12 septembre 1996 |
ЫTous les scénarios possibles de répression
font le jeu du refoulement et du retardement d'une explosion encore plus
grande»
Quand par une nuit sombre de la Saint-Jean plus de deux mille laissés-pour-compte
prennent d'assaut la capitale et osent s'attaquer aux symboles nationaux
les plus chers; quand un peu plus tard à Montréal, au square
Berri, le rififi - comme on l'appelle au Devoir - éclate dans une
échauffourée parfaitement puérile, il y a certes maldonne.
Pourtant il faut dans les circonstances situer le mal, en faire l'étiologie
pour parler médicalement, avant d'entreprendre un quelconque traitement
et finalement endiguer la montée de ce poison social. Que s'est-il
passé au juste? Que se passe-t-il en fait au merveilleux monde des
inégalités sociales? Il faut donc se mettre sérieusement
au travail, non pas pour excuser l'inexcusable, mais plutôt tenter
d'expliquer ­p; à bien des égards ­p; l'inexplicable.
À première vue, ces sautes d'humeur de la part de gens manifestement
frustrés de la condition qui leur est faite témoignent d'un
manque patent d'exutoire social qui permettrait ainsi de libérer
des énergies somme toute négatives. Cette absence de lieu
favorable à la parole ­p; même blasphématoire ­p;
est doublée d'une difficulté de la part des rebelles d'exprimer
leur désaccord sur la conduite de la «chose publique».
Et, faute de moyens d'expression, cette incapacité de dire prend
évidemment la forme primaire d'une violence sauvage qui ne semble
appartenir à aucun credo particulier, sauf peut-être celui
d'exacerber le chaos social. Deux tares donc qu'il faut enrayer au plus
vite avant que le mal ne se répande en gangrène et qu'il soit
trop tard pour corriger une situation, ma foi, difficile à vivre
pour plusieurs d'entre nous.
À l'ordre du jour des solutions à envisager dans l'immédiat,
il faut à tout prix réactiver des lieux de débat véritable
un peu partout sur le territoire, notamment du côté des maisons
des jeunes et de la culture, des centres d'exposition et des musées
à vocation sociale qui peuvent ouvrir leurs espaces et leurs plate-formes
aux adeptes, malgré eux, du «no future». Ces institutions
et équipements culturels auraient d'ailleurs grand intérêt,
dans le contexte actuel, à se mettre à l'écoute des
témoignages portant sur les déboires personnels que vivent
de nombreux jeunes et moins jeunes retenus injustement au portique de la
vie. Le malaise est là et l'apaisement à cette souffrance
cruelle n'appartient pas aux mirages politiques mais plutôt à
la place réelle que chaque membre ­p; dont la somme compose la
société faut-il le rappeler ­p; doit prendre dans une collectivité
réputée saine. De plus, il serait éminemment souhaitable
que le réseau des associations ou organisations communautaires prenne
à son tour le relais de cette volonté quelque peu brouillonne
de changement afin de trouver des voies d'avenir aux problèmes qui
nous sont périodiquement renvoyés en pleine face. Deux fois
en deux mois semble suffisant, non?
L'émergence de ces lieux d'expression favoriserait la prise de parole
et permettrait ainsi aux gens laissés en marge de nos économies
de biens et d'idées de se recentrer et orienter leurs actions vers
la construction plutôt que la destruction. Avertis des effets pervers
que crée la société du spectacle telle que dénoncée
brillamment par Guy Debord, nous pourrions trouver un meilleur aménagement
social des forces en présence en évitant les pires écueils
qui nous guettent sans relâche. Battre ou débattre tel est
l'enjeu de l'heure et retenons que tous les scénarios possibles de
répression font le jeu du refoulement et du retardement d'une explosion
encore plus grande, simplement reportée à plus tard.