26 septembre 1996 |
Deux études montrent que les cols blancs surmenés, les cols bleus disposant de peu de liberté de décision, les professeurs d'université et même les rédacteurs comptent parmi les travailleurs à risque côté santé mentale.
Une étude menée auprès de 2889 cols blancs de la région de Québec révèle que près de 28% des répondants éprouvent un niveau de détresse psychologique élevé. Les personnes qui occupent un poste exigeant sur le plan de l'effort intellectuel, de la quantité de travail à produire et des contraintes de temps à respecter et qui, en plus, disposent de peu de latitude décisionnelle courent 2,5 fois plus de risques que leurs collègues d'avoir un niveau élevé de détresse psychologique.
Les chercheurs Renée Bourbonnais (ergothérapie), Chantal Brisson (médecine sociale et préventive), Jocelyne Moisan (pharmacie) et Michel Vézina (médecine sociale et préventive) en arrivent à ces conclusions après avoir analysé les réponses produites par des cols blancs à un questionnaire évaluant d'une part les exigences, la latitude décisionnelle et le soutien social au travail et, d'autre part, le niveau de détresse psychologique du répondant. La détresse psychologique est évaluée à l'aide d'un questionnaire portant sur la présence et l'intensité d'agressivité, d'anxiété, de symptômes dépressifs ou de problèmes cognitifs au cours de la semaine qui précède. Lorsque le score obtenu à ce questionnaire dépasse le seuil correspondant au 80e percentile de la population (i.e. quatre personnes sur cinq ont un score plus bas), les chercheurs estiment que le répondant a un niveau élevé de détresse psychologique. «Les gens qui appartiennent au groupe de détresse psychologique élevée sont plus à risque de recevoir un diagnostic de maladie mentale que ceux qui se retrouvent dans l'autre 80%», explique la chercheure Jocelyne Moisan.
Les résultats de cette recherche, publiés dans le Scandinavian Journal of Work Environment and Health, viennent s'ajouter à d'autres études réalisées dans le passé sur cette question. En 1980, une étude menée dans la région de Québec avait conclu que 19% des cols blancs avaient des problèmes de santé mentale se manifestant notamment par de l'insomnie, de la fatigue, de la nervosité, des symptômes dépressifs et des problèmes psychiatriques. L'enquête de Santé-Québec 1992-93 révèle pour sa part qu'entre 18 et 25% des travailleurs québécois sont victimes de détresse psychologique. Mince consolation pour tous ces travailleurs, la détresse psychologique serait encore plus élevée chez les personnes sans emploi.
Emplois à risque
Les emplois présentant des risques d'atteinte à la santé mentale ne sont pas l'exclusivité des cols blancs. Les chercheurs Michel Vézina (médecine sociale et préventive) et Suzanne Gingras (Centre de santé publique de Québec) ont récemment analysé les données de l'enquête Santé-Québec 1987 afin d'identifier les emplois associés à un niveau de détresse psychologique élevé ou à un état de bien-être psychologique faible, deux facteurs favorisant l'apparition de problèmes de santé mentale. Rapportés plus tôt cette année dans la Revue canadienne de santé publique, leurs résultats, obtenus à partir d'un échantillon de quelque 8500 personnes, identifient les emplois suivants comme étant particulièrement à risque: certains métiers de la construction, les professeurs d'université, les rédacteurs, les conducteurs de véhicules transportant des passagers, les travailleurs du textile, de la fourrure et du cuir, les travailleurs des services de logement, les préposés aux services des aliments et boissons et, finalement, les opérateurs sur machines de mécanographie.
Parmi les populations à risque, observent les chercheurs, il convient de noter «le nombre appréciable de cols bleus et de travailleurs peu qualifiés du secteur des services traditionnels où la vaste majorité du personnel est composée de jeunes et de femmes, et chez qui on a montré, au Québec, une autonomie décisionnelle significativement plus faible comparativement aux autres travailleurs.» Par ailleurs, les deux chercheurs estiment que l'état de bien-être psychologique faible rencontré chez les professeurs d'université peut être causé par de longues semaines de travail auxquelles s'ajoutent les pressions qu'ils subissent pour publier davantage et pour remplir des tâches administratives. Quant aux risques de détresse psychologique élevée rencontrés chez les rédacteurs, les chercheurs les relient aux contraintes de temps auxquelles ces personnes doivent faire face en raison des heures de tombée récurrentes et implacables. «L'Institut américain de stress classe le journalisme parmi les dix emplois les plus stressants», notent-ils au passage.