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22 août 1996 ![]() |
Les détracteurs de l'ancien président américain
Gerald Ford disaient, pour décrire les capacités limitées
de l'homme politique, qu'il pouvait difficilement «marcher et mâcher
de la gomme en même temps». Cette expression, sans doute inspirée
par des motivations bassement politiques dans le cas du successeur de Richard
Nixon, cache cependant un phénomène neurologique bien réel:
chez les personnes âgées, l'équilibre est précaire
et les chutes sont fréquentes, surtout lorsqu'elles marchent. En
apparence très simples, le maintien de l'équilibre et la marche
exigent tout de même un effort d'attention qui s'accroît avec
l'âge, suggère une étude réalisée par
des chercheurs du Département d'éducation physique.
Yves Lajoie, Normand Teasdale, Chantal Bard et Michelle Fleury ont invité
huit jeunes, de 22 à 34 ans, et huit personnes âgées,
de 66 à 79 ans, au Laboratoire de performance motrice humaine pour
participer à une expérience portant sur l'attention requise
pour maintenir son équilibre et pour marcher. Les sujets devaient
répondre le plus rapidement possible à un stimulus sonore
alors qu'ils adoptaient différentes postures: d'abord en position
assise, puis debout les pieds écartés, debout les pieds joints
et finalement, en marchant. Les chercheurs ont même poussé
le raffinement de l'expérience au point d'émettre le stimulus
sonore au moment où le sujet avait un pied ou les deux pieds au sol
pendant la marche. Dès qu'ils entendaient le signal sonore, les sujets
devaient émettre un «top» tout en maintenant la posture
qui leur avait été demandée.
«Ce test sert à déterminer comment l'attention requise
pour maintenir son équilibre ou marcher change à mesure que
les contraintes posturales augmentent, explique Normand Teasdale. Plus ces
tâchent accaparent l'attention du sujet, plus le temps de réponse
au stimulus sonore est long.»
Les résultats de ces tests, rapportés dans un récent
numéro de Experimental Aging Research, montrent, dans tous les cas,
un temps de réponse plus rapide chez les plus jeunes, un fait déjà
bien documenté, signale au passage le chercheur. Par ailleurs, chez
tous les sujets mais en particulier chez les personnes âgées,
le temps de réaction est plus lent à mesure que les contraintes
posturales augmentent. Les chercheurs ont également noté que,
chez les personnes âgées, l'accroissement des temps de réponse
pendant la marche survient en dépit du fait qu'elles adoptent spontanément
une vitesse plus lente et une longueur d'enjambée plus courte que
les jeunes.
Pris dans leur ensemble, commente Normand Teasdale, ces résultats
montrent qu'il faut davantage d'attention, en particulier chez les personnes
âgées, pour maintenir son équilibre et marcher à
mesure que les contraintes posturales augmentent. Ces tâches, considérées
comme des activités sous contrôle automatique, semblent exiger
une forme d'intervention cognitive à mesure que l'on vieillit. C'est
pourquoi lorsque l'attention des personnes âgées est accaparée
par d'autres tâches, ne seraient-ce que de parler ou d'écouter,
elles risquent de ne pas réaliser assez rapidement qu'elles sont
en train de perdre l'équilibre.
Les personnes âgées ne sont pas pour autant condamnées
au silence. Il faut surtout, dit le chercheur, être conscient de l'existence
de ce phénomène, attribuable à une perte sensorielle
de la vue, de l'équilibre et de la proprioception, et s'y adapter.
Ainsi, donne-t-il en exemple, la direction d'un centre d'accueil, où
on avait constaté que les patients tombaient parfois lorsque le personnel
s'adressait à eux tout en marchant, a invité ses employés
à prendre le temps de s'asseoir avec les personnes âgées
lorsqu'elles souhaitaient engager une conversation.