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5 septembre 1996 ![]() |
Certains esprits malins racontent que les soirs de pleine lune, les mauvaises
herbes et les nématodes, des vers de terre microscopiques, se réunissent
dans les champs semés exclusivement de carottes pour se féliciter
de l'excellent choix du producteur. Les nématodes raffolent de cette
monoculture, tandis que les parasites végétaux se sentent
à l'abri des herbicides trop agressifs.
Mais leur âge d'or pourrait cesser bientôt. Une équipe
de chercheurs, composée notamment d'une étudiante en phytologie
de l'Université Laval, Sophie Banville, et de Gilles Leroux, professeur
à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation,
vient de mettre au point un système de rotation des cultures qui
permettrait de contrôler l'expansion de mauvaises herbes et le nombre
de vers de terre.
Depuis quelques années, les producteurs de carottes, qui ont adopté
une production spécialisée afin de pouvoir s'équiper
en serres ou en machinerie, éprouvent des difficultés à
se débarasser de certains parasites végétaux qui développent
peu à peu une résistance aux herbicides. La prolifération
de quelques espèces de mauvaises herbes très ligneuses entraînent
parfois des pertes de 10 à 20 % de la récolte, car les horticulteurs
doivent les contourner dans le champ. La monoculture de carottes dans une
terre organique cause également des problèmes d'érosion
des sols qui s'affaissent facilement et perdent leur structure, par manque
de couvert végétal. Sans compter que les nématodes,
qui piquent les carottes, se multiplient. S'ils n'utilisaient pas une arme
chimique contre les vers de terre, les exploitants pourraient perdre jusqu'à
80 % de leur production.
Le tiercé «orge, oignon, carotte»
En s'appuyant sur des exemples présentés dans la littérature
et sur des observations sur le terrain, l'équipe de recherche a donc
testé plusieurs combinaisons de rotation des cultures. On a constaté
que le trio gagnant se composait de la culture de l'orge, puis de l'oignon
et enfin de la carotte. «Nous avons expliqué au producteur qu'en
cultivant une céréale et en enfouissant une partie dans le
sol, il limite l'érosion dans le champ. Le reste de la graminée
en surface sert de couvert végétal de l'automne au printemps,
c'est encore mieux.» Quant à la culture de l'oignon, elle constitue
un revenu intéressant pour les horticulteurs.
En utilisant ce type de rotation, les agriculteurs pourraient diminuer de
moitié les pertes causées par les nématodes, sans utiliser
de produits chimiques. En effet, les vers quittent les champs ou meurent
les deux premières années car ils n'ont pas leur mets préféré
à piquer. Le nombre de mauvaises herbes diminue également
car la culture de l'oignon ou de l'orge permet d'utiliser des herbicides
plus précis que celle de la carotte. Si en phase de monoculture,
l'équipe de recherche en dénombrait onze plants au mètre
carré, le chiffre tombe à 2 par mètre carré
en cultivant des oignons et une céréale. Même si ces
résultats sont très encourageants, il ne reste plus qu'à
convaincre les agriculteurs d'utiliser ce mode de lutte intégrée
pour améliorer leur rendement à long terme, même s'ils
risquent de moins faire de bénéfices les premières
années.