12 septembre 1996 |
Le type d'information affiché à l'écran influence fortement la productivité des personnes participant à des séances de remue-méninges électronique
Il y a davantage d'idées dans plusieurs têtes que dans une, mais la meilleure façon de faire travailler ces têtes ensemble ne fait pas l'unanimité. Dans certains cercles d'idéateurs, les séances de remue-méninges interactives ont la cote, en raison, croit-on, de la synergie qui se dégage du choc des idées. L'avènement de systèmes de remue-méninges électronique a donné une nouvelle dimension à ce mode d'exploration des gisements d'idées. Des chercheurs de la Faculté des sciences de l'administration (FSA), Marie-Christine Roy, Stéphane Gauvin et Moez Limayem, ont voulu creuser la question en étudiant l'impact du type d'information affiché à l'écran sur la productivité de petites équipes virtuelles utilisant des systèmes de remue-méninges électronique.
La séance des longs couteaux
Des étudiants de la FSA, regroupés en 41 équipes de cinq ou six personnes, ont participé à une séance d'idéation d'une durée de 20 minutes au cours de laquelle ils devaient imaginer le plus grand nombre d'utilisations différentes d'un couteau. «Nous avons choisi cette tâche parce qu'elle est simple et qu'elle n'entrave pas les processus que nous voulions véritablement étudier ici», explique Stéphane Gauvin.
Chacune des équipes a été soumise à l'un des trois scénarios suivants: 1) l'écran n'affiche que les idées tapées par l'utilisateur de l'ordinateur; 2) même scénario qu'en 1 sauf que chacun sait qu'une fois la séance d'idéation terminée, il pourra afficher, sur son écran, l'ensemble des idées émises par les membres de son équipe et donc évaluer sa performance; 3) l'écran affiche à la fois les idées tapées par le participant et celles de ses coéquipiers au fur et à mesure qu'ils les produisent, ce qui équivaut à une séance interactive de remue-méninges. Dans tous les cas cependant, l'anonymat des idéateurs est préservé, c'est-à-dire qu'il est impossible d'associer une idée et son concepteur.
Cogito ego sum
Les résultats, rapportés dans le dernier numéro de la revue scientifique Small Group Research, montrent que les équipes soumises au scénario 2 (idées du groupe affichées à la fin) produisent plus d'idées que les équipes des scénarios 3 et 1. «Notre étude vient s'ajouter à toutes celles qui tendent à prouver que les gens participant à des séances interactives de remue-méninges sont moins productifs que les équipes dont les membres travaillent individuellement, observe Stéphane Gauvin. Mettre des gens ensemble et les laisser s'exprimer spontanément sur un sujet en pensant ainsi créer une synergie d'où sortira plus d'idées est un mythe.»
Les chercheurs ont également noté qu'il y avait un plus faible écart dans le nombre d'idées produites par les membres des équipes en interaction continue qu'au sein des équipes soumises aux scénarios 1 et 2. «La rétroaction continue crée une sorte de nivellement de l'effort (social matching) qui fait que les individus les plus performants abaissent leur productivité en fonction de la performance du groupe alors que les participants médiocres augmentent la leur.»
À la lumière de ces résultats, quelle serait la façon idéale d'harnacher la puissance créative d'un groupe d'individus? Il n'y a pas de recette miracle, prévient Stéphane Gauvin. Les gens sont plus productifs lorsqu'ils travaillent seuls, mais ils préfèrent travailler en équipe. Il semble cependant certain que les remue-méninges à interaction continue ne produisent pas la synergie que la théorie leur prête.
Au sein des équipes virtuelles, le fait que chaque participant sache à l'avance qu'il va pouvoir comparer, à la fin de l'exercice, sa performance à celle de ses coéquipiers a une influence positive sur sa productivité. Enfin, la présence d'individus médiocres au sein d'un groupe interactif entraîne une baisse de productivité des individus les plus performants. «Le principe est simple, explique le chercheur. Si vous voulez que Donovan Bailey abaisse le record mondial du 100 mètres, il ne faut pas le faire courir contre moi mais contre les meilleurs athlètes de sa discipline.»