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10 octobre 1996 ![]() |
Si vous rencontrez Claude Beauregard, ne lui demandez surtout pas de
parler du stage d'études qu'elle a effectué l'année
dernière, à Lyon, en France: vous risqueriez fort d'être
en retard à votre rendez-vous suivant. En effet, quand elle parle
de cette belle aventure vécue dans le cadre du programme d'échanges
d'étudiants des universités du Québec alors qu'elle
était étudiante en science politique (voir encadré
en page 13), Claude Beauregard est intarissable, racontant par le menu détail
ses premières impressions, comme son arrivée tardive à
la résidence de l'Institut d'études politiques à l'Université
Lumière Lyon 2, un soir frisquet de septembre, alors qu'elle ne connaissait
pas un chat, et encore moins sa voisine de chambre.
«Comme je me sentais un peu perdue, je suis descendue à la cafétéria
où des étudiants français jasaient autour d'une table.
Je leur ai tendu la main en leur disant que j'étais Québécoise
et que je venais tout juste d'arriver. À partir de ce moment, la
glace s'est cassée et tout, du début à la fin du stage,
s'est bien déroulé. Les Français m'ont très
bien accueillie.» En plus des contacts enrichissants qu'elle a entretenus
avec ses camarades de classe, Claude Beauregard dit avoir énormément
apprécié l'approche utilisée par des professeurs «qui
n'ont pas peur d'utiliser les mots scientifiques dans leur enseignement
et qui tiennent pour acquis que l'étudiant va demander des explications
s'il ne comprend pas».
La soif de voir du pays, combinée à la «cherté»
de la vie en France, ont fait en sorte que la jeune femme a mangé
des pâtes (sans sauce) plus souvent qu'à son tour, en plus
de se taper l'aller-retour à l'Université à pied, quand
l'argent manquait pour prendre le bus. Pourtant, Claude Beauregard n'a aucunement
souffert de ces nombreuses journées où son estomac criait
famine, toute à la joie de pouvoir marcher dans les rues de Lyon
et de «vivre» en France.
«Au pire, je savais que je pouvais prendre l'avion n'importe quand
et rentrer au Québec», lance la jeune femme qui, cinq mois après
son retour, estime avoir développé davantage de tolérance
et de respect envers les gens. Aujourd'hui étudiante à l'École
nationale d'administration publique (ÉNAP), Claude Beauregard se
dirige en gestion de projets de coopération internationale et a bien
l'intention de faire son chemin dans la vie.
Encore des pâtes
Au retour de son stage en droit à l'Université Sophia Antipolis
de Nice, Manon Harvey s'est sentie un peu comme une duchesse du carnaval
à la fin de son règne: la tête remplie de belles images
et de rencontres enrichissantes, elle avait - et a encore - la nostalgie
d'un ailleurs perdu. Et quand cet ailleurs perdu s'appelle la Côte
d'Azur, le retour à la vie quotidienne s'avère peut-être
un peu plus difficile.
«Tout a été magnifique», dit simplement Manon Harvey,
qui a étudié - à toutes fins pratiques - le droit international
privé sur les bords de la Méditerranée, de janvier
à juin dernier. Ne possédant aucune notion dans cette discipline,
elle a dû en apprendre le b-a ba, en compagnie d'étudiants
de quatrième année, elle qui en était seulement à
sa deuxième année d'études à la Faculté
de droit de l'Université Laval. Un défi qu'elle a relevé
avec brio, supportée en cela par des professeurs plutôt compréhensifs
envers les étudiants étrangers.
Demeurant à Antibes, un port de plaisance située non loin
de Nice, la jeune femme logeait dans un hôtel de thalassothérapie
pour touristes bien nantis convertie en résidence d'étudiants
durant la saison morte. Avec un loyer mensuel équivalent à
800 $, Manon Harvey avoue (elle aussi) que les spaghettis, macaronis et
autres pâtes n'ont plus de secrets pour elle. En fait, l'argent économisé
sur la nourriture a servi à la visite des grandes villes européennes
dont la seule évocation la plonge dans l'extase: Rome, Genève,
Munich, Berlin, Amsterdam, Vienne, pour ne nommer que celles-là.
