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31 octobre 1996 ![]() |
Jeunes individualistes sans valeurs communes, jeunes démobilisés
incapables d'actions collectives, candidats rêvés à
l'aide sociale ou au chômage, les enfants des baby-boomers n'ont pas
bonne presse auprès de leurs parents. Ces derniers, qui ont maîtrisé
avec un art consommé toutes les phases de la contestation dans les
années soixante ou soixante-dix, ne semblent pas disposés
à leur céder la place aux commandes de la société.
Les 16-35 ans demeurent donc en marge des grandes décisions du Québec.
Et même le débat sur ce conflit de générations
organisé par le Café littéraire et philosophique du
Pub de l'Université Laval, avec l'Association de étudiant(es)
de Laval inscrits aux études supérieures, l'ÆLIÉS,
n'a pu les mobiliser.
Génération X contre baby-boomers, parents contre enfants,
titulaires d'emplois permanents contre jeunes chômeurs, la nature
de l'affrontement entre les moins de 35 ans et leurs aînés
demeure encore nébuleuse. Pour Raymond Hudon, professeur au Département
de science politique et un des participants-invités, la génération
des parents devient toujours le bouc-émissaire des frustrations de
la génération suivante. Il pointe ainsi du doigt les personnes
âgés, grands consommateurs de soins et d'hivers en Floride,
le seul groupe au Canada dont les conditions de vie se sont améliorées
depuis 1984. Raymond Hudon pourfend donc les discours sacrificatoires contre
les baby-boomers en faisant remarquer que lorsqu'on perd son emploi à
50 ans, on a sans doute autant de difficultés à en trouver
un qu'à 25 ans.
Mais où sont les valeurs d'antan?
Crise de transmissions des valeurs, manque de socialisation, dérobade
des parents face aux conflits nécessaires qui permettent aux enfants
de voler de leurs propres ailes, les participants au débat identifient
pourtant une caractéristique qui différencie les baby-boomers
des autres parents. Comme l'expliquait un étudiant, les parents ont
abandonné l'éducation entre les mains de spécialistes
et n'osent plus transmettre leurs valeurs. À force de rejeter le
modèle de vie de leurs propres parents, ils créent une rupture
entre les générations. Ce phénomène explique
peut-être le fait que les organisations syndicales ou politiques n'incorporent
plus de jeunes militants dans leurs rangs, ou que les syndicats acceptent
les suppressions de postes sans se battre pour la relève.
Étudiants ou professeurs, jeunes ou moins jeunes s'entendent en fait
pour constater que nous traversons une crise d'identité sans précédent
en partie à cause de la dégradation des conditions économiques.
"Jusqu'à présent, notre statut se définissait
par rapport au travail, remarque un étudiant. Or ce lien social n'existe
plus aujourd'hui car l'emploi dépend de grandes corporations extérieures.
Les jeunes qui ne travaillent pas se retrouvent exclus de la société.
Il faut donc donc revoir la nature du travail, le reconquérir."
Et sans doute oublier comme l'explique Madeleine Gauthier, la concordance
entre le diplôme universitaire et la rémunération.
La dévalorisation des diplômes
"Dans une société très scolarisée comme
la nôtre, note la chercheure à l'INRS, un doctorat ne vaut
pas grand chose en soi. La période de transition que nous vivons
ressemble par l'ampleur de ses changements à la Révolution
industrielle, il va falloir inventer des moyens nouveaux. Sans une solidarité
intra-générationnelle très forte, la loi du plus fort
risque de l'emporter, et seuls les débrouillards et les petits futés
s'en sortiront." Comme le remarque l'un des partipants, les jeunes,
spécialisés dès leur plus jeune âge, éprouvent
pourtant bien des difficultés à remettre en question le système
bâti par leurs aînés. Mais ce souci du consensus appartient
au passé, lorsque les décideurs géraient l'abondance
et la prospérité.
Pourtant, contrairement aux baby-boomers dans les années soixante
ou soixante-dix, les associations étudiantes ne savent pas comment
mobiliser leurs membres. À force de se faire dire qu'ils doivent
avoir le meilleur diplôme possible pour décrocher un emploi,
que l'avenir est bouché et qu'il vaut mieux profiter dès maintenant
des vacances dans le Sud, et qu'un travail à temps partiel permet
de réduire les dettes, les étudiants n'ont plus le temps de
militer. Comment alors les jeunes pourraient-il prendre la place qui leur
revient dans la société? En concluant une alliance avec les
baby-boomers par la bande, avance Yvan Simonis, professeur au Département
d'anthropologie. Apparemment, selon lui, le modèle de gestion de
la société à l'image d'une entreprise qui répartit
équitablement les richesses entre ses membres ne fonctionne pas.
La société de demain reste donc à inventer. Ensemble.
Pascale Guéricolas