3 octobre 1996 |
Certaines infirmières éprouvent encore crainte et malaise à l'idée de devoir prodiguer des soins à domicile à des patients homosexuels ou sidatiques, révèle une étude réalisée à l'École des sciences infirmières. Dans le dernier numéro de la revue scientifique Aids Care, Lise Vermette et Gaston Godin, du Groupe de recherche sur les aspects psychosociaux de la santé, font connaître les principaux résultats d'une enquête portant sur les facteurs influençant l'intention de prodiguer des soins à ces catégories de patients chez un groupe d'infirmières pratiquant dans les CLSC de la région de Québec.
Les chercheurs ont invité les infirmières à compléter un questionnaire confidentiel et anonyme dans lequel elles devaient signifier leur degré d'approbation à divers énoncés touchant une assignation chez un patient fictif. Seules l'orientation sexuelle (homo ou hétéro) et la maladie (sida ou leucémie) différaient d'un questionnaire à l'autre, de sorte qu'un des quatre scénarios suivants leur était présenté: homo-sida, homo-leucémie, hétéro-sida, hétéro-leucémie. Le préambule de chaque questionnaire décrivait, en 217 mots bien comptés, le cas d'un patient nécessitant des soins réguliers à domicile, notamment une prise de sang et le traitement d'une plaie péri-anale. «Ces deux interventions ont été choisies parce qu'elles étaient plausibles pour chacune des maladies», explique Gaston Godin.
Les infirmières participantes, âgées en moyenne de 42 ans, avaient une vingtaine d'années d'expérience en soins infirmiers. Plusieurs d'entre elles avaient déjà soigné des homosexuels (83%), des leucémiques (82%) ou des sidatiques (70%). Malgré ce vécu et en dépit des études scientifiques rapportant de très faibles risques de contamination professionnelle chez les travailleurs de la santé, certains facteurs déterminants dans l'intention de prodiguer des soins à domicile étaient influencés par le type de maladie et par l'orientation sexuelle du patient.
La plupart des infirmières disent qu'elles accepteraient de soigner les patients, le score moyen d'intention se situant à près de 2,1 sur une échelle allant de -3 à +3. Cependant, quatre facteurs principaux expliquent la variance dans l'intention de donner des soins à domicile: la perception de contrôle sur la situation (le choix d'accepter ou non l'assignation et le sentiment de posséder les ressources psychologiques et professionnelles pour bien donner les soins), les principes personnels (le sentiment d'obligation morale d'apporter des soins), l'attitude (l'évaluation positive ou négative du travail à faire) et l'homophobie. Le sentiment d'obligation morale de prodiguer des soins est moins élevé lorsque les patients sont homosexuels, observent les deux chercheurs, ce qui dénote une certaine forme d'homophobie. D'ailleurs, un test inclus dans le questionnaire a révélé que 23,5 % des répondantes ont obtenu des scores leur conférant un certain degré d'homophobie.
Les infirmières ne sont pas seules à faire montre d'une certaine appréhension face aux soins des sidatiques. Une enquête réalisée en 1992 par Gaston Godin et quatre autres chercheurs avait révélé que 18% des médecins québécois préféraient référer les patients séropositifs à un collègue plutôt que de les traiter eux-mêmes. Tout comme chez les infirmières, l'intention de soigner un patient était étroitement liée au sentiment d'efficacité personnelle du médecin et à ses principes personnels.
Selon Gaston Godin, le nombre de personnes atteintes du sida qui exigeront des soins à la maison devrait croître au cours des prochaines années parce que la maladie n'est pas encore sous contrôle et que la réforme des soins de santé consacre le retour en force des soins à domicile. «Les interventions de l'infirmière, considérés par certains comme des gestes techniques, sont, particulièrement dans un contexte de soins à domicile où l'infirmière est livrée à elle-même, des gestes professionnels qu'elle pose en exerçant son jugement et ses connaissances. Il est important de bien comprendre les facteurs qui peuvent influencer la qualité des soins dispensés à la maison par les infirmières et d'adapter en conséquences les programmes de formation, incluant la formation continue, afin de mieux les informer, de mieux les préparer et de leur enseigner les connaissances requises pour répondre adéquatement aux besoins des patients homosexuels et sidatiques.»