«Je reviens avec un petit endettement mais l'expérience constitue
un énorme investissement, rapporte-t-elle, faisant référence
à cette assurance nouvelle qui l'habite depuis son retour au Québec.
Ainsi, dès l'hiver prochain, Manon Harvey quittera à nouveau
les bancs de l'Université Laval pour ceux de l'Université
Western Ontario, à Toronto, où elle effectuera un échange
de droit civil avec ses compatriotes canadiens. Son rêve serait d'aller
étudier en Allemagne, un pays qu'elle affectionne particulièrement.
Chose certaine, son séjour en France l'a transformée: «J'ai
le goût d'entreprendre toutes sortes de projets et surtout, de les
réussir.»
Five o'clock beer
En deuxième année d'administration, Philippe Canac-Marquis
a choisi d'étudier en l'Angleterre parce que ce pays l'attirait,
tout simplement. Parfaitement bilingue au départ, il n'a pas éprouvé
trop de difficultés à s'intégrer aux étudiants
anglais, bien qu'il ait trouvé ces derniers un peu froids. «L'enseignement
est axé sur le travail personnel, explique-t-il. S'il y a beaucoup
d'échanges lors des ateliers pratiques, les étudiants assistent
aux cours magistraux dans le seul but d'avoir des exemples.»
Dans la petite ville d'Egham, Philippe Canac-Marquis résidait et
étudiait dans une ancienne demeure aristocratique, le Royal Holloway,
vivant à plein temps sur un campus dont la superficie égale
à peine le quart de celui de l'Université Laval. «En
quittant le Québec, j'avais peur d'avoir le mal du pays. Mais mes
craintes se sont vite envolées», dit le jeune homme, qui affirme
s'être facilement acclimaté aux us et coutumes anglaises, comme
celle qui consiste à se réunir autour d'une bière,
aux alentours de cinq heures de l'après-midi.
Débrouillard comme pas un, Philippe Canac-Marquis a même réussi
à se faire embaucher comme homme à tout faire sur les courts
de Wimbledon, lors des journées précédant le célèbre
championnat de tennis. «J'ai même fait un brin de causette avec
Michael Chang, dit-il en clignant de l'oeil. Faire un stage d'études
à l'étranger m'a fait prendre conscience qu'il existait autre
chose sur la terre que le Québec. L'expérience m'a également
prouvé que je possède les capacités de partir à
l'étranger et de faire ma place sans problèmes dans le monde.»
La filière japonaise
Il existe, en marge de tout ce qui se nomme programmes institutionnels d'échanges,
accords cadre et ententes de collaboration, un réseau international
underground très actif, via lequel transitent bon nombre d'étudiants
sans laisser de traces dans les statistiques officielles. Ce réseau,
on ne peut plus légal, repose sur des bases vieilles comme le monde:
les contacts personnels.
Christine Michel et Jean-Éric Tremblay viennent de tirer profit de
ce réseau tentaculaire aux ressources inépuisables pour lever
l'ancre à destination du pays du Soleil levant où ils poursuivront
leurs recherches en océanographie. Tous deux diplômés
au doctorat dans l'équipe de Louis Legendre, du Département
de biologie, ils sont partis, début octobre, faire des études
post-doctorales au Japon dans des laboratoires dirigés par des chercheurs
qu'ils ont connu grâce à des contacts.
L'histoire commence en 1988 lorsque des océanographes japonais viennent
travailler à la baie d'Hudson avec une équipe du GIROQ (Groupe
interuniversitaire de recherches océanographiques du Québec).
Cette collaboration informelle dure trois ans et conduit, en 1991-1992,
à un projet Canada-Japon, auquel participent les chercheurs Louis
Legendre, Louis Fortier et Grant Ingram. Les travaux de recherche que Christine
Michel entreprend alors sur les algues de glace l'amènent à
passer deux mois à Resolute dans le nord canadien, puis deux mois
au nord de l'île d'Hokkaido, en compagnie de chercheurs japonais.
Pendant la rédaction de sa thèse, un chercheur japonais, qu'elle
a connu lors de ces expéditions, lui apprend l'existence d'un organisme,
la Japanese Society for the Promotion of Science, qui décerne des
bourses post-doctorales à des étudiants étrangers qui
veulent étudier au Japon. «Chercher un endroit pour faire un
post-doc, c'est comme chercher un emploi, dit Christine Michel. On envoie
des demandes un peu partout, sans nécessairement y croire, dans l'espoir
d'être accepté quelque part. J'ai donc fait une demande au
Japon comme j'en ai fait à bien d'autres endroits.»
Pendant ce temps, un très bon contact de Christine Michel, Jean-Éric
Tremblay, son compagnon de vie en fait, termine une année d'études
post-doctorales en Allemagne. Désireux de poursuivre des recherches
en océanographie mais aussi de se rapprocher de sa bien-aimée,
il adresse lui aussi une demande d'aide financière au même
organisme japonais. Lorsque Christine Michel reçoit confirmation
qu'elle vient d'obtenir une généreuse bourse d'une année,
avec possibilité de renouvellement, l'option Japon devient soudainement
plus sérieuse. Quand Jean-Éric Tremblay reçoit lui
aussi la même réponse, leur décision est aussitôt
prise: Japon, les voilà! «C'est une aventure sur le plan scientifique
mais en plus c'est une aventure sur le plan personnel qui nous attend»,
racontait un Jean-Éric Tremblay fébrile à quelques
jours du départ.
Au cours des prochains mois, Christine Michel poursuivra des travaux sur
la sédimentation des algues de glace dans l'équipe du professeur
Mitsuo Fukuchi de l'Institut national de recherche polaire près de
Tokyo. De son côté, Jean-Éric Tremblay s'intégrera
aux chercheurs du laboratoire du professeur Satoru Taguchi à l'Université
de Soka où il travaillera sur la dynamique de la production de phytoplancton
dans la mer d'Okhotsk.
À ceux qui veulent profiter à plein du potentiel de la filière
contacts personnels, les deux océanographes n'ont qu'un conseil:
renseignez-vous sur les sources de financement disponibles dans le pays
où vous souhaitez étudier. Les contacts, c'est bien utile,
mais, ici comme ailleurs, l'argent est le nerf de la guerre.
Les profs aussi
Chaque année, l'École de service social de l'Université
Laval reçoit des professionnels ou des professeurs venus de pays
étrangers compléter leur formation le temps d'un stage ou
d'un cycle universitaire. Et chaque année également, des professeurs
de l'École partent dispenser des cours dans d'autres universités
ou des écoles de travailleurs sociaux. Les nombreux liens tissés
entre des enseignants venus d'horizons très différents au
fil du temps témoignent de la volonté d'ouverture de l'École,
qui profite de ces échanges pour enrichir son savoir au contact d'autres
cultures. Rencontre avec quelques uns de ces ambassadeurs d'un autre type
de service social.
Maimouna Sourang s'intéresse aux méthodes d'intervention en
groupe, Magloire Couribaly recherche des critères d'évaluation,
tandis que Foumia Bou-Assy veut acquérir un doctorat. Tous trois
viennent de pays différents, mais qui chacun ont une entente avec
l'École de service social de l'Université Laval, une des rales
universités francophones dans le monde à posséder un
troisième cycle d'études dans ce domaine spécifique
des sciences sociales. Les premiers échanges formalisés ont
commencé avec le Liban en 1978, car plongée dans l'horreur
de la guerre civile, l'École de formation sociale de Beyrouth avait
besoin d'outils pour apprendre à bâtir un réseau communautaire.
Puis les ententes avec le Sénégal et le Chili ont suivi, tandis
que d'autres accords se préparent, avec la Côte d'ivoire et
la Tunisie.
«Au Sénégal, l'aide est plus individuelle, remarque Fatou
Sarr, professeure à l'École nationale des travailleurs sociaux
spécialisés de Dakar. En étudiant à l'Université
Laval, je constate que les techniques d'intervention de groupe font l'objet
d'une importante recherche universitaire ici. L'approche française
se contente plutôt de fixer l'analyse théorique, sans s'intéresser
à la pratique». Si les échanges entre le Sénégal
et l'École de service social concernaient surtout à ses débuts
la formation de praticiens et de petites recherches de terrain, la collaboration
a évolué peu à peu. Ainsi Fatou Sarr prépare
un doctorat, tandis que sa compatriote Maimouna Sourang rentre au pays avec
une maîtrise. Elle a travaillé, pour sa part, sur l'encadrement
des femmes pauvres qui réussissent leur intégration sociale.
Même si ces professeurs ou ces formateurs viennent enrichir leurs
connaissances en suivant des cours ici, ils doivent nécessairement
adapter l'enseignement à la réalité de leur patrie
d'origine. Ainsi, Magloire Coulibaly, directeur adjoint de l'Institut national
de formation sociale à Abidjan, profite d'un séjour de trois
mois à l'École de service social pour s'intéresser
à l'évaluation des programmes sociaux, une méthodologie
qui n'existe pas encore au Sénégal, même si l'action
sociale y est pratiquée depuis trente ans. «L'intervention de
groupe revient moins cher que l'intervention individuelle, une bonne raison
pour l'adopter. Pourtant, les critères de constitution d'un groupe
de personnes qui ont besoin d'aide diffèrent de ceux en vigueur ici,
dit-il. Chez nous, il faut, par exemple, prendre en compte l'appartenance
aux différences ethnies qui forment des castes.» Tout comme
le Sénégalais, le tunisien Lassaad Labidi vient profiter de
l'expérience québécoise, pour transmettre ensuite les
fruits de sa recherche aux travailleurs sociaux de son pays.
«La gérontologie demeure encore un domaine peu étudié
en Tunisie, remarque cet enseignant à l'Institut national du travail
et des études sociales de l'Université de Tunis. Pourtant
avec la déchirure des solidarités traditionnelles dans certaines
familles, le soin aux personnes âgées devient parfois un problème.»
Il veut donc profiter de son doctorat pour comprendre comment venir en aide
à ces familles vulnérables. Bon nombre des professeurs qui
entreprennent un stage ou des études plus approfondies à l'Université
Laval cherchent donc à effectuer un transfert de connaissances en
les adaptant à leur culture. Ainsi, le nouveau programme de maîtrise
du Département de service social de l'Université de Concepcion,
au Chili, s'appuie en bonne partie sur des cours dispensés par des
professeurs de l'École de service social.
«Nous essayons avec les enseignants de l'Université Laval d'adapter
les contenus des cours en relation avec la politique sociale à la
réalité chilienne, explique la directrice du programme, Patricia
Aguilera-Fierro. Nous nous intéressons beaucoup au développement
communautaire, ainsi qu'à des thèmes sociaux comme la violence
familiale ou la décentralisation.» Pour soutenir ce domaine
d'études en plein émergence depuis le retour de la démocratie,
l'École de service social envoie régulièrement des
professeurs enseigner à l'Université de Concepcion, avant
d'accueillir prochainement les titulaires de la maîtrise en service
social qui voudront poursuivre au doctorat. L'entente avec ce département
dépassera donc bientôt le simple transfert d'expertise.
Textes: Renée Larochelle, Jean Hamann, Gabriel Côté,
Pascale Guéricolas