et une
nouvelle dynamique économique qui tiennent compte de la productivité
globale des facteurs de production: productivité du travail, mais
aussi gestion optimale du capital immobilisé fixe et variable. L'idée
principale repose sur le fait que les machines ne se fatiguent pas et, qu'en
général, il y a une sous-utilisation des capacités
de production. Il faut donc rechercher les conditions d'une disjonction
entre le temps de travail des travailleurs et le temps d'utilisation des
machines.
Les stratégies offensives du partage du travail supposent une plus
grande utilisation des équipements, une forte diminution du temps
de travail conjointement à l'établissement d'une réorganisation
du travail. Cette situation permet la modulation du temps de travail sur
une base journalière, mensuelle, annuelle ou autre. Elle ouvre la
possibilité d'embaucher une deuxième, voire une troisième
équipe. Cette nouvelle dynamique économique s'accompagne de
gains de productivité dans la mesure où l'entreprise a recours
à une meilleure utilisation de son capital. En fait, les modulations
doivent être adaptées aux contraintes spécifiques de
production de chaque entreprise. Jacques Rigaudiat conclut en ces termes:
«De façon générale, on peut affirmer que l'augmentation
de la durée d'utilisation des équipements requiert une réorganisation
du travail, qui, elle-même, peut supposer une réduction conséquente
des temps travaillés et ainsi engendrer une création nette
d'emplois» (1993, p.124).
Ce n'est pas le lieu d'approfondir la question, mais il est clair qu'une
meilleure utilisation du capital permet en quelque sorte de gagner sur tous
les tableaux à la fois: compenser complètement la réduction
du temps de travail et avoir un prix de revient plus compétitif.
Les stratégies offensives d'aménagement et de réduction
du temps de travail sont soumises à des contraintes spécifiques,
de marché en premier lieu, mais dans la mesure où elles permettent
de limiter l'investissement initial et de maximiser la productivité
du capital, parce qu'elles favorisent la création d'emplois, leur
utilité mérite des mesures d'appui et compensatoire.