3 octobre 1996 |
La médiatisation des homicides conjugaux occulte un phénomène beaucoup plus répandu: la violence psychologique en milieu familial
Le 9 septembre, deux drames familiaux frappaient le Québec de plein fouet: dans le premier cas, un père de famille de Ste-Foy abattait ses deux enfants avant de s'enlever la vie, tandis qu'à Baie-Comeau, un autre homme poignardait à mort son fils et abattait son ex-conjointe, avant de retourner l'arme contre lui.
Selon Francine Ouellet, directrice du CRI-VIFF (Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence faite aux femmes) à l'Université Laval, les médias rapportent largement les cas de suicides et de meurtres, alors qu'ils devraient également s'attarder sur la violence familiale tout court. «Les homicides conjugaux et les infanticides concernent finalement une minorité de gens, signale Francine Ouellet. On a tendance à négliger les femmes et les enfants qui souffrent de violence psychologique, par exemple. Et ils sont légion.»
En effet, les chifres sont alarmants: le quart des Québécoises mariées ou en union libre, ou l'ayant déjà été, ont subi à un moment ou à un autre de leur vie de la violence conjugale. Est-ce à dire que la violence conjugale est en hausse? «Avant, on lavait notre linge sale en famille, rétorque Francine Ouellet. Les gens en parlaient, mais dans le privé. Aujourd'hui, non seulement on la dit plus, mais on la tolère moins.»
Phénomène quasi invisible jusqu'au milieu des années 1970, la violence conjugale a été en quelque sorte médiatisée par les groupes féministes. À travers la lutte pour l'égalité des sexes et la mise sur pied de maisons d'hébergement pour les victimes notamment, la violence conjugale est aujourd'hui considérée comme un véritable problème social auquel il est urgent de remédier. Depuis décembre 1995, le gouvernement du Québec a créé une politique d'intervention en matière de violence conjugale, qui devrait, selon Francine Ouellet, entraîner des actions plus efficaces pour enrayer le phénomène.
Divergences et différences
En 1994, une équipe de chercheurs et de chercheuses du CRI-VIFF
formée de Francine Ouellet, Jocelyn Lindsay, Michèle Clément
et Ginette Beaudoin, a fait une enquête auprès d'hommes fréquentant
des organismes de trois régions du Québec venant en aide aux
conjoints violents, ainsi qu'auprès de leurs conjointes. Résultat:
les hommes et les femmes ne partagent pas la même vision quant aux
facteurs expliquant les comportements violents. Si les femmes considèrent
que ce sont les caractéristiques personnelles d'un individu - le
fait, par exemple, qu'il se sente incapable ou frustré - qui influence
son devenir violent, les hommes, eux, imputent leur comportement à
des causes comme le manque d'argent, l'alcool ou le comportement de leur
femme.
Par ailleurs, si les hommes et les femmes s'entendent à peu près également pour dire que le harcèlement, la simulation de l'indifférence, la dégradation, la bouderie, la surresponsabilisation/ déresponsabilisation et l'intimidation constituent des comportements violents, le consensus est moins grand lorsqu'il s'agit, entre autres, de contrôle, de menace et de blâme, que les femmes rapportent dans des proportions nettement supérieures à celles des hommes. Enfin, l'agression des enfants et la manipulation constituent des comportements identifiés uniquement par les femmes interrogées. D'autre part, les divergences entre les sexes se révèlent très importantes en ce qui concerne la réaction des femmes durant les actes de violence. Tandis que les premières disent se «taire», se «refermer» et «acheter la paix», les hommes ont plutôt l'impression, eux, que leur conjointe se «rebelle», se «fâche» et «pique des crises».
À bas les stéréotypes
Selon les chercheurs, les résultats obtenus fournissent certaines
pistes d'intervention, comme la question de la responsabilisation chez les
hommes, par exemple. Il serait aussi important d'insister sur les perceptions
stéréotypées que ces hommes ont du rôle des hommes
et des femmes, quand on sait que pour dénigrer sa conjointe, l'homme
s'en prendra le plus souvent à son rôle de mère (prendre
soin des autres), d'épouse (nourriture, tâches ménagères)
et d'amante (son corps).
«Dans le futur, nous comptons nous pencher sur d'autres clientèles aux prises avec des problèmes de violence psychologique, annonce Francine Ouellet. Parmi ces clientèles figurent les gais, les lesbiennes, les personnes handicapées ou encore les parents et leurs enfants. Nous souhaitons aussi explorer la question des attitudes et des préjugés chez les professionnels de la santé et des services sociaux appelés à intervenir dans des situations de violence, d'abus et de négligence.»
Fondé en 1992, le CRI-VIFF regroupe en son sein des chercheuses et des chercheurs de milieux universitaires et d'horizons disciplinaires multiples, de même que des intervenants de différents milieux de pratique. Ses activités s'articulent autour de trois axes: la compréhension de la violence, ses déterminants et enfin, l'analyse et l'évaluation des interventions. Outre l'Université Laval, ses différents partenaires sont la Fédération des CLSC, Relais-femmes, l'Université de Montréal et l'Université Mc Gill.