26 septembre 1996 |
Au moment où le Fil l'a rencontrée à son bureau,
Chantal Masson- Bourque était plongée jusqu'au cou dans la
partition d'un service sacré d'Ernest Bloch, oeuvre qu'elle prépare
actuellement avec ses étudiants de la classe de chant choral de l'École
de musique. Comme la dame ne fait jamais les choses à moitié,
elle s'est mise tout naturellement à l'étude de l'hébreu,
langue dans laquelle l'oeuvre a été écrite. «Si
l'intelligence du texte n'est pas dans le chant, l'auditeur va s'ennuyer,
assure Chantal Masson-Bourque. D'où l'importance de savoir exactement
ce que chaque mot signifie.»
Le perfectionnisme et l'engagement dont fait preuve cette professeure de
l'École de musique ont d'ailleurs été soulignés
récemment, alors que l'Association des chefs de choeurs canadiens
lui a décerné le Prix national de chant choral 1996, reconnaissant
ainsi sa contribution exceptionnelle et soutenue dans ce domaine. Avec une
carrière sonnant la trentaine entièrement consacrée
à l'amélioration de la formation musicale, on s'attendrait
implicitement à ce que Chantal Masson-Bourque se lance dans de grands
discours sur la musique, ou qu'elle nous dise sur un ton théâtral
que «la musique est la grande affaire de sa vie, » par exemple.
Eh bien non: quand on lui demande de parler de son art, Chantal Masson-Bourque
esquisse un léger sourire, tandis qu'elle explique - en battant l'air
de ses belles mains - que «si la musique enrichit l'existence, c'est
la vie, avant tout, qui nourrit la musique. S'il n'y a rien à côté,
tout cela est un peu vain. Mais chacun peut faire de la beauté avec
sa vie, s'il chante.» De la même façon, n'attendez pas
qu'elle vous décrive de long en large sa fructueuse carrière
de musicienne, de chef de choeur et de professeure de musique. Tout au plus
en tire-t-elle les grandes lignes. Pour cette passionnée de la vie,
seuls comptent en effet le présent et le futur: «C'est pour
cette raison que les fausses notes n'ont pas d'importance.»
La musique du hasard
Bardée de diplômes et de prix de musique, cette Québécoise
d'adoption est devenue chef de choeur par hasard, un jour qu'elle faisait
la queue comme tout le monde au bureau de poste, son alto dans les bras.
«En 1959, j'étais altiste de l'Orchestre de chambre de la Radio
française à Nice, explique-t-elle. C'est alors que mon voisin
de file m'a demandé si j'étais intéressée à
devenir chef de choeur. J'ai répondu par l'affirmative et les événements
se sont enchaînés.» Acquiérant sa formation de
chef de choeur au sein du Mouvement À Coeur Joie, Chantal Masson-Bourque
est nommée instructeure internationale de cet ensemble renommé
en 1966. Cette même année, elle accède au titre d'instructeure
pour la direction chorale dans l'Alliance chorale canadienne, sa réputation
d'excellence ayant traversé l'Atlantique.
Engagée comme professeure à l'École de musique en 1964,
elle y crée des cours de direction chorale, d'esthétique musicale,
d'histoire de la musique, de chant choral, d'alto et de musique de chambre.
Nommée successivement responsable du chant choral (1978-1995) et
de l'enseignement des cordes (1978-1992), Chantal Masson-Bourque exerce
aussi la fonction de coordonnatrice de l'enseignement instrumental, de 1981
à 1987. Depuis une dizaine d'années, elle poursuit notamment
des recherches en didactique instrumentale, toujours dans cet esprit d'améliorer
la qualité de son enseignement.
La voix humaine
«Jusqu'à présent, la vie s'est chargée de bien
me diriger, dit-elle simplement. En fait, j'ai une énorme reconnaissance
envers le Québec, où on m'a donné la possibilité
de laisser aller toute ma créativité.» Considérant
que son rôle consiste à faire «germer l'art» chez
la personne, Chantal Masson-Bourque n'a ainsi jamais dit à un étudiant
qu'il ne possédait pas de talent, que ce soit du point de vue vocal
ou instrumental: «L'écoute exercée nous fait découvrir
les possibles et les blocages du son. À nous de dégager les
possibles qui peuvent s'accroître et de permettre aux blocages éventuels
de fondre.»
Artiste jusqu'au bout des ongles, elle croit que la voix est le lieu de
la synthèse humaine. Ayant dirigé le Choeur de l'Université
Laval durant plusieurs années, elle affirme avoir été
maintes et maintes fois habitée d'un «bonheur vibratoire»,
quand elle faisait jaillir cette source de vie qu'est la voix. «Je
n'ai pas une voix de chanteuse; je fais donc chanter les autres», blague-t-elle.
Ces activités d'enseignement ne l'ont toutefois pas empêchée
de faire de la musique et de jouer de son cher alto pour elle-même
et pour les autres. Membre du Quatuor Laval depuis sa création, en
1982, elle dit adorer faire de la musique de chambre «parce qu'on est
toujours en train de s'adapter»: «Mon plus grand bonheur, c'est
quand il n'y a plus de barrière entre le corps et l'esprit, lance
Chantal Masson-Bourque. Et la musique a ce pouvoir d'unifier les êtres.»