3 octobre 1996 |
«Une religion des chrétiens qui se couperait du dialogue interreligieux pourrait-elle encore se dire chrétienne?»
Les États Généraux sur l'éducation donnent actuellement l'occasion à des individus et à des groupes de secouer la cage assez fort à propos de l'école au Québec. Au regard de la confessionnalité, divers rapports contribuent à dévoiler des frustrations radicales relatives au statut confessionnel des écoles. D'autres, ressentant le poids des menaces par rapport à un système auquel ils sont habitués, soulèvent haut et fort les boucliers apologétiques. Tout cela est fort compliqué et délicat, l'affectivité étant très engagée dans ce débat pour lequel il faut trouver une issue raisonnable. On ne peut, en effet, prétendre que les problèmes vont s'épuiser par eux-mêmes et on ne peut pas davantage se contenter de solutions qui donneraient dans la complaisance. Mais comment tracer des voies qui respectent à la fois les libertés de chacun, sans toutefois donner libre cours à n'importe quoi ni au relativisme absolu?
Oui, il est vrai que la plupart des écoles au Québec sont confessionnelles, catholiques ou protestantes. Cet état de fait incombe en grande partie à un article de l'Acte constitutionnel du Canada de 1867. Cet article stipule, en effet, que les catholiques et les protestants des villes de Québec et de Montréal ont droit à un système scolaire confessionnel. Un peu d'histoire sur le système scolaire québécois de cette seconde moitié du XIXe siècle laisse entrevoir combien les évêques du temps tout comme les représentants des communautés protestantes ont défendu avec vigueur certaines prérogatives en matière d'éducation. Face à l'Europe de l'époque, et particulièrement à la France, à l'Italie et à l'Allemagne aux prises avec d'épineuses crises Église-État en matière scolaire, ce Québec d'alors semble être devenu un territoire rêvé pour la sauvegarde de certains idéaux et de certaines modalités d'organisation chers aux responsables religieux.
Mais tout cela a beaucoup évolué. Au contact d'une modernité qui a concouru à des développements phénoménaux sur les plans de l'expression de la pensée, du développement technologique, des soins de santé, des communications de toutes sortes, les façons de penser et de gérer ci-haut évoquées ont volé en éclat. Les gouvernements ont dû apprendre à gérer différemment. Les Églises ont dû apprendre à parler autrement. Or, comme on le sait de mieux en mieux grâce aux sciences de l'éducation, l'apprentissage est un processus dynamique qui évolue constamment. Bien sûr, à la condition de demeurer en vie! Ceci est autant vrai pour les institutions que pour les personnes.
Une inquiétude majeure, rarement formulée, resurgit néanmoins du fin fond des individus et de certains groupes: comment organiser son existence et la transmission de nos valeurs et de notre culture en dehors des intransigeances? Car une telle remise en question va beaucoup plus loin qu'on ne l'imagine à première vue, dans la mesure où les absolutismes sont plus ou moins consciemment associées à l'idée de «Vérité», et la Vérité rejoint chacun dans son expérience foncièrement religieuse. Voilà le hic d'un problème qui a des dimensions beaucoup plus fondamentales que ce qu'on pourrait croire de prime abord. Que poursuit-on en vérité, ou plutôt quelle vérité poursuit-on dans le débat actuel sur l'avenir du système scolaire du Québec.
Personne ne niera aujourd'hui que le vécu religieux des personnes et des populations a pris des formes variées. Les conceptions de la vie présente et de l'au-delà, les rapports aux autorités familiales et sociales, les mentalités relatives au bien commun et aux droits individuels, la prise en charge de la responsabilité morale, tout cela fait à la fois partie d'un projet de société que se donne une population et tout cela est concerné par le système d'éducation qu'elle se donne. Dans le contexte actuel, il serait insensé de prétendre répondre aux attentes des personnes et des groupes par le biais d'approches uniformes et exclusives, que celles-ci soient promues par des Églises, des groupes syndicaux ou des mouvements laïcs. En revanche, le refus d'emprunter des voies intransigeantes ne doit pas non plus nous conduire à des approches relativistes ou syncrétiques. Le relativisme et le syncrétisme, pas plus que l'absolutisme, ne contribuent à éduquer des hommes et des femmes aptes à se situer comme personne dans leur culture propre et à entrer en relation avec d'autres qui ont également des liens d'appartenance qui contribuent à leur réalisation.
Le pluralisme religieux fait aujourd'hui partie de nos sociétés. Et ce pluralisme est bon, non pas parce qu'il est pluraliste, mais parce qu'il signifie une pluralité de voies empruntées pour permettre aux individus de faire l'expérience de l'au-delà, de rencontrer Dieu et de réaliser leur existence en référence avec cette voie. Évidemment, les chrétiens ont peut-être besoin de se donner une théologie du pluralisme religieux. Une religion des chrétiens qui se couperait du dialogue interreligieux pourrait-elle encore se dire chrétienne? Mais peut-on prétendre entrer dans un tel dialogue de façon constructive si à l'avance on se montre imperméable à quelque changement que ce soit? L'ensemble des débats qui déferlent actuellement sur le Québec à propos de l'éducation en général et de la confessionnalité en particulier soulèvent des interrogations passionnées qui méritent un traitement raisonnable. Leur importance et leur signification sont exigeantes et incontournables pour comprendre d'où on vient et où on va.