3 octobre 1996 |
Réalisée essentiellement à des fins de production
d'hydro-électricité, la construction du barrage des Trois
Gorges, en Chine, représente l'un des projets les plus ambitieux
de l'histoire de l'humanité, en même temps que l'un des plus
contestables. En plus de causer d'immenses pertes en terres agricoles et
le déménagement forcé de millions de Chinois, la réalisation
de ce projet bouleversera l'écoulement des eaux, et cela sans que
des mesures n'aient été prévues pour en contrer les
effets négatifs.
C'est l'opinion qu'a émise Rodolphe De Koninck, professeur au Département
de géographie, lors du colloque «Fleuve et patrimoine»
qui a eu lieu les 30 septembre et 1er octobre au Musée de la civilisation.
Selon le chercheur, l'une des caractéristiques les plus contestables
de ce projet impliquant le Chang Jiang - le plus grand fleuve de Chine -
consiste «dans l'ignorance ou la sous-estimation, feinte ou réelle,
parmi les dirigeants chinois, de la puissance de la nature, de sa capacité
à bousculer, voire à renverser l'oeuvre des humains».
Ailleurs dans le monde, les eaux d'autres grands fleuves comme le Rhin,
en Allemagne, ou le Gange, en Inde, ont été canalisées
ou détournées afin de satisfaire des besoins en hydro-électricité
exigeant des aménagements peu compatibles avec ceux nécessaires
à l'agriculture et aux transports, a rappelé Rodolphe De Koninck:
«Certains grands fleuves, comme par exemple la Volga, en Russie, sont
de véritables boulevards industriels, jalonnés de réservoirs,
de barrages, de centrales hydro-électriques, de grandes villes industrielles
et portuaires et même de raffineries.»
Estimant qu'on ne joue pas impunément avec la nature, le conférencier
a dit craindre pour l'avenir des fleuves, «ces témoins immenses
de l'humanité». «Est-il possible qu'ils soient aujourd'hui
confinés au rôle, de plus en plus exclusif et de toute évidence
suicidaire, de convoyeurs, voire de fossoyeurs des excès de cette
même humanité?»
Au tournant de l'histoire
Professeur au Département de géographie, Serge Courville croit
qu'on peut parler de crise pour les fleuves, si on considère leurs
problèmes environnementaux actuels et les difficultés du transport
fluvial prévalant dans nore économie moderne. À l'inverse,
il estime que cette crise peut être résolue, en quelque sorte,
par la mise en place de modes plus intégrés de gestion et
de mise en valeur, conçus dans le respect de l'environnement.
Il a ainsi souligné que le fleuve Saint-Laurent était aujourd'hui
à un tournant de son histoire. Plus que par des projets à
caractère exclusivement économique, sa revitalisation doit
passer par des fonctions plus proches des «solidarités d'autrefois»,
alors que le fleuve était vraiment au coeur de la vie des gens, que
ce soit pour le travail, le transport ou encore les loisirs. «Cela
ne veut pas dire d'ignorer les défis posés par la mondialisation
des marchés, a-t-il toutefois noté, mais cela incite à
élargir les perspectives, pour instaurer un plus grand équilibre
entre l'économique et le social, entre les objectifs de mise en valeur
et de conservation.»