Zoom sur Richard Godin:la soirée des élections
Zoom sur Richard Godin
SACRÉE SOIRÉE
C'est en regardant la soirée des élections présidentielles
de 1995, en France, lors du dévoilement des résultats du premier
tour de scrutin à la télévision de France 2, que Richard
Godin a eu l'idée de se pencher sur la question du rituel régissant
la soirée électorale à la télévision.
Dans le mémoire de maîtrise qu'il a réalisé sous
la direction de Lise Garon, du Département d'information et de communication,
le chercheur conclut que le rituel de la soirée électorale
à la télévision sert à structurer «l'épreuve
de passage» qu'est l'élection d'un homme ou d'une femme à
la tête du gouvernement.
En début d'émission apparaissent les signes propres au rituel
séculier, alors que les animateurs en fixent les règles de
fonctionnement, soit la durée, les participants (journalistes, chroniqueurs,
experts, etc) et les parties, comme par exemple les débats. Dès
lors, s'installent les éléments dramatiques nécessaires
à la dynamique du rituel, tels l'attente et le suspense. Prêtant
vie au rituel, défilent différents acteurs dont l'officiant,
personnifié par l'animateur, et qui occupe la fonction suprême
«d'annoncer» les résultats et de donner la parole; le narrateur
(le journaliste) qui commente, anime, décrit, bref, livre le récit;
le sage (l'éditorialiste), le journaliste de métier, qui interprète
en quelque sorte l'histoire, lui qui possède ce recul nécessaire
à la sagesse. Est aussi présent le devin, une personne chargée
de traduire l'augure (les résultats des sondages). Enfin, le dieu-électeur,
implicitement présent tout au long du rituel, tout comme les postulants
(les candidats).
Ces acteurs évoluent également dans un cadre particulier.
«Le plateau de télévision, fermé sur lui-même
en raison de sa forme circulaire, devient un lieu intemporel déconnecté
du monde de la rue et sans lien apparent avec la vie quotidienne, explique
Richard Godin. Une vague ressemblance avec l'intérieur des vaisseaux
spatiaux vus au cinéma et à la télévision contribue
à renforcer cette impression d'éminence. Tout baigne dans
une blancheur évoquant la pureté, la clarté, le paradis.
La tribune centrale, d'où émanent les directives des animateurs,
devient l'autel du cérémonial. C'est à cette tribune
que seront sacrées les politiques et sanctifiés les résultats.»
Dans cette «liturgie politique», la phase de la présentation
des candidats concourt à la dramatisation du rituel: la télévision
nous montre par exemple le candidat Jospin en train de prendre l'apéro
sur la place du village, tandis qu'elle présente Chirac se promenant
dans les rues de sa commune de Corrèzes, tout en serrant des mains.
Tous sont vus déposant leur bulletin de vote dans l'urne. Selon Richard
Godin, la soirée électorale à la télévision
est plus qu'un spectacle; c'est un rituel nécessaire comportant des
aspects fonctionnalistes visant à combattre l'angoisse individuelle
et collective, maintenir des valeurs idéales dans la communauté
et finalement, raffermir l'unité du groupe.
RENÉE LAROCHELLE