31 octobre 1996 |
Au cours des années, le rituel de cette "fête d'Anglais" s'est solidement implanté chez les Québécois francophones
Le soir de l'Halloween, des centaines d'enfants envahissent les rues de la ville, déguisés en personnages grotesques et mystérieux, munis de sacs et de citrouilles en plastique destinés à être remplis par des adultes qui acceptent de jouer le jeu. Si certaines maisons arborent une décoration des plus sobres, d'autres font étalage d'ornements compliqués, leurs propriétaires rivalisant d'audace et d'originalité dans une orgie de sorcières, de fantômes et de monstres en cavale. En fait, depuis quelques années, la fête de l'Halloween connaît une popularité grandissante, non seulement chez les enfants mais également chez les adultes qui n'ont de cesse d'organiser et de participer à des soirées costumées.
Selon Jean-Jacques Chalifoux, professeur au Département d'anthropologie, plusieurs facteurs expliquent cette popularité croissante, dont le fait que la fête permette d'endosser un autre personnage que soi, l'espace de quelques heures. «Le soir de l'Halloween, il n'existe plus d'interdits, explique-t-il. Chacun a le pouvoir de se fabriquer symboliquement une identité; on peut aussi bien porter un masque de Jean Chrétien qu'un masque de La Guerre des étoiles. Toute la culture populaire est mobilisée; en ce sens, cette fête s'apparente au Carnaval.»
En outre, estime Jean-Jacques Chalifoux, l'ordre social est en quelque sorte renversé, le soir du 31 octobre. En effet, en cette veille de la Toussaint, ce sont les enfants qui font "peur" aux adultes en sonnant aux portes des maisons. «La structure familiale étant de plus en plus remplacée par le réseau d'amis, dans notre société, l'Halloween est davantage une fête d'amis qu'une fête de famille. À cet égard, j'irais même jusqu'à dire qu'elle est devenue une fête presque aussi importante que la fête de Noël, cette dernière étant de plus en plus évacuée de son sens religieux.»
La fête aux Anglais
Professeur au Département d'histoire, Jean Duberger rappelle que
dans le Montréal des années 1950 où il a vécu
enfant, il ne serait jamais venu à l'esprit d'un Canadien Français
de célébrer l'Halloween, une fête communément
réservée aux "Anglais": «Depuis une dizaine
d'années, nous assistons à une mise en scène collective,
affirme l'historien. En ces temps de morosité, les gens sentent le
besoin de réinventer des rituels. La fête représente
une interruption dans le temps. Après l'Halloween, ce sera Noël
puis le Carnaval. Finalement, on peut plutôt parler d'un vide rituel.»
Rappelons que le nom d'Halloween date du Moyen Age et provient du vieil anglais All Hallows qui signifie "tous les saints". Toutefois, l'origine de cette fête remonte à la nuit des temps, bien avant l'ère chrétienne et a toujours été associée à l'arrivée du mois de novembre, et donc à des conditions climatiques plus difficiles. Par exemple, chez les anciens Druides, à cause des vents et de la noirceur plus hâtive, on croyait que les esprits des morts revenaient sur terre; on croyait aussi que des sorcières, des fées et des démons rôdaient en liberté. Les gens allumaient alors des feux pour les chasser.
Les peuples des Îles Britanniques, eux, allumaient d'immenses feux de joie dans chaque village. Maquillés et costumés, les jeunes dansaient autour des feux de joie en portant des lanternes fabriquées avec des navets évidés. Si la citrouille sculptée d'un visage menaçant et illuminé d'une chandelle a remplacé le navet, il n'en demeure pas moins que l'Halloween exerce toujours un attrait puissant chez les jeunes et moins jeunes qui voient respectivement cette fête comme un moyen d'échapper à l'autorité des adultes et de sortir, un tant soit peu, de la peau de leur propre personnage